Le rôle du médecin par temps de Covid-crise

Tribune libre du Docteur Georges Yoram Federmann qui, comme souvent, met le doigt là où ça fait mal...

Médecin, psychiatre, auteur, grand humaniste - le Docteur Georges Yoram Federmann. Foto: Eurojournalist(e)

(Par le Docteur Georges Yoram Federmann) – Je tente de faire reconnaître ce que j’appelle « le droit à l’hospitalité » dans le cadre de la fonction et de la pratique du médecin. Une hospitalité comme système, non seulement de valeurs, mais appliqué au droit humain, au droit institutionnel.

La manière dont nous offrons l’hospitalité, dans nos cabinets, aux patients vulnérables, nous aide aussi à améliorer l’accueil de tous les autres. Dans « Le Serment de Yoram » (préface par le Dr Lionel Comte), publié dans la collection « Prophète en son pays » en Mai 2020, j’expose ce que j’estime devoir être le rôle politique du médecin.

Je considère que le médecin doit adopter une véritable position « d’écologie médicale ». Cela consiste à faire de l’exercice de l’art médical, une aide à l’art de vivre en équilibre en société des hommes et en responsabilité vis-à-vis du monde qui nous entoure.

En définissant le rôle du médecin, garant de la bonne santé mentale d’une société, j’adresse un message aux citoyens :

Je nous invite à nous débarrasser de nos croyances pour cheminer un peu plus vers la transcendance : transcendance dans la relation aux autres, transcendance dans la perception de la réalité. Je propose de dépasser la représentation sociale qui assigne à chacun une place immuable.

Je nous invite à voir la relation avec les autres en dehors de tous ces apparats que sont les conformismes, les classes, les jugements, les classifications et les nosographies médicales mêmes.

A l’heure des confinements imposés par l’épidémie de Covid-19, de la course effrénée aux vaccins, du port systématisé du masque, de la distanciation relationnelle et sociale, je souligne, pour le dénoncer et proposer de le réformer, le fait que les médecins, et plus généralement les soignants, sont formés, avant tout, à la logique causale et linéaire des maladies : lecture diagnostique des symptômes jusqu’aux traitements pharmacologiques. Participer à « construire le monde d’après » consisterait simplement à privilégier l’écoute de la subjectivité, unique, d’autrui et à inscrire son accueil bienveillant dans un projet de prévention et d’éducation à la santé qui ferait de l’usager, un acteur vigilant et actif de la préservation de sa propre santé et de son rapport équilibré avec la nature qui l’entoure et le nourrit.

« Rendons la Médecine de Ville plus hospitalière et accueillante » – Comment ? « Médecins du Monde » fait partie de notre paysage médico-social et caritatif comme une évidence. Et si l’épidémie du Covid-19 nous permettait de lui tordre le cou et de faire le pari collectif de l’accueil inconditionnel en cabinet de médecine en ville ? Si difficile à tenir ? Pas sûr, vraiment !

L’épidémie de Covid-19 a donné lieu, dans le milieu médical, sanitaire et social, à des élans de solidarité inédits et spontanés. Si nous considérons, en effet, que la qualité morale d’une société se mesure à la manière dont elle prend soin durablement des personnes les plus vulnérables, verra-t-on survivre la solidarité à la fin du confinement ?

Sera-ce un feu de paille ou aurons-nous assisté à l’émergence d’une prise de conscience solidaire durable et profondément inscrite dans de nouveaux comportements orientés vers une forme d’hospitalité inconditionnelle dans les cabinets de médecins et de soignants, libéraux ? Si oui, cela marquera alors la fin de « Médecins du Monde » dont les membres seront alors les premiers à s’en réjouir.

Qu’est-ce qui fait que des médecins libéraux peuvent refuser, « avant la crise », de recevoir des traumatisés, des réfugiés pour les orienter, « sans remords », vers « Médecins du Monde » ou vers les urgences hospitalières ? Cette défaillance éthique est l’échec collectif de notre système. Je le vois dans la « prospérité » de Médecins du monde, et dans l’absence de réactivité de la corporation médicale, psychiatres libéraux compris. Tous ceux qui ne pensent même pas à mutualiser leurs forces, pour proposer l’accueil dans les cabinets.

Quel regard portons-nous sur Médecins du monde ? – Localement, les collègues de « Médecins du Monde » font un travail remarquable. Il faut noter que la plupart des gens qui y travaillent, sont des retraités ; parmi les praticiens, il y a peut-être deux ou trois collègues en activité ; au niveau idéologique, c’est un petit peu l’esprit du travail caritatif. « Médecins du Monde » multiplie ses actes depuis quelques années avec un soutien financier de l’Agence régionale de santé (ARS) réduit.

Cela pose alors la question de la qualité des soins : les soins qui sont octroyés à « Médecins du Monde » sont de bonne qualité, mais pas de la meilleure possible qu’on puisse offrir à des gens qui sont quasiment tous dans des situations de très grande précarité psychologique ou psychiatrique. Ainsi, malgré les efforts consentis par les collègues de « Médecins du Monde », une médecine de second plan s’est installée, dont l’existence ne pose problème à personne. La demande de « Médecins du Monde », ce n’est pas de s’auto-dissoudre, mais d’avoir plus de moyens, donc « Médecins du Monde » lui-même ne pose pas nécessairement la question idéologique. Et les autres praticiens le considèrent comme un partenaire obligé,  faisant maintenant partie du paysage social de l’offre de soins alors qu’en fait, c’est une pratique qui, d’un point de vue idéologique, est scandaleuse dans la mesure où nous avons les moyens, j’en suis persuadé, de pouvoir traiter, dans le système libéral ou le système hospitalier, dans les meilleures conditions possible, la demande, somme toute, d’une population qui doit se compter à hauteur de quelques centaines de milliers de personnes, pas plus.

Ce serait un défi extraordinaire de poser la question qui est liée à chaque fois à l’idéologie de la corporation médicale : à quoi servons-nous ? Est-ce que nous, médecins, ne sommes destinés qu’à être des régulateurs sociaux, certes aptes à réaliser une médecine de premier ordre pour nos « clients » demandeurs et payants, mais au prix d’une discrimination par défaut, qui nous ferait ne plus voir une partie très importante des citoyens de résidence de notre pays ? C’est comme si nous étions capables d’une sorte de cécité sélective, qui nous rendrait une partie « des citoyens de résidence » comme transparents et relevant de la médecine caritative alors qu’en fait, il suffit, quand on vit dans une ville comme Strasbourg, de s’immerger un tout petit peu dans le milieu associatif spécialisé – les associations qui accompagnent les demandeurs d’asile, la « Cimade » ou « Casas » par exemple- pour constater qu’un accueil et un suivi de ces populations peuvent se faire en cabinet.

Donc ma préoccupation est la suivante : qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui en France, le médecin ne se comporte pas comme un citoyen au plus près des réalités qui génèrent la souffrance et pourquoi ne s’intéresse-t-il pas aux mécanismes générateurs de souffrances psychologiques que sont les processus de marginalisation et d’exclusion ?

Aujourd’hui, quand tu es médecin, tu regardes la télé ou tu lis les journaux et tu ne peux pas ne pas voir qu’à Strasbourg, tu as plusieurs milliers de demandeurs d’asile chaque année et qu’est-ce qui fait que tu ne te poserais pas la question de leurs soins, sauf à penser ingénument que l’aide que l’État octroie, est suffisante pour permettre à ces gens de couler des jours heureux, au moins le temps de la demande d’asile…

L’objectif des gouvernements (en tout cas le résultat de leur politique), depuis vingt ou trente ans, c’est vraiment de désespérer une partie de cette population et de la maintenir dans un état de non-droit, avec à l’expérience le constat que nous faisons que ces gens finissent généralement quand même par s’intégrer, au prix de mille souffrances. Les demandeurs d’asile déboutés que nous accompagnons et qui sont tombés dans la clandestinité ou ceux qui sont clandestins d’emblée, peuvent prétendre, vous le savez, à être régularisés après dix ans de présence continue sur notre territoire. C’est en quelque sorte la prime à la persévérance !

On pourrait aussi longuement parler des usagers nationaux vulnérables, bien sûr. Aussi, j’aimerais profiter de ce temps inédit de confinement qui suscite tant de compassion pour poser la question politique de l’utilité de « Médecins du Monde ». Pourquoi ne pas faire cesser, tous ensemble, le scandale de sa permanence, depuis des décennies ? Militons pour favoriser l’accueil des vulnérables (et nous avons tous été des vulnérables potentiels durant cette épidémie, d’une certaine manière) dans nos cabinets ; faisons-le savoir.

Rendons la Médecine de Ville plus hospitalière et accueillante, intervenons pour favoriser une bien meilleure dotation de la Permanence d’accès aux soins de santé (PASS)(1)

Et en attendant « sa disparition » (théorique pour l’instant), soutenons « Médecins du Monde » et son centre d’accueil, de soin et d’orientation (CASO), dans sa fonction d’intermédiaire entre les usagers vulnérables et la PASS et la médecine de ville pour qu’il soit encore mieux doté par l’ARS, plus affûté dans ses interventions et plus soutenu par le réseau médical libéral en termes d’accueil des orientations(2).

Notes :

1. http://www.chru-strasbourg.fr/Vous-etes-patient/Vous-venez-en-consultation/Situations-particulieres/PASS-La-boussole
2. https://www.medecinsdumonde.org/fr/pays/france/centres-accueil-soins-orientation-caso

On peut se faire une bonne idée du contenu du livre en allant sur :

https://www.facebook.com/pg/Librairie-Kl%C3%A9ber-Salle-Blanche-348222038542101/posts/
https://judaismeenmouvement.org/index.php/2020/04/15/journee-du-livre/
http://judaisme.sdv.fr/perso/gyfeder/serment.pdf

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