Le « eCommerce » va-t-il (aussi) sauver nos pharmacies ?
Alain Howiller se pose la question du fonctionnement de l'économie déclenché par la « coronacrise ».

(Par Alain Howiller) – Médias, économistes et observateurs de tous poils commencent seulement à analyser les conséquences qu’aura sur notre vie future et nos conditions de travail, ce qu’on appelle désormais la « Coronavirus-Economie »(1). La consommation a été perturbée par un confinement qui paraissait interminable. Nous avons exploré de nouvelles approches du travail : le télétravail, par exemple, dont on a découvert les atouts, mais pas encore suffisamment toutes les… limites (il y en a !). Même la médecine – voire la chirurgie qui, pourtant, s’était déjà ouvert la voie de la… robotisation ! – a exploré le chemin de la « télé-consultation » qui devra veiller, comme le soulignait Michel Onfray, à voir dans son patient un homme et pas seulement un… écran d’ordinateur !
La crise sanitaire aura, en tout état de cause, brisé la barrière technologique de la numérisation et de la digitalisation. Même les anciens, qui jusqu’ici n’étaient poussés que par leur souci de ne pas perdre le contact avec les jeunes générations, ont dû se confronter aux achats en ligne, aux inaltérables joies des approvisionnements en « mode-drive » ou de l’interminable attente qui accompagne désormais les appels téléphoniques. Ils ont dû aussi, au delà de la télé-consultation, apprendre à communiquer avec leur pharmacien autrement que par une visite dans les officines !
Explosion des ventes sur Internet – Echanger par mails avec le pharmacien, transmettre des ordonnances, commander des médicaments, y compris sur des sites spécialisés qui n’ont pas échappé au « e-commerce » : toutes ces formules se sont installées dans beaucoup de démarches avec la crise (à cause d’elle) du coronavirus. Les pharmacies n’ont pas échappé à l’explosion des achats sur internet, même si les réticences restent vives, notamment en France où 64% des patients entendent ne jamais commander de médicaments par internet ! Mais là encore, l’évolution est en marche puisque 18% des sondés affirment qu’ils n’ont jamais commandé de médicaments par internet, tout en soulignant qu’ils pourraient, à l’avenir, avoir recours à la formule. En France, l’offre par internet trouve souvent son origine dans la démarche d’un pharmacien qui a voulu élargir son offre au delà de son lieu d’implantation.
C’est notamment le cas d’une pharmacie près de Grenoble qui propose pas moins de 1.500 références pharmaceutiques, 5.000 références en homéopathie et 15.000 en parapharmacie… Le propriétaire s’est lancé avec succès, bien que, affirme son site : « II est normal d’avoir quelques craintes d’acheter des médicaments sur internet ! » Suivant en cela l’évolution régulière des ventes en ligne – phénomène mondial désormais – ils sont sont plus nombreux aujourd’hui à dépasser ces craintes. Encore que…
Pharmacies : pourra-t-on s’en passer ? – Encore qu’on les perçoive au cœur de la campagne de promotion lancée, sur internet, par « ABDA », l’association des pharmaciens allemands (« Bundesvereinigung Deutscher Apothekenverbände ») qui voit dans les achats sur Internet une menace pour les officines localisées, en particulier dans les petites communes et dans les territoires ruraux. Il est vrai que si en France, deuxième pays de l’Union Européenne, derrière l’Espagne pour le nombre d’officines, le nombre des pharmacies reste encore à un niveau relativement élevé (autour d’un peu plus de 21.000 contre 22.500 il y a une dizaine d’années), l’érosion est, elle aussi, présente. La Cour des Comptes, dans un rapport qui a fait du bruit et suscité une campagne de protestation de la part de la « Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France », avait même avancé l’hypothèse de la disparition, à terme, de la… moitié des pharmacies !
En Allemagne, la régression est encore plus vive. Comme le rappelle l’association des pharmaciens, en Allemagne, dans le cadre de sa campagne placée sous le thème de « Unverzichtbar » (indispensable), une pharmacie met la clef sous la porte toutes les… 31 heures… Le nombre d’officines est le plus bas depuis 30 ans ; et si l’Union Européenne compte en moyenne 31 pharmacies pour 100.000 habitants, ce chiffre est tombé à 24 en Allemagne (32,4 en France).
Un président installé à Leipzig. – Malgré cela, (trop ?) optimiste, Friedemann Schmidt, pharmacien à Leipzig et président depuis 2013 d’ABDA, estime que : « Les pharmacies locales sont sorties renforcées de la crise du Covid-19. La vente par internet », poursuit-il, « reste réservée à un nombre limité de patients… Car cette forme de vente ne tient pas réellement compte de nos points forts : les cas que nous rencontrons sont complexes, individuels et doivent être traités dans l’urgence ! » En outre, rappelons-le par les temps difficiles qui vont secouer la société et l’économie : les pharmacies emploient près de… 160.000 salariés en République Fédérale ! Et 92% des Allemands apprécient la proximité des officines et la disponibilité de leurs propriétaires.
Il n’empêche que l’érosion du nombre d’officines a conduit les professionnels, tant du côté français que du côté allemand, à s’interroger sur l’avenir : il s’agit pour eux de se réinventer, de s’adapter aux évolutions, de réinventer son modèle économique et de redessiner les métiers susceptibles de composer la profession. La Chambre de Commerce et d’Industrie de Cologne (IHK-Köln) vient de publier une étude et un sondage révélateurs des tendances qui sous-tendent la « consommation pharmaceutique ». Pour l’essentiel, l’étude due au Docteur Markus Preissner souligne l’appétence croissante des « clients » pour des achats en ligne, y compris en produits pharmaceutiques : 85% des sondés sont persuadés que ce type d’achats va se développer et 72% pensent que, en la matière, les pharmacies ont pris du retard !
Quand le « point de vente » ne suffit plus – Avant la crise sanitaire, 51% des sondés achetaient déjà, disent-ils, des médicaments en ligne. Pour survivre, souligne l’analyse de la Chambre de Commerce et d’Industrie, les pharmacies ne doivent plus se contenter de proposer des points de vente physiques : elles doivent livrer à domicile, accepter les commandes en ligne, par courrier ou au téléphone, offrir un site sur internet, échanger en digital avec les « consommateurs ». D’ailleurs, 83% des utilisateurs d’internet préféreraient passer commande à… une pharmacie qui combine point de vente physique et site plutôt qu’à un établissement uniquement présent sur internet.
Une incitation de plus pour les pharmacies à s’ouvrir sur ce que les spécialistes du « marketing » appellent un peu pompeusement « l’omni-canal », c’est à dire l’utilisation de tous les canaux possibles (y compris les réseaux sociaux) entre distributeur et consommateur. Le point de vente physique ne suffirait plus désormais : qui, il y a peu encore, l’aurait cru ?
(1) eurojournalist.eu du 4 Mai.
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