Le Grønland dans le caddie de Trump

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Un Tupilak qui ne ressemble pas plus à Trump qu'à... d'autres dirigeants Foto: Knud Rasmussen/Wikimédia Commons/ CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Donald Trump, en fin de semaine dernière, a proposé plus ou moins explicitement aux Danois de leur acheter le Groenland. Au lieu de dire : encore une incartade de ce foolish dummie, il serait plus intéressant de s’interroger sur la signification effective de cette proposition. Cela suppose qu’on place cette suggestion d’achat dans une perspective historique, et qu’on se pose la question fondamentale, qu’aucun journaliste n’a encore posée : qu’est-ce que le Grœnland pour les Danois – et surtout, qu’est-ce que le Danemark pour les Grœnlandais ?

L’idée d‘un achat du Grønland par les Américains n’est pas si folle que cela. D’abord, elle s’inscrit dans une longue suite de pratiques boutiquières. Cette proposition a déjà été adressée au Danemark en 1946 – époque où, à notre connaissance, le Président états-unien n’était pas un républicain fou. Par ailleurs, l’Alaska a été acheté à la Russie en 1867, pour l’équivalent de 120 millions de dollars actuels. Et puis la France, plus exactement le premier consul Napoléon Bonaparte, s’est débarrassé de cette immense portion de territoire américain qu’on appelait Louisiane ou Nouvelle-France (bien plus vaste que la Louisiane actuelle, le 1/3 environ de l’ensemble du territoire) pour le céder aux Etats-Unis. Ce qui est autrement plus stupide et plus absurde ! Et, à propos : la France a acheté la Corse aux Génois en 1768 : ce qui a permis à Napoléon de naître français l’année suivante, et de faire le zouave dans toute l’Europe durant une quinzaine d’années.

L’achat de vastes terres avec leurs habitants d’ssus est donc une pratique répandue, fréquente dans l’histoire passée. La suggestion de Trump, une fois de plus, n’est que la crête grotesque et grimaçante de l’arrogance et de la folie des politiciens.

Pour ce qui concerne le Grønland et le Danemark, la puissance de tutelle s’est appropriée la grand île arctique entre le 17° et le début du 19° siècles, favorisé en cela par son hégémonie croissante sur la Norvège, et paradoxalement, par sa faillite de 1814. Mais qu’est-ce que le Grønland pour les Danois ? Une terre plutôt lointaine, et assez indifférente. Au fil des derniers siècles, il servait surtout à se débarrasser des pasteurs à la main leste et/ou alcooliques (lire Henrik Pontoppidan, entre autres). Inversement, les Inuit qui essayaient de s’installer au Danemark connaissaient généralement déceptions et déclassement : presque tous se formaient dans l’équivalent d’un lycée technique, à Copenhague, et connaissaient ensuite le chômage. Longtemps, les seuls mendiants qu’on pouvait voir dans les grandes villes danoises étaient immanquablement des Inuit grønlandais.

Et les ressources du sol et du sous-sol ? Eh bien, elles sont très difficiles à exploiter, et leur exploitation d’un coût qui serait absolument astronomique. La plupart des dirigeants des partis politiques grønlandais le savent, et leur revendication indépendantiste commune est très largement démagogique : disons clairement qu’en l’état des choses, un Grønland indépendant ne serait pas viable.

Alors : acheter le Grønland ? Mais compte tenu de ce que nous venons de rappeler, qu’en pensent les 56 000 Grønlandais eux-mêmes ?Personne ne le leur a encore demandé !  Le Danemark plutôt que les Etats-Unis ? Mais pourquoi ?

Peut-être bien ne considèrent-il pas cette proposition d’un si mauvais œil. La société grønlandaise ne va pas bien. Elle est ravagée par l’alcool, les drogues, la violence (surtout à Nuuk, la « capitale »).Tout comme les habitants de l’Alaska où s’ajoute cependant le cauchemar des armes à feu américaines, omniprésentes. Mais les Grønlandais, au moins les dirigeants des « grands » partis Siumut (sociaux-démocrates) et Inuit Ataqatigiit (socialistes), ont certainement envisagé la question dans une perspective plus positive, celle qui les intéresse : dans cette époque de fonte des glaciers déjà bien entamée, l’exploitation des ressources sera grandement facilitée. Et les monstrueux Etats-Unis d’Amérique disposent de moyens infiniment plus importants que le petit Danemark malgré sa prospérité et son dynamisme.En conséquence, la prospection géologique et minière connaîtrait probablement une impressionnante accélération.Et les habitants de l’Ile n’en profiteraient ils pas ?

Voilà qui permet de considérer la question sous un angle très différent de ce qu’on peut lire dans la presse un peu engluée dans diverses sauces. Demandons aux Inuit ce qu’ils en pensent. En d’autres termes, l’obstacle principal est politique : Trump se fiche bien de perdre la face, mais nullement les autorités politiques danoises.

Nous aurions une autre proposition à adresser à Donald Trump : qu’il achète l’Alsace, ce qui lui permettrait de régler enfin ce problème absurde du rattachement à une région ineffective et inefficace qu’en France, on appelle le Grand Est.

 

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