Le FN va-t-il remporter la Grande Région de l’Est ?

Alain Howiller fait le point sur les vrais enjeux du deuxième tour dimanche. A lire et à diffuser sans modération !

La "Maison de la Région", face aux Institutions Européennes à Strasbourg - entre les mains des eurosceptiques du FN ? Foto: Denis Helfer / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Au train où vont les choses, l’Alsace qui s’était mobilisée un jour pour défiler contre Jean Marie Le Pen qui tenait congrès dans la capitale alsacienne(1), va se retrouver au sein d’une «grande région de l’Est» présidée par le Front National de Florian Philippot ! L’Alsace non seulement va perdre, à partir du premier janvier, sa «personnalité», sa «marque», sa «trace historique» en devenant partie intégrante de la Région «Alsace-Lorraine-Champagne Ardenne», mais elle risque fort de perdre son particularisme politique frappé jusqu’ici de deux particularités : la recherche du consensus d’une part, la référence à l’humanisme rhénan, d’autre part.

Sur un plan national, les Français ont voté à 30% pour le FN (27,5% pour Les Républicains et 23,5% pour le PS), lors du premier tour des élections régionales. Sur un plan régional, les électeurs de la «grande région de l’Est» ont voté à 35% pour le «Front», à 26% pour les Républicains et à 16,7% pour le PS ! A vrai dire, n’en déplaise aux médias, la première volée de chiffres n’a, finalement, que peu d’importance puisqu’il ne s’agissait pas d’un scrutin national.

A quoi ont servi les «régionalistes» ? – La deuxième série de données recouvre, elle, cette réalité : le FN a recueilli en «grande région» 35,06% des voix devant les Républicains (25,83%) et devant le PS (16,11%). En Alsace même, le FN prend 31,41% des voix, devant la liste Les Républicains (31,14% des voix), celle du parti régionaliste / autonomiste «Unser Land» (11,10%) et le PS (10,26%) ! A noter que «Unser Land» qui a fait campagne sur le thème «Non à l’ACAL» (sigle provisoire de la nouvelle région) ayant recueilli moins de 5% des voix, ne pourra ni fusionner avec une autre liste ni siéger au conseil régional : sa candidature de «protestation» ne lui permettra pas de siéger. Par contre, les voix ramassées auront affaibli la candidature de Philippe Richert, la tête de liste des «Républicains – Philippe Richert» et, à fortiori, elles ont a favorisé l’émergence du candidat Philippot !

Si le scrutin de Dimanche devait être perdu, assistera-t-on à un double retrait de la vie politique : celui de Philippe Richert et celui de Jean-Pierrre Masseret qui a conduit la liste socialiste ?

Si le deuxième tour -ce Dimanche 13 Décembre- confirme la tendance du premier tour, Florian Philippot deviendra, selon toute vraisemblance, le Président de la région «Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne» dont les trois régions étaient jusqu’ici, avant la fusion, dirigées par deux élus de gauche (PS en Lorraine, divers gauche en Champagne-Ardenne) et un élu de droite (Les Républicains en Alsace). Ceux qui espéraient que la fusion de deux régions dirigées par la gauche avec une région de droite allait ouvrir des perspectives à la gauche, en auront été pour leurs frais : ils se sont retrouvés dans un remake de «l’arroseur arrosé» (eurojournalist.eu du 2.12).

Le siège du Conseil Régional de Strasbourg à Metz ? – Il en a été de même pour ceux qui -Manuel Valls d’un côté, Nicolas Sarkozy de l’autre- se sont, finalement, fait la courte échelle pour faire du scrutin régional un test national : le premier cherchait un soutien et une approbation politique en s’appuyant sur un réflexe patriotique et républicain d’après-attentats, le deuxième voulait faire sanctionner la politique de François Hollande : le FN, seul parti à n’avoir pas jusqu’ici de terreau régional clairement identifié, a prospéré sur ce terrain, grâce aussi à un soutien non-volontaire de la plupart des médias dont on devra bien, un jour, examiner l’éthique ! Sécurité, immigration, attentats, frontières ont été des thèmes porteurs d’une campagne qui a largement mis en valeur les thèmes frontistes : aucun de ces thèmes ne relève des régions !

Le seul thème qui aurait pu s’impliquer dans une campagne authentiquement régionale aurai été celui du chômage, puisque la nouvelle orientation des régions est de conduire les politiques économiques (aménagement du territoire, formation, transports non-urbains, implantations nouvelles qui s’ajoutent aux lycées, aux universités….).

Est-il trop tard pour exciper des résultats déjà obtenus (y compris, sur le plan transfrontalier) sur ces plans par «feu les régions sortantes» ? Le bilan alsacien est loin d’être nul à cet égard ! Est-il trop tard pour s’interroger sur les approches que cultiverait une région pilotée par un parti (le FN) qui a le culte de la «préférence nationale» et le rétablissement des frontières ? Au-delà d’un copier-coller de programme national, quels cas régionaux seraient sanctionnés par le programme de M. Philippot lorsqu’il avance qu’il va faire pression pour taxer les poids lourds étrangers (relève en fait du national), qu’il veut exiger le remboursement des aides publiques aux entreprises en cas de délocalisation, lorsqu’il entend favoriser les TPE et PME locales dans l’accès aux marchés publics etc… Quelles «subvention aux associations communautaristes et d’accueil des clandestins… quelles subventions régionales aux migrants» veut-il supprimer ? Il serait en peine d’en trouver en Alsace. Quand il écrit dans son programme qu’il veut «gérer équitablement la fusion de nos trois régions, pour qu’aucun territoire ne soit oublié», fait-il allusion (sans le dire) au transfert du siège de la région, de Strasbourg à Metz, projet qu’il a avancé lors de la campagne électorale ? (2)

Le FN comme Jean-Luc Melanchon ! – Que reste-t-il au travers de cette candidature de son opposition, au moment du referendum sur la fusion du Bas-Rhin et du Haut-Rhin d’avril 2013, à la création d’une collectivité territoriale «Alsace» : le FN avait considéré, alors, tout comme Jean-Luc Melanchon (!), que la nouvelle collectivité porterait atteinte à… l’unité nationale : que faut-il penser alors du projet de région élargie ? Le referendum avait constitué, en raison des abstentions, un échec pour son promoteur, le président de la Région Alsace Philippe Richert qui risque un nouvel échec Dimanche battu par Florian Philippot ! Tout le monde sait que si ce referendum avait réussi, il n’y aurait pas eu de région «Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne» !

Ceux qui aujourd’hui pleurent -notamment du côté de Colmar et de Strasbourg- et qui avaient travaillé, non sans hypocrisie, à l’échec du projet de fusion, devraient y réfléchir tout comme ceux sur la liste du PS qui favoriseront indirectement, en cas de maintien au deuxième tour de la leur liste, l’élection de la liste FN : l’argument selon lequel ils veulent participer, suivre, infléchir (avec une poignée d’élus ?) la future «méga région de l’Est», à vrai dire, ne trompe personne !

Comment se gèreront les relations entre un éventuel Conseil Régional d’extrême-droite, des conseils départementaux de droite et des villes comme Strasbourg de gauche ? Comment, au-delà du budget 2016 déjà voté, se situera la nouvelle région face aux subventions versées à un certain nombre de manifestations culturelles (comme «Musica», premier festival français de musique contemporaine ou le festival d’été des cultures mélangées «Summerlied» dans la forêt d’Ohlungen) ? Comment survivront certaines initiatives consensuelles (le «mois de l’Autre», le «mois de l’Europe», le «Comité Interreligieux», le «Conseil Culturel d’Alsace» etc….) ?

Des «eurosceptiques» dans Strasbourg, l’européenne ! – Est-il inutile de rappeler, à la veille du deuxième tour des élections régionales, que la future région, élue pour six ans, aura besoin d’une équipe expérimentée compte tenu de la situation économique et des prérogatives que la région aura dans le domaine de l’économie : il ne suffira pas de prétendre «nous sommes prêts», pour que cela soit vrai. Dans une étude qu’il vient de publier, l’Institut Montaigne rappelle les enjeux auxquels L’Alsace, futur élément de la «méga-région» de l’Est devra faire face : la montée du chômage, la crise de l’industrie qui perd des emplois, la progression de l’endettement à un moment où l’état mesure ses efforts, un appauvrissement, une position en France et en Europe qui pourrait s’affaiblir…

L’Institut rappelle aussi l’importance du travail transfrontalier et insiste sur la nécessité de maintenir le rôle de Strasbourg, capitale européenne. Comment se déclinera (et peut-être déclinera !) cette vocation européenne si la région est dirigée par un parti eurosceptique qui songe à sortir de l’Euro voire de l’Union Européenne ? Florian Philippot président de la «Région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne» alors que Strasbourg est le siège de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, du Conseil de l’Europe et du Parlement Européen, institutions que le FN ne cesse de dénigrer et qui, pourtant, représentent (hors consulats ou toutes formes de représentations diplomatiques) près de 3.000 emplois sur place ? Dimanche, 13 Décembre, le deuxième tour des élections régionales 2015 sera décisif : pensez-y !

(1) Le Front National de Jean Marie Le Pen avait tenu congrès à Strasbourg le week-end pascal des 28, 29 et 30 Mars. 2.200 congressistes ont participé à ce Xème congrès, marqué par le défilé anti-FN de milliers de strasbourgeois et par ce geste «symbolique de vengeance» de Jean-Marie Le Pen exhibant sur un plateau la tête en carton de Catherine Trautmann, maire de la ville. Qui s’en souvient, encore, aujourd’hui ?

(2) Le gouvernement a décidé de faire de Strasbourg le «chef lieu» de la région, c’est à dire le siège des services de l’Etat (dont la Préfecture de Région). Reste à déterminer où sera le siège du futur «Conseil Régional».

1 Kommentar zu Le FN va-t-il remporter la Grande Région de l’Est ?

  1. Prétendre que Unser Land a favorisé l’émergence du FN n’est absolument pas recevable, et mettre sur le dos de petits partis (UL mais aussi EELV, le FdG etc…) l’incurie des “grands” partis (entre guillements, car à 16%…) est simplement scandaleux : ceci revient à dire que finalement la diversité politique est un danger pour la démocratie.

    Par ailleurs, ce n’est pas UL qui a affaibli Richert, mais Richert qui s’est affaibli tout seul (comme Masseret, d’ailleurs) et son électorat habituel est allé voire ailleurs : UL, FN, abstention…

    Enfin, dernière remarque, sans cette fusion imposée le FN serait certes haut dans les 3 régions fusionnantes, mais sans réelles risques de se retrouver majoritaire, et dans aucune région (sauf peut-être en Champagne-Ardennes).

    Merci qui?

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