Le ras-le-bol des agriculteurs allemands

En Allemagne comme en France, les agriculteurs sont en colère. Lors d'une manifestation géante à Berlin, ils ont fait savoir leur mécontentement.

8600 tracteurs ont bloqué les routes de la capitale allemande mardi - la gronde des agriculteurs. Foto: Membeth / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(KL) – Mardi, à Berlin, rien n’allait plus. 8600 tracteurs venus de toute l’Allemagne bloquaient la circulation pour manifester leur mécontentement. Dans le collimateur des agriculteurs : la politique agricole européenne et nationale, un concept d’agriculture erroné, les conditions de vie et le « bashing » dont ils font l’objet.

Les agriculteurs en ont marre – on les tient responsables de l’empoisonnement de la nappe phréatique, de la mise en péril de la biodiversité, de la maltraitance animalière. Mais force est de constater que l’agriculture est très diversifiée. Ce sont les méga-structures agricoles, surtout dans la plaine du nord de l’Allemagne, qui sont effectivement responsables de cette mauvaise image, et paradoxalement, ce sont eux qui encaissent le plus clair des subventions agricoles, ce qui les renforce logiquement dans leurs mauvaises pratiques. Les agriculteurs régionaux, surtout dans la filière bio, souffrent de la sur-réglementation du secteur.

« Je travaille 70 heures par semaine, dont je passe la moitié au bureau à remplir des rapports, et ce temps-là, je ne le passe pas sur mes champs », dit un agriculteur bio du sud de l’Allemagne, « le tout pour gagner moins que le salaire minimum ». Le problème se situe dans la conception même de la politique agricole qui est dirigée non seulement par la politique, mais surtout par la pression des grandes chaînes de distribution qui paient tout juste le prix de revient aux agriculteurs.Ceux-ci se trouvent face à des investissements énormes. « Un grand tracteur coûte autant qu’une petite maison », dit cet agriculteur qui est en train de rembourser péniblement ses crédits pour une étable. « Il suffit du moindre incident, par exemple météorologique, et nous ne gagnons même plus assez pour faire vivre nos familles. »

La politique agricole favorise en effet les grandes structures agro-industrielles. Là où de telles structures comptant jusqu’à 100 000 têtes de bétail sont exploitées, on commet tous les méfaits pensables dans l’agriculture. Destruction des sols et de la nappe phréatique, conditions d’élevage brutales, utilisation de produits nocifs pour l’environnement, sans parler de problèmes sociaux énormes : nombre de ces structures emploient des « auto-entrepreneurs » souvent originaires des pays de l’Est, qui travaillent à raison de 5 ou 6 € à l’heure. Les entreprises ne paient donc pas de cotisations sociales, et ce problème va jusqu’à fausser la concurrence européenne.

Pourtant, ce sont ces structures agro-industrielles qui encaissent le plus clair des subventions européennes et nationales qui, elles, sont généralement calculées sur la taille de l’exploitation. La formule est simple : plus l’exploitation est grande, plus elle obtient des subventions et plus elle constitue un poids environnemental.

Pendant ce temps, les petites exploitations agricoles luttent pour la survie. « Les prix du bio ont tellement baissé qu’il faut réfléchir si les efforts supplémentaires que nous fournissons valent vraiment la peine », dit un autre agriculteur qui estime qu’en l’état, « il serait irresponsable de transmettre ma ferme à mon fils ». L’agriculteur bio, responsable et respectueux de l’animal et de l’environnement, est en danger.

Ces problèmes sont liés. Les consommateurs ne peuvent pas s’attendre à acheter un poulet pour 2,99 € dans un discounter en demandant en même temps que ce poulet ait eu une vie heureuse dans les prés. L’appauvrissement d’une grande frange de la population augmente le besoin en produits agricoles peu chers, et par conséquent, les chaînes de distribution pressent les agriculteurs jusqu’au dernier cent.

L’effort administratif, intensifié par des directives, règlements et lois européennes et nationales qui changent en permanence, étouffe les petits agriculteurs qui peinent également à remplir, soumettre et suivre les requêtes de subventions. Les grandes structures, elles, emploient des experts qui savent exactement comment obtenir le maximum de subventions. Résultat : la politique favorise exactement le type d’agriculture qu’elle ne veut pas, au détriment de l’agriculture régionale et bio tant plébiscitée.

Derrière ce modèle d’affaires erroné se trouvent, bien entendu, les lobbies du secteur agro-industriel qui comprend aussi les lobbies chimiques et autres. « Ne parlez pas de nous », a-t-on demandé à Berlin, « parlez avec nous ». Il serait important d’intensifier le dialogue non pas avec les lobbies, mais avec les fédérations des agriculteurs. Autrement, l’hécatombe des petites exploitations agricoles continuera. Et nous paieront tous le prix fort.

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