Le « Covid-19 » en Allemagne : un scandale, des couacs…

… des actions concrètes et – Angela Merkel. Alain Howiller y regarde de plus près.

Donald Trump aurait bien aimé acheter la société "CureVac" à Tübingen - il n'en sera rien. Foto: Dktue / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Par Alain Howiller) – Outre-Rhin, le coronavirus vient d’avoir – si on peut dire – une « victime-star » : Daniel Menichella, directeur général de la société CureVac, une société allemande de biotechnologie liée à l’Université de Tübingen où se trouve son siège et travaillant en collaboration étroite avec l’Institut Paul Ehrlich qui, créé en 1896, est aujourd’hui « Institut fédéral de Recherche sur les Vaccinations et les Biotechnologies » (siège à Langen en Hesse). Le directeur général a dû démissionner, car Donald Trump aurait offert 1 milliard de dollars (!) à l’entreprise si elle installait son siège aux Etats-Unis, afin que les USA aient les droits exclusifs d’exploiter un vaccin expérimental contre le coronavirus. Le vaccin serait prêt en juin/juillet pour être expérimenté sur les humains avant d’être produit en masse. Cette nouvelle approche du « America First » a, on s’en doute, provoqué un tollé en Allemagne où CureVac a publié un démenti pas vraiment convaincant !

« Le capitalisme a des limites », a lancé au Bundestag Karl Lauterbach, député SPD et professeur d’épidémiologie à l’Université de Cologne (et aujourd’hui également confiné en quarantaine). « L’Allemagne n’est pas à vendre », a clamé Peter Altmaier, le ministre de l’Economie. « Il ne saurait en être question », a souligné, de son côté, Dietmar Hopp, le milliardaire allemand propriétaire de 80% des actions de l’entreprise de Tübingen à laquelle Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, a proposé une aide de 80 millions d’Euros. Donald Trump a oublié de « tweeter », mais un de ses représentants a cru devoir démentir une affaire révélée par le quotidien « Die Welt ». Un parfum de scandale venu enfiévrer une action anti-coronavirus à l’image d’Angela Merkel : une action lente à se dessiner, mais rapide à se mettre en place y compris dans les moindres détails, une fois la décision prise et ce, malgré (à cause d’?) un contexte difficile. Un contexte qui, dans un premier temps, a généré une compétition entre Länder pour appliquer des mesures de restrictions, une compétition entre les régions, compétentes en matière de santé, et le gouvernement où le ministre de la santé a eu du mal à coordonner et à fédérer les initiatives !(1)

Merkel : « le plus grand défi depuis la guerre » – « Jamais, depuis la réunification, que dis-je, depuis la seconde guerre mondiale, l’Allemagne n’a été confrontée à un tel défi. La situation est très sérieuse, prenez-là au sérieux », a souligné Angela Merkel dans un discours à la nation, une allocution télévisée qui, en dehors des traditionnels vœux de fin d’année, constitue, en fait, une première : jamais la chancelière, en poste pourtant depuis… 2005, n’a eu recours à ce type d’intervention. C’est dire l’importance qu’on attache désormais à une crise sanitaire : « [La crise] transforme notre vie. Il faut que vous vous pliiez aux règles définies, car, finalement, le nombre d’êtres chers que nous allons perdre dépendra de votre attitude » a insisté la chancelière, qui a rappelé à l’occasion de son intervention combien il a été difficile pour elle, qui a connu les restrictions dans l’ancienne DDR, de prendre des décisions restreignant certaines libertés.

Mais il n’est pas (encore) question de mettre en place, à l’image d’autres pays, des règles de confinement au niveau national : il est vrai qu’autant le terme (« Ausgangssperre » !) que la réalité qu’il recouvre, rappellerait trop des situations que le pays a connu dans son histoire proche (dans l’ex-Allemagne de l’Est) ou plus lointain (dans la période nazie). Mais pourra-t-on éviter définitivement le confinement, alors qu’en Bavière, on assiste à des restrictions de circulation dans certains secteurs ? Pourra-t-on se contenter de cette sorte de « confinement mou » qui frappe également la Sarre et le Bade-Wurtemberg ? Reprenant un vœu exprimé par la chancelière, le Président de la République, Franck-Walter Steinmeier, a lui aussi relayé cette injonction : « Restez chez vous, restez à la maison et évitez les contacts rapprochés ».

« Etat de catastrophe » en Bavière – Mais la mise en place des mesures anti-crises a été laborieuse et, parfois non exempte de calculs politiciens qui expliquent qu’elles peuvent être plus ou moins diversifiée selon les « Länder ». Markus Söder, le Ministre-Président de Bavière, a pris soin d’attendre le lendemain des élections municipales bavaroises – qui ont conforté la place en pôle position de la CSU malgré une légère érosion au profit des Verts, deuxième parti du land – pour décréter l’« état de catastrophe » et publier les plus importantes mesures de restrictions d’Allemagne. Au delà de la limitation de la circulation et du regroupement de personnes sur la voie publique, le Land a décidé de fermer les restaurants. En Bavière, c’est un signe qui ne trompe pas : la situation s’aggrave. Un sondage « Civey », réalisé à la demande du « Spiegel » a montré que 61% des Bavarois adhéraient aux mesures prises.

Au Bade-Wurtemberg, où les restaurants sont désormais fermés, où les hôtels n’accueillent plus de touristes et où les menaces de confinement généralisé se précisent, le même sondage avait mis en exergue, avant les mesures de renforcement que le Land vient de prendre, qu’un peu moins de 50% des sondés s’étaient montrés satisfaits (dont 12% très contents et 37% plutôt contents) des mesures prises (valables dans ce premier temps jusqu’au 19 Avril). Le Bade-Wurtemberg avait été l’une des premières régions à définir des restrictions, incitant notamment les chefs d’entreprises à pousser les travailleurs frontaliers à rester chez eux : il est vrai que l’Institut Robert Koch de Berlin, responsable du contrôle et de la lutte contre les maladies, avait déclaré que le Grand Est dont l’Alsace, la Lorraine, et Champagne-Ardenne étaient à considérer comme « zones à risques » au même titre que la Chine, certains secteurs géographiques de la Corée du Sud, l’Iran ou l’Italie. Le secrétaire d’Etat à la Santé du Land de Sarre, s’appuyant sur ce classement, avait carrément demandé aux Sarrois de ne plus se rendre du tout dans le Grand Est !

Et en Alsace : que devient la concertation transfrontalière ? – En Alsace, les initiatives hâtives développées par le Bade-Wurtemberg, avant même que le gouvernement fédéral ait défini ses priorités, ont suscité une levée de boucliers. Non pas contre les mesures, mais contre la manière dont elles ont été décidées et appliquées sans information préalable ni concertation avec les partenaires transfrontaliers. La réaction d’un responsable de PAMINA, la structure transfrontalière du Nord de l’Alsace, est révélatrice à cet égard : « En frontière, les décisions ne peuvent pas se se prendre de manière unilatérale. Il faut s’informer, se concerter avant de décider, et ceci, en partenariat… », a-t-il souligné dans un commentaire sur eurojournalist.eu.

Le pire, au delà de cet accroc dans l’espace rhénan,c’est peut-être ce constat que, un peu plus d’un an après la signature du « Traité de coopération et d’intégration (!) franco-allemand » d’Aix-la-Chapelle, c’est ce (mini ?) incident sur le Rhin qui a, vraisemblablement, déclenché les concertations entre Paris et Berlin pour essayer de développer une approche commune face au « Covid-19 ». Ceci dit, la proposition du Bade-Wurtemberg d’accueillir des patients alsaciens dans des hôpitaux allemands constitue un signe positif et important.

Où est resté le moteur franco-allemand ? – Ce virus a secoué nos sociétés. Outre-Rhin, du scandale aux couacs, des hésitations à l’action, Angela Merkel semble avoir réussi une sorte de « come back » dans l’opinion : seuls 30% des Allemands ont marqué leur insatisfaction devant les mesures prises par le gouvernement fédéral, et, selon les sondages, la CDU bénéficierait de 30% d’intentions de vote en cas d’élections anticipées.

Pour autant, le parti démocrate-chrétien n’a pas définitivement sorti la tête de l’eau : le congrès qui devait désigner, le 25 Avril, le nouveau président (ou la nouvelle présidente) de la CDU, a été reporté et Friedrich Merz, l’un des prétendants à la présidence, a été testé « positif » au « Covid-19 » ! Le gouvernement de coalition avec le SPD résistera-t-il aux lendemains de la crise sanitaire lorsque celle-ci sera terminée ? Comment le gouvernement trouvera-t-il un nouveau souffle ? Comment l’économie, déjà éprouvée avant la crise, redémarrera-t-elle ?

Autant de questions qui ne sont pas propres à l’Allemagne, et dont la solution sera tributaire d’un renouveau au sein de l’Union Européenne et, sans doute, d’un… échange standard de l’actuel moteur franco-allemand. Car, pour reprendre ce constat d’Emmanuel Macron : « Le jour d’après, ne sera pas un retour au jour d’avant ! ».
(1) Le gouvernement fédéral, dont l’action est parfois complétée par des initiatives dans les « Länder » (voir sur les sites internet) a décidé notamment la fermeture des bars, des discothèques, des cinémas, des magasins non-alimentaires, des théâtres, des salles de concert, des salles de spectacles, des musées, des salles et terrains de sport, des universités populaires, des clubs sportifs, des écoles, des maternelles et jardins d’enfants, des salles de sport et de « fitness », des maisons closes etc… D’autres mesures sont possibles en cas de besoin.

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