Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, réélu.

Le temple de la démocratie, ébranlé.

La manière dont Thorbjorn Jagland a été réélu a été vivement critiquée. Où va le Conseil d'Europe ? Foto: © Claude Truong-Ngoc

(Par Antoine Spohr) – Droits de l’Homme et Démocratie, les raisons d’être du Conseil de l’Europe depuis 65 ans, ne régissent pas le fonctionnement interne de l’Institution. Le Conseil de l’Europe se meurt lentement. «Mais non», dit un journaliste très assidu, «pour mourir il faut être vivant».

En effet, quel fut son rôle au Maidan à Kiev où le Conseil et son «patron» ont été impuissants sans doute faute d’un investissement fort truffé d’atermoiements sans force face à la force, à l’intérieur de la même famille des 47 Etats qui pourtant ont réclamé librement leur adhésion, y compris la République Fédérale de Russie et l’Ukraine ? L’UE (les 28) a été bien plus présente et efficace et a concrétisé ainsi son ambition de prendre le relais du Conseil de l‘Europe, en lui ravissant ou au moins en les complétant avec davantage de vigueur, ses missions très spécifiques.

Une élection bizarre, frustrante pour des parlementaires authentiques. – 156 voix pour le sortant Thorbjorn Jagland contre 93 voix pour Sabine Leutheusser-Scharrenberger. Deux candidats seulement (la pluralité est exigée car on est à 47tout de même !) présentés par la Norvège et l’Allemagne. Un troisième candidat français, Jean-Claude Mignon (président sortant de l’Assemblée Parlementaire, très estimé par les parlementaires), avait été évincé pour aucune autre raison que celle de n’avoir pas occupé de fonctions ministérielles, condition qui n’est requise dans aucun texte mais, prévaut selon une sorte d’usage récent et opportun…

Curieusement aussi, il faut passer par le SAS du conseil des ministres (entendez, les représentants permanents en poste à Strasbourg), pour accéder à la candidature soumise aux 318 parlementaires. Cette fois les Russes, sanctionnés pour l’invasion de la Crimée, n’ont pas eu voix au chapitre. Dur, dur pour le vilain Poutine !

Les deux candidats ont donc fait leur campagne, normale pour l’Allemande, mais très active pour l’ancien premier ministre norvégien, même abusive selon certains comme ce parlementaire français, François Rochebloine, député de la Loire, dont les remarques fort pertinentes ont probablement mieux été partagées par les observateurs voire le personnel que par nombre d’eurodéputés, pas forcément choisis pour leur connaissance affutée des affaires européennes.

M. Rochebloine, verbatim (avant le vote) : Comme chacun le sait ici, la vocation du Conseil de l’Europe est de promouvoir parmi ses membres le respect des libertés publiques et, parmi celles-ci, des règles élémentaires de la démocratie politique. Dans cette tâche, les organes du Conseil de l’Europe font preuve de pédagogie, et il leur arrive souvent de donner des leçons à des gouvernements et à des parlements souverains, dans l’intérêt supérieur de nos valeurs communes. Encore faut-il, pour que ces leçons soient crédibles, que le fonctionnement interne de l’institution obéisse le plus exactement possible aux règles qu’il prescrit de mettre en œuvre.

Est-ce le cas en ce qui concerne l’élection du nouveau Secrétaire Général du Conseil de l’Europe ? Je ne le pense pas. La première condition d’une élection libre est la pluralité des candidats. Or, il a été dit avec insistance que le Comité des ministres avait été tenté de ne proposer aux suffrages de l’Assemblée parlementaire une seule candidature, celle du Secrétaire Général sortant, procédé qu’il faut écarter par principe, sauf à transformer l’élection en désignation plébiscitaire.

La deuxième condition est la liberté d’expression des candidatures, sauf inéligibilité notoire tirée de l’âge, de l’indignité ou de l’incapacité. Les limitations apportées à la faculté de se présenter aux suffrages sont d’interprétation stricte. Le principe s’applique aussi aux élections pour lesquelles existe un droit de présentation, comme dans le cas qui nous occupe en cet instant. Le Comité des Ministres ne peut pas se livrer, comme il l’a fait pour l’élection du Secrétaire Général, à une évaluation détaillée des mérites de tel ou tel candidat, sans empiéter sur la compétence souveraine de l’Assemblée parlementaire. Le Comité ne peut qu’écarter – et encore, avec précaution – que les candidatures manifestement irrecevables. Il ne peut donc pas opposer d’irrecevabilité à un ancien Président de l’Assemblée parlementaire, homme politique expérimenté et de surcroit soutenu par un Gouvernement dont ce candidat ne partage pas les opinions dans la vie politique intérieure -il s’agit là de la candidature de Jean-Claude Mignon, député UMP, proposé par un gouvernement socialiste-. Une décision contraire –politique et non juridique– revient à promouvoir une candidature officielle, procédé banni et honni par notre commission de suivi dans toutes ses activités d’observation des élections dans les Etats membres.

Enfin, les autorités politiques et administratives dont dépend l’organisation de l’élection doivent respecter une stricte égalité de traitement entre les candidats. Un candidat ne doit pas retirer un avantage indu de l’exercice de fonctions officielles, spécialement quand il se présente à sa réélection. Or, le comportement du secrétaire général sortant au cours des derniers mois de son mandat n’est pas très conforme à ces exigences démocratiques élémentaires. On me pardonnera de saluer un peu ironiquement son intérêt soudain et inédit ces derniers mois pour les activités des instances de notre Assemblée. Cela s’appelle, dans les démocraties imparfaites que nous aidons de nos conseils, une candidature administrée.

Commençons par nous appliquer à nous-mêmes les règles dont nous déplorons à longueur de débats que d’autres les méconnaissent. Je trouve inacceptable, Madame la Présidente, que nous ayons reçu aujourd’hui même du Secrétaire Général une invitation à une réception donnée mercredi, alors que l’élection aura lieu demain. C’est scandaleux, c’est inadmissible !

C’est dit. Tout y est. Ce serait donc encore une occasion de s’indigner ou même de dire «Non». Non ? «Vous indignerez-vous, collègues vertueux, soucieux de l’avenir des Droits de l’Homme et de l’exercice toujours perfectible de la démocratie», aurait pu ajouter le député Rochebloine.

Sinon qui donc s’indignera ici, sauf quand il s’agit de ce qui se passe ailleurs, au loin. On missionne alors commissions et présidents, secrétaires et experts pour inonder la presse d’informations forcément auto-censurées ou au moins forcément subjectives.

Mesdames et messieurs les députés délégués par leurs Etats «nationaux» votent–ils en conscience, en connaissance et surtout librement ? Les pauvres, savent-ils que le Conseil de l’Europe perd en permanence de sa crédibilité par manque de «punch» et d’une direction au sommet, incontestable, reconnue pour ses engagements, si possible un tant soit peu charismatique autrement que par un physique de Western américain, en second rôle bien sûr.

Mourir, non ! Pas possible, en dépit de la prophétie laconique de Paul Valéry, mais s’imposer, quitte à devenir une sorte de Sénat ou de Haute Assemblée plus incitative qu’exécutive. Aux côtés de l’UE ? Pourquoi pas.

«Passent les jours et passent les semaines…, je demeure». Le pont Mirabeau cède peu à peu sous le poids des promesses de fidélité cadenassées. C’est beau même si ce n’est pas toujours entièrement et absolument possible. Quand on le peut, on s’indigne, c’est bien le moins ! Pour sauver la démocratie, du moins l’idéal.

1 Kommentar zu Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, réélu.

  1. Je dois ajouter à l’endroit des lecteurs allemands particulièrement, que la candidate allemande ( quand même 93 voix ) a été vivement félicitée et remerciée, non pas pour son score mais tout bonnement pour s’être présentée. Imaginez que non .

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