Le Syndrome de Truchtersheim

Des gaffes pleines de sens

Dame Viorica a gaffé Foto: Mark Neyman / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0

(MC) – Le 19 janvier 2011, le président de la République, Nicolas Sarkozy, se trouve en visite à Truchtersheim. Trois mois plus tôt, il a commencé à prendre des cours intensifs avec Marlyse Riegenstiehl pour arriver à prononcer le nom de ce charmant village de notaires et de fanfares oumpapas. Raison pour laquelle, arrivé dans la capitale du Kochersberg, le malheureux président, dont les tiroirs cérébraux sont quelque peu obturés par ce dur labeur, s’exclame, tout euphorique :   « Je suis ravi de me trouver en Allemagne ! » On devine les réactions dans la belle Alsace, avec ses frais vallons…

Voici quelques jours, c’était au tour d’une disciple de notre ancien président, la dirigeante roumaine Viorica Dăncilă, de commettre une bourde toute semblable. En visite officielle au Montenegro, Madame Dancila a lancé, ravie comme tout : « Je suis si heureuse d’être à Priština ! »

Une bourde non moins énorme que celle du président Bling Bling ; bien au contraire. Cette bourde témoigne de la même indifférence et du même irrespect envers la géopolitique. La Roumanie est le seul de ces trois pays à faire partie de l’UE.

Priština, c’est la capitale du Kosovo…

Or, le Kosovo n’a pas bonne presse, mais pas bonne presse du tout chez les Monténégrins, dans ce pays coincé entre Croatie et Albanie dont la capitale est Podgorica. Le Kosovo a auprès des Monténégrins l’image d’un pays très arriéré. Ce pays est, à leurs yeux, soutenu à bout de bras par l‘Union Européenne ; et ce, depuis la guerre qu’ont mené les Serbes pour conserver les terres kosovares.

Priština, Podgorica : des villes qui présentent une ressemblance assez prononcée, mais qui se représentent elles-mêmes de manière très différente. La représentation de soi : voilà le hic, dans les Balkans. Ils se ressemblent beaucoup, mais ils se voient complètement différents ; un peu comme les Wallons du Nord et les Flamands du Sud. La différence reconnue, postulée, est essentiellement religieuse : les Kosovars sont majoritairement musulmans, comme dans la Grande Soeur Albanie, et les Monténégrins orthodoxes comme les Serbes. Avec les imprégnations que cela suppose dans le paysage et dans l’architecture, et surtout, les traces profondes et immémoriales qu’ont laissé les guerres contre l’Empire ottoman, notamment lors de la célèbre bataille de Kosovo Polje, en 1389, sur le Champ des Merles – si magnifiquement chanté par le grand écrivain albanais Ismail Kadare, grand partisan de la Paix.

Voilà surtout le hic : c’est que les Monténégrins sont très proches des Serbes, et que beaucoup de Serbes vivent et continuent à vivre au Monténégro après l’indépendance proclamée en 2006. L’Église orthodoxe serbe joue d’ailleurs un rôle essentiel dans les décisions politiques du gouvernement. Elle rivalise lourdement avec l’Eglise autochtone. Car cette dernière est devenue autonome après plusieurs décennies de revendication à l’autocéphalie et une âpre lutte contre petits privilèges et grandes possessions foncières de l’Église serbe. Le métropolite serbe Amfilohije ne cessait de clamer, dans les années 2000 et après l’indépendance,que le Monténégro n’avait aucune identité nationale. La situation « ethnique » est donc à la fois simple et complexe : fusion partielle, donc, et rivalité fraternelle.

Mais qu’en est-il de ces deux capitales ? Certes, Podgorica est beaucoup plus prospère que Priština, malgré l’aide internationale massive apportée à cette dernière. Le tourisme risque fort d’y dépasser tous les records, malgré de puissants remous mafieux (trafic de cigarettes, crime organisé lié assez étroitement au gouvernement,…). Priština, quant à elle, connaît un exode massif des forces jeunes, quelques tentations islamistes fort inquiétantes, et une absence tout aussi massive d’investissements. Et si à Podgorica, la violence est surtout criminelle, à Priština, elle risque fort de redevenir politique comme dans les noires années 1990 : certaines autorités religieuses orthodoxes ont même mis en garde plus ou moins explicitement les autorités internationales contre un risque grave de montée de la violence entre les Serbes du Nord de la ville et les Albanais du Sud. Violence orchestrée, selon elles, par quelques chefs de clans serbes.

Podgorica n’est donc pas Priština, non non. Madame Dăncilă, ne dites plus jamais cela !

 

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