Le désert dans le désert, sans le médecin de campagne

Que deviendra la campagne sans son médecin ? Notre expert cinéma Nicolas Colle a rencontré le réalisateur Thomas Lilti pour parler de son nouveau film «Médecin de campagne».

François Cluzet est excellent dans le rôle du "Médecin de campagne"... Foto: Le Pacte Distribution

(Par Nicolas Colle) – Après le plébiscite critique et public de son «Hippocrate», c’est avec ce «Médecin de campagne» que nous revient Thomas Lilti. Il explore ainsi de nouvelles problématiques liées à cette profession qui le passionne et qu’il a lui même pratiquée. Il nous offre un beau moment de cinéma à travers cette histoire mêlant habilement des scènes d’un naturalisme de bon aloi à de la fiction suscitant de fortes émotions.

Après avoir traité l’univers médical à l’hôpital dans «Hippocrate», vous le traitez cette fois-ci à la campagne… Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous plonger dans cet univers plus réduit ?

Thomas Lilti : Je tenais à montrer à quel point la désertification médicale dans les campagnes est problématique. Les jeunes médecins ne veulent plus s’y installer. Il y a tout un arsenal de stratégies qui est mis en place pour les maintenir mais ces outils fonctionnent mal. Après, tel que je le montre dans le film, il est vrai que c’est un métier difficile, très solitaire, avec beaucoup de sacrifices, où l’on a parfois un rôle davantage social que médical. Les jeunes ne veulent plus pratiquer la médecine de cette façon-là. Mais c’est toute la campagne qui est désertée car il n’y a pas d’école, pas d’emploi, pas de collège. Pour les médecins qui s’y installent, leur conjoint peut se retrouver en inactivité complète. Les politiques sont complètement dépassées pour trouver des solutions. Le film n’en apporte d’ailleurs pas vraiment, mais j’espère qu’il donne une vision assez positive de ce métier et du lien social qu’il apporte pour aider au vivre ensemble. Espérons que ça pourra inciter les jeunes médecins à le considérer autrement.

Vous qui avez été médecin et qui avez pratiqué à la campagne, quelles différences fondamentales percevez-vous entre la pratique médicale à la ville et à la campagne ?

TL : Le médecin de ville et le médecin de campagne peuvent potentiellement se ressembler mais en ville, il y a de la concurrence et plusieurs médecins. A la campagne, le médecin est seul, il est au cœur du village, il aide à lutter contre l’isolement, il suit des générations d’une même famille, il connaît les secrets de tout le monde. C’est celui à qui on se confie pour toutes les grandes décisions de vie qui ont de grandes répercussions. Il est peut être le seul vrai confident, il participe au lien social entre tous les gens d’un village et c’est en cela que la pratique est différente par rapport à celle du médecin de ville. Un bon médecin, c’est un savoir scientifique avec des qualités techniques associées à des qualités humaines. L’un sans l’autre ne fonctionne pas.

Vous qui êtes très familier de cet univers et de cette problématique, quelles solutions pensez vous qu’il faille mettre en place pour y remédier ?

TL : Je pense que les solutions que l’on propose actuellement ne sont pas bonnes socialement. Je ne crois pas du tout aux maisons de santé car elles représentent le plus souvent une opportunité pour les maires de village de faire venir des subventions et de faire travailler l’économie locale en offrant des emplois. Mais si par la suite, il n’y a personne à mettre dedans, ça ne sert à rien sur du long terme. Même s’il y a des exceptions où ça se passe bien. Ce qu’il faut avant tout, c’est que le médecin de campagne soit moins isolé, moins seul. Mais c’est quelque chose d’utopique puisqu’il n’y a pas assez de médecin. Le problème vient vraiment de la formation. Il faut savoir qu’un médecin sur quatre travaille comme libéral et trois sur quatre à l’hôpital comme salarié. D’autres disparaissent dans la nature, j’en suis d’ailleurs un exemple puisque j’ai été médecin et qu’aujourd’hui je suis cinéaste. Actuellement, la formation des étudiants en médecine est trop «hospitalo-centrée». On veut former des médecins pour qu’ils s’installent en libéral ou à la campagne mais sur les neuf années d’études, huit et demie se font à l’hôpital et seulement six mois se font en stage chez le praticien. Ce qui est complètement aberrant puisque c’est sur le terrain qu’ils vont apprendre le plus. Donc il faudrait qu’il y ait davantage de stages en cabinet de villes et ceux-là devraient avoir un statut d’universitaire-enseignant et pas de médecin-maitre de stage. L’autre problème que j’évoquais déjà dans «Hippocrate», c’est que la sélection à l’entrée en première année de médecine se fait essentiellement sur des matières scientifiques très élitistes. Donc on sélectionne les candidats les plus doués scolairement mais qui n’ont pas nécessairement la fibre sociale, humaniste et empathique qu’un médecin doit avoir. Par exemple, les lauréats d’un Bac Littéraire ne peuvent pas réussir en médecine. Or certains d’entre eux ont peut être choisi la filière littéraire uniquement parce qu’ils n’étaient pas suffisamment doués en maths pour faire un Bac Scientifique. Et c’est vraiment dommage que sous prétexte qu’un candidat ne soit pas bon en maths, il ne puisse pas aller en médecine s’il le souhaite alors que les maths n’y sont pas très utiles.

En fait voilà qui est dit. Ce film traite d’un problème de société à travers la réorganisation du territoire en prenant en compte la désertification des campagnes. Très riche, presque «informatif», il l’est également dans sa dimension romanesque très importante avec notamment ce qui ressemble à un début d’histoire d’amour entre ce médecin aguerri et cette novice qui débarque à la campagne pour l’assister… Comment expliquez-vous leur rapprochement qui est montré de manière très délicate mais jamais flagrante ?

TL : L’arrivée du personnage de Nathalie (Marianne Denicourt) rompt la solitude du Docteur Werner (François Cluzet). Car le grand drame de ce médecin est celui de beaucoup de médecin de campagne où les sacrifices personnels sont tels qu’ils leur font pratiquer leur médecine dans une forme de solitude qui est assez douloureuse. Lui, dans un premier temps, la rejette car bien qu’il ait besoin d’aide, il lui est difficile d’accepter que son temps soit en quelque sorte révolu. Mais en découvrant l’amour de Nathalie pour la médecine, qui est le même que celui qu’il voue lui-même à cette profession, il commence à lui apporter son expérience de la pratique à la campagne. Et elle aussi, de son côté, lui apporte une expérience peut être un peu plus technique et une vision plus moderne de la médecine. La transmission est un des sujets au cœur du film et je pense que cet échange là, en plus de l’amour commun qu’ils ont pour leur métier, est le terreau d’une éventuelle histoire d’amour.

Vous donnez une très belle image de la campagne mais qui n’est jamais idyllique pour autant… Quelle était la direction artistique à suivre pour parvenir à cela ?

TL : J’ai été influencé aussi bien par des romans que par des documentaires et des livres de photographies sur la campagne et le métier de médecin de campagne. L’un d’entre eux s’appelait «Un métier idéal» et représentait assez bien la pratique de la médecine à la campagne en Angleterre dans les années 50. Tous ces outils de travail m’ont aidé à filmer une campagne que je voulais belle mais pas spectaculaire ni trop pittoresque ou touristique. C’est une campagne à laquelle on accède facilement, où on ne part pas en vacances. Je voulais approcher le quotidien de millions de gens qui vivent dans ces endroits coincés entre des lieux très déserts et des villes assez proches finalement.

La musique est également très entrainante, notamment lors de cette scène du «bal de country». Là aussi, que vouliez vous faire passer comme idée à travers vos choix musicaux ?

TL : J’adore la country, d’autant plus qu’il y a plein de bals de ce type en France. Je trouve qu’ils racontent une idée de la communauté et d’un certain vivre ensemble qui me sont très chers. Ces bals sont à la fois ludiques, chaleureux et agréables à filmer. Sinon je souhaitais utiliser surtout de la musique électro-pop pour les autres scènes. En tout cas, je ne voulais rien qui soit trop classique et qui aurait amené un coté désuet à la campagne alors que je tenais à en donner une vision moderne.

On ne peut pas ne pas parler de vos deux comédiens, Marianne Denicourt et François Cluzet qui sont absolument remarquables de justesse. Que pouvez vous me dire sur eux ?

TL : Je ne tenais pas à réaliser un «Hippocrate au féminin» avec une jeune femme qui s’initierait à la vie et à la médecine. Je souhaitais parler de ces individus qui ont une seconde vie et qui entament une nouvelle carrière en tournant une page pour mieux commencer autre chose. Et Marianne a incarné cela brillamment en apportant à la fois beaucoup de charisme, de force et de douceur à son personnage. Concernant François, je voulais un acteur populaire de sa génération pour jouer une sorte de héros populaire car c’est ce qu’est le médecin de campagne. Ça a été un vrai plaisir de travailler avec lui. Il est à la fois très humain et généreux mais possède aussi une certaine colère en lui. C’est quelqu’un qui peut être assez révolté quant à des questions sociales qui lui tiennent à cœur. Ce rôle a donc été très introspectif pour lui car il y a mis tous ces éléments.

Et enfin, pour conclure, ce que j’aime dans votre cinéma, c’est le fait que vous traitiez des sujets de société importants tout en faisant des vraies fictions avec des enjeux humains et émotionnels très forts… Comment concevez-vous votre raison et votre façon de faire des films ?

TL : Tu as très bien résumé. J’ai compris que ce qui est source d’inspiration pour moi c’est de faire un cinéma contemporain, engagé, qui parle de notre société et de ceux qui y vivent, avec nos problèmes de tout ordre. Ici, je traite des thèmes comme la désertification médicale, la disparition du médecin de campagne, la difficulté des accès aux soins, le droit à chacun de décider de mourir chez soi, mais j’ai aussi le souci de faire un divertissement où on va être ému, surpris et amusé. Tous ces éléments passent par le souffle romanesque qui permet de raconter une belle histoire qui dépasse le sujet social. Donc si après avoir vu un de mes films, le public a pu se questionner sur des sujets de société et s’interroger sur la réalité de notre monde actuel tout en ayant vécu des émotions et passé un bon moment de cinéma, c’est que j’ai réussi mon pari.

Voilà des paroles qui résument parfaitement l’esprit de ce beau film, courageux, fort, humain et engagé. Du grand cinéma populaire… et très intelligent, ce qui n’est pas incompatible. A ne pas rater.

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