Le Festival de Cannes, 76e édition (3)

Esther HEBOYAN est pour vous à Cannes et vous présente les moments forts de la 76e édition du Festival de Cannes. Aujourd'hui, Monster de Hirokazu KORE-EDA, en quête de grâce.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, 'Monster' n'est pas un film d'horreur... Foto: Festival de Cannes 2023

(Cannes, Esther Heboyan) – Le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda était déjà en compétition officielle l’an dernier avec Les Bonnes Etoiles, une fable douce-amère sur le trafic de nouveaux nés par des escrocs sans envergure. L’histoire avait été filmée en Corée du Sud avec des acteurs coréens. Avec Monster (Kaibutsu en version originale), Kore-eda revient au Japon et confie à des acteurs japonais d’une grande finesse des rôles archétypaux qui se révèlent être bien plus complexes qu’à première vue.

Le film est présenté en trois parties. Saori (Sakura Ando), une mère restée seule après la mort de son mari, éduque avec beaucoup de bienveillance, voire d’héroïsme, son fils Minato (Soya Kurokawa), élève en CM2, qui semble subir harcèlement et violence. La mère va tout faire pour éclaircir la source du mal. L’instituteur, M. Hori (Eita Nagayami), perçu comme harceleur et bourreau, se fait malmener à la fois par Saori et par l’équipe pédagogique de l’école qui craint le scandale. Or, le quotidien de Hori semble plus tourné vers l’amour et l’entraide, ce qui le disqualifie comme le méchant du récit. La troisième partie du film montre Minato et le nouvel élève Eri (Hinata Hiiraga) qui, dépassant leur méfiance mutuelle ainsi que l’hostilité des autres élèves, se lient d’amitié et même se créent paix et magie dans un wagon abandonné de la forêt environnante.

Monster n’est pas un film de science-fiction ni un film d’horreur. Mais en recommençant le récit trois fois, Kore-eda tente de brouiller les pistes comme dans un thriller. Le mystère plane sur les motivations des personnages ainsi que sur la cause des faits. Chaque fois que l’histoire recommence (panorama nocturne d’une ville, un immeuble en flammes, camions pompiers circulant sur un boulevard), le mystère s’épaissit au lieu de se dissiper. L’idée d’urgence et de catastrophe une fois installée, les personnages vont vivre entre rumeurs, mésentente, frayeur, révolte et enchantement.

Le monstre sommeille en chacun de nous. Cela peut être un mensonge dévastateur dit par un écolier, ou un croche-pied fait à un enfant bruyant par la directrice de l’école (Yûko Tanaka). Le monstre est aussi ce qu’on projette sur autrui, le rendant monstrueux ou vulnérable aux yeux de la communauté. Le monstre est aussi tout simplement le bonheur secret qui habite et motive deux garçons d’une banlieue tranquille au Japon.

Kore-eda livre un tableau de la société japonaise avec ses codes, ses rites, son système social (travail, éducation, famille) et ses comportements humains. Nanni Moretti (Vers un avenir radieux, sélection 2023) aurait livré sa version italienne, Aki Kaurismäki (Les Feuilles mortes, 2023) sa version finlandaise, Todd Haynes (May December, 2023) sa version américaine. Kore-eda, lui, manie avec brio absurdité, cynisme et automatismes, mais il reste avant tout un grand humaniste en quête de grâce.

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