Le droit à la ville pour tous

Pour en finir avec les banlieues, l’architecture et l’urbanisme du 20e siècle.

La ville pour tous peut aussi se présenter comme ici à Reims... Foto: privée

(MNB) – Marc et Nada Breitman viennent de recevoir la plus haute distinction mondiale en architecture, le Driehaus Prize 2018, à Chicago, à l’Université de Notre-Dame. Ils sont les premiers architectes français à bénéficier de ce prix exceptionnel et prennent position dans le débat actuel sur les banlieues.

La ville n’est pas un objet, ni une collection d’objets. La ville est un réseau de lieux insérés au sein de quartiers différents, identifiés par ses rues, ses squares, ses places. Elle est l’expression d’une culture. Paris n’est pas Londres, Bruxelles n’est pas Rome. Ces villes européennes ont un point commun, elles ont, inscrite dans l’épaisseur de leurs murs, une façon de vivre dans un environnement climatique et géographique. Elles ont aussi cette faculté à se transformer au rythme des évolutions économiques et sociales. Lorsque des rues, des immeubles changent d’affectation, lorsque, au travers du temps les activités se déplacent, elles s’y adaptent. Mais force est de constater que les grandes villes historiques sont de moins en moins accessibles à tous. Sont apparues, au-delà de leurs faubourgs, des zones dites « suburbaines ». Elles sont le fruit d’une politique du territoire basée sur des principes issus de l’essor de la construction industrialisée et soutenue par un projet architectural né du Mouvement Moderne des années 20.

Ses acteurs pensaient pouvoir se défaire des structures jugées trop complexes de la ville. La rue fut désignée comme insalubre, mère de tous les maux. Les architectes, à la suite de Le Corbusier, ont jugé la pensée nouvelle de la « tabula rasa », révolutionnaire. Ils y ont adhéré massivement, rendant toute contestation inaudible. Ce mouvement a pris appui sur le thème de l’invention, de l’avant-garde pour justifier l’abandon des lieux dits traditionnels : la rue, la place, le quartier. Les espaces se sont alors dilués dans une uniformisation sans caractère se nommant agora ou forum. En résultent les banlieues, les « Bannies du lieu ». Barres et tours concentrent des espaces monofonctionnels, stigmatisant les habitants mis au ban. Le logement social est devenu un lieu d’expérimentation architecturale qui perpétue le projet des modernistes du siècle dernier avec des objets de plus en plus incongrus, aux formes improbables et hasardeuses, posés comme des bibelots sur une étagère. Ils procèdent d’un vandalisme de l’espace public auquel plus personne ne comprend rien. Ce sont des objets du passé, de l’ancien monde, d’un mouvement qui s’essouffle par la misère de sa production. Les plans « banlieue » se succèdent sans jamais aborder le sujet de l’architecture et ses relations avec la ville.

Le succès croissant des « projets urbanistes » qui réinventent la ville avec ses espaces connus (la rue, l’îlot, la place), est un espoir réel. Ni copie ni pastiche, ce sont des créations conçues en harmonie avec les typologies locales, les matériaux régionaux. Elles se réfèrent aux villes qui ont fait leurs preuves. Elles permettent aux « banlieues » de sortir de leurs carcans, de se doter d’un vrai centre-ville et d’une autonomie culturelle, économique et sociale organisée au niveau local. L’objectif est de leur donner forme et dignité. Certaines villes ont totalement changé de paysage. Cité dortoir il y a à peine trente ans, Le Plessis Robinson est aujourd’hui une ville très attractive. D’autres villes s’engagent dans cette même voie, le Blanc Mesnil, Montfermeil, l’Haÿ-les-Roses ou encore Villeneuve-Saint-Georges. Beaucoup d’entre elles avaient été en 2005 le théâtre de violences urbaines. Aujourd’hui leurs maires lancent des projets de reconquête qui mettent en lumière le rôle politique essentiel de l’élu local.

En 1973, le Prix Nobel de Médecine Konrad Lorenz analyse dans son livre « Les huit péchés capitaux de notre civilisation » la construction des banlieues. Il indique que si l’on compare la coupe histologique dans une tumeur maligne à un plan de banlieue on y trouve d’étonnantes analogies… A la lumière de ces propos, la démolition ou la transformation des banlieues appelées de façon usurpée cités ou quartiers, doit être une priorité de façon à effacer d’une façon ou d’une autre ce qui fut une erreur urbanistique. Quelle que soit sa condition, chaque citoyen doit pouvoir habiter et vivre dans une ville décente sans discrimination sociale. Au moment où s’ouvre le débat sur les banlieues et le logement, il faut rappeler l’importance essentielle du cadre de vie. L’architecture urbaniste est aux avant-postes pour transformer en profondeur ces « bannies du lieu », pour qu’elles deviennent de réelles cités et des quartiers de ville et permettre ainsi que s’exerce le droit à la ville pour tous.

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