Le Rojava : la fin d’une expérience encombrante ?

L’alliance Etats-Unis-Turquie-DAESH contre l’espoir

Le Rojava (50 000 kms carrés) Foto: Kurdische Gemeinde Deutschland e.V.

(Marc Chaudeur) – Cette semaine, c’est sans doute la fin d’un monde. Le monde d’une expérience politique, d’une forme d’organisation sociale précisément voulue et pensée, l’édification d’une forme de paix, d’égalité et de justice (la justice a d’ailleurs toujours à voir avec l’égalité…). L’armée de Bachar Al Assad s’est à nouveau installée là, avec l’assentiment résigné et navré des Kurdes dans cette partie de leur propre pays.

Les origines de Rojava s’enracinent dans les longues décennies durant lesquelles les Kurdes ont essayé, le plus souvent les armes à la main, de construire l’État qui devrait échoir à ce peuple immémorial – aucune solution fédérative d’aucune sorte n’avait une quelconque ombre de chance de se réaliser, ni en Turquie (la Turquie « moderne », à commencer par Atatürk, s’est directement inspirée du modèle ultra-centraliste français), ni dans les autres Etats, les uns baasistes, l’autre (l’Iran) théocratique. Et la lutte des Kurdes a largement essayé de mettre en œuvre des conceptions socialistes égalitaires, fraternelles et féministes – d’où l’importance iconique qu’ a pris dans cette lutte la figure de la Combattante.

Le Rojava s’est construit à la force du poignet, et elle principalement l’œuvre du PYD, alter ego du fameux PKK de Turquie. Contre le pouvoir autocratique des Assad, dans cette partie du Kurdistan qui « appartient » à l’État syrien – mais qui pourtant, à terme, a accepté l’idée d’une autonomie kurde, en 2017 – tout en refusant la retenue d’un référendum sur l’indépendance. Contre le groupe tronc du mouvement kurde, le Conseil national kurde de Massoud (Mezut) Barzani, plus traditionnellement nationaliste… Et contre le reste du monde, puisque la région fédérale mise en place dès 2013 a été refusée par la Syrie, l’État voyant la chose lui échapper, par les Etats-Unis et la Turquie,… et par les mouvements de guérilla anti-Assad !

Rojava, c’est un peu l’Espagne de 1934-36 : elle s’inspire des conceptions d’un théoricien libertaire, Murray Bookchin, qu’on appelle municipalisme libertaire : laïcité, conseillisme, écologisme, égalitarisme, parité hommes-femmes, respect des minorités. Les minorités culturelles, certes, ne manquent pas au Rojava : Yezidis, Turkmènes et tant d’autres, et dans la « capitale », Qamishlo, de nombreux Assyriens chrétiens – les premiers persécutés par DAESH aux jours les plus tragiques. Utopie ? Non : mise en œuvre pragmatique de la liberté et de la fraternité.

Hélas ! Les événements actuels signifient sans doute la fin de cette tentative que les Occidentaux n’ont pas soutenu, exceptés les nombreux militants qui venaient du monde entier aider les Kurdes du PYD et de son bras armé, les YPG. La situation est tragique : alors que l’armée syrienne se trouve déjà à quelques kilomètres de la frontière turque, que l’armée d’Erdogan a pris plusieurs villes et qu’au moins 160 000 personnes sont déjà déplacées, comment les Kurdes du Rojava pourront-ils poursuivre leur expérience politique ?

Interrogée aujourd’hui par Eurojournalist(e), Meryem Tekiner, porte-parole de l’association Zin pour les femmes (Mouvement des Femmes kurdes de Strasbourg) et responsable de l’excellent blog Kurdistan au féminin, reprend la déclaration du commandant des FDS (Kurdes des YPG plus rebelles arabes) : « Si nous devons choisir entre les compromis et le génocide de notre peuple, nous choisirons évidemment la seconde solution »… Meryem constate l’indifférence apparente de l’Union Européenne depuis plusieurs années, et son impuissance face au pouvoir de plus en plus dictatorial d’Erdogan. En outre, elle fait remarquer que par intérêt, ni les Etats-Unis, ni la Turquie ne souhaitent la paix et l’entente au Kurdistan ; et bien évidemment, la Turquie ne souhaite nullement que la zone kurde indépendante de Syrie inspire les Kurdes chez elle. A fortiori la mise en œuvre sur son territoire du Confédéralisme démocratique que propose le PYD !

Et les Kurdes des autres pays de la région ? Meryem fait remarquer qu’en Irak, le vieux chef Mezut Barzani a appelé la Turquie à arrêter l’invasion – et que samedi dernier, les Kurdes d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Iran ont manifesté ensemble partout dans le monde.

Pour la militante kurde, l’UE doit absolument sanctionner la Turquie. L’UE est-elle en train d’oublier les principes mêmes sur lesquels elle s’est bâtie ? Depuis 6 jours, la Turquie bombarde et massacre la population civile sans aucune réaction concrète de sa part. L’UE oublierait-t-elle les raisons mêmes de son existence et la justification de celle de ses institutions ?

 

 

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