Le grand écart de la justice britannique

Après le premier soulagement suite au refus de la justice britannique d’extrader Julian Assange vers les Etats-Unis, l’analyse du verdict fait quand même froid dans le dos…

Le verdict rendu par la juge Baraitser ressemble un peu à ceci... Foto: Thomas Dwight / Wikimedia Commons / PD

(KL) – La juge Vanessa Baraitser a du avoir des consignes. D’une part, il ne fallait pas extrader le lanceur d’alerte Julian Assange aux Etats-Unis, car une telle extradition aurait fortement terni les relations entre l’Union Européenne et la Grande Bretagne. En même temps, il ne fallait pas non plus froisser les Etats-Unis à un moment où la Grande Bretagne a un besoin capital de conclure un nouveau traité sur les libres échanges avec le grand frère américain. Le verdict rendu lundi par la juge Vanessa Baraitser est le reflet de ce conflit – car en principe, il donne raison aux deux parties.

Quelque part, ce verdict est incroyable. La justice britannique refuse l’extradition de Julian Assange « à cause de son état psychologique » et de la probabilité qu’Assange puisse mettre fin à ses jours en cas d’extradition. Ce que le verdict ne dit pas, c’est que cette fragilité psychologique est le résultat de la torture que les autorités britanniques ont infligé au plus célèbre des lanceurs d’alerte. C’est le chargé spécial de l’ONU, le Suisse Nils Melzer, qui a qualifié le traitement de Julian Assange de « torture », selon les standards en vigueur au niveau international. Il faut en déduire quoi ? « Heureusement que les Britanniques aient torturé Julian Assange, car sinon, il aurait été expulsé vers les Etats-Unis ? » Probablement oui, car sans cet état psychologique fragilisé, la cour aurait décidé autrement.

En ce qui concerne les allégations américaines, la juge Vanessa Baraitser a donné raison aux Etats-Unis. Sous des conditions « normales », a souligné la juge, « rien ne se serait opposé à une extradition ». Comprendre : les journalistes continueront à être poursuivis s’ils publient des choses qui dérangent les gouvernements. Comme par exemple, les publications des crimes de guerre américains par WikiLeaks. Donc, ce verdict ne protège en rien la liberté de la presse ou des lanceurs d’alerte, mais au contraire, il valide les poursuites engagées contre des journalistes et lanceurs d’alerte. Tout en ayant trouvé un prétexte pour ne pas jeter Assange aux lions.

Ce verdict, en fin de compte, ne fait que cimenter les menaces qui planent au-dessus des journalistes qui exercent leur métier en âme et conscience et en dehors des circuits de la « presse présidentielle ». Le journalisme est respecté, tant qu’il s’occupe de la diffusion de la « communication politique », mais dès qu’il quitte les sentiers battus de cette communication politique, il est menacé. En Europe comme ailleurs.

Pour l’instant, on attend aujourd’hui une nouvelle décision de la cour anglaise. Car en attendant, Julian Assange est toujours en prison et ses avocats ont déposé une demande de libération sous caution. Sachant que le parquet et les Etats-Unis ont fait appel contre la décision de la juge Baraitser, nous ne sommes pas à une mauvaise surprise près.

La liberté de la presse continue à être sérieusement menacée et avec elle, l’un des piliers indispensables au bon fonctionnement d’une démocratie. Si la justice britannique décide finalement de libérer Julian Assange, cela empêcherait au moins un crime sans nom (aux Etats-Unis, 175 ans de prison attendent Julian Assange), mais cela ne constituerait en rien une protection de la liberté de la presse. Il serait temps que l’Union Européenne prenne –enfin !- de vraies mesures pour protéger les lanceurs d’alerte et les journalistes, au lieu de détourner le regard à chaque fois qu’il serait important de se faire entendre.

Espérons qu’Assange soit effectivement libéré et qu’il puisse enfin quitter la Grande Bretagne qui elle, ne partage visiblement plus aucune « valeur européenne ».

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