Fêter le Traité de Trianon ?

Entre Hongrie et Roumanie, l’ombre des vampires

Le Château de Bran, Törzburg, Törcsvar en Transylvanie Foto: Dobre Cezar/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/3.0Romania

(Marc Chaudeur) – Un anniversaire contrasté que ce centenaire du Traité de Trianon, le 4 juin 1920 : célébration pour la Roumanie, qui en 1990 a fait de l’union de la Transylvanie au pays un motif de fête nationale ; mais commémoration tragique et qui se voudra telle pour Orbán et la Hongrie qui a perdu alors 2/3 de son territoire et le tiers de sa population magyare. Certains vont s’employer à faire brûler le torchon entre les deux pays.

Pourquoi les députés roumains, le 13 Mai, ont-ils donc décidé à une très importante majorité (235 favorables contre 46 opposés et abstenus) de faire du 4 juin « le Jour du Traité de Trianon » ? Fallait-il absolument en rajouter ? Car depuis 1990, la fête nationale roumaine a elle-même lieu le 1er décembre, célébration de ce jour de 1918 où une résolution des députés roumains avait décidé, à Alba Iulia (Transylvanie) de garder pour butin la Transylvanie. On fête donc deux fois la défaite de son voisin, rival et frère siamois ?

Le butin était de taille : la Hongrie a perdu alors 2/3 de son territoire, certaines parties ayant échu aussi à la nouvelle République tchécoslovaque et à la future Yougoslavie. Elle a perdu aussi 3,3 millions d’habitants magyars : plus de 30% de la population s’est ainsi retrouvée en dehors des frontières de la Hongrie… Le territoire et la population de la Roumanie ont, de ce fait, doublé du jour au lendemain.

Le Traité de Trianon est une suite directe des Traités de Versailles et du Traité de Saint-Germain, qui consacrent la victoire des Forces de l’Entente et en somme, l’application du principe asséné par Woodrow Wilson du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Du moins celui des peuples vainqueurs, selon l’antique adage Vae Victis.

Sans verser dans la partialité, force est de reconnaître que le traitement de la Hongrie a été réellement insultant lors des négociations qui ont mené au Traité de Trianon. Fin 1919, convocation à Paris : les membres de la délégation hongroise sont quasi séquestrés avec interdiction de sortir de leur résidence. En 1919, la Commission Lord et le Traité de Saint-Germain retracent les frontières en aparté et en catimini : Slovaques, Roumains, futurs Yougoslaves se partagent le gâteau en l’absence des Magyars et aussi d’ailleurs en celle des Ukrainiens.

Les travaux de la Commission Lord, composée d’historiens et de géographes de diverses nationalités, livre des conclusions tendancieuses et très favorables aux vainqueurs. Les diplomates hongrois vont jusqu’à reprocher (nous avons entendu cette accusation de la bouche de Fejtö Ferenc, voici quelques années) à la Commission d’avoir faussé la neutralité de certains observateurs américains, qui auraient été en réalité des Tchèques naturalisés à la hâte…

Le bilan de Trianon, le 4 juin 1920, c’est que la Hongrie perd toutes ses mines, 5 villes peuplées sur 10, 60% des forêts, etc etc. Et qu’aujourd’hui, en Roumanie, 25% de la population de Transylvanie se déclare hongroise, 75% dans 2 circonscriptions (elle le peut de façon beaucoup plus libre qu’à l’époque de Ceauşescu où les recensions se faisaient sous la menace, par exemple en 1977…), et 7% de l’ensemble de la population de Roumanie.

Bref, pour la Roumanie, surtout la Roumanie populiste du PSD, il y a de quoi pavoiser. Et on n’a pas vraiment le triomphe modeste, du coté de Bucarest. Mais cela revient hélas à attiser un ressentiment latent, une braise qui couve depuis 1919 et qui se trouve à l’origine quasi directe du populisme à la hongroise,jusqu’à Viktor Orbán : avant 1940, le Régent Horthy et ses alliés fascistes n’ont cessé de revendiquer la Transylvanie et les régions « hongroises », et Orbán ne leur cède en rien sauf dans la violence brute des propos et des actes.

Mercredi, le dirigeant du Parti des Magyarophones de Roumanie (un Parti qui joue un rôle non négligeable lors des diverses élections), Hunor Kelemen, a sans doute trouvé les mots justes pour déplorer cette décision du Parlement de Bucarest : il s’est dit persuadé que le Parlement roumain serait beaucoup mieux inspiré en cherchant et en trouvant des faits historiques qui rapprocheraient Roumains et Hongrois plutôt que des sujets qui les divisent. On ne peut qu‘approuver ces sages paroles.

A lire notamment (si vous disposez d’une Roumaine sous la main) :
- Paul Ioan MARGINEANU, Memorandum transilvan pentru urmatorul centenar (Memorandum transylvain pour le centenaire suivant), in : Condeiul Ardelean n°418, juillet 2019 ;
et – François FEJTÖ, Requiem pour un Empire défunt, Lieu Commun, 1988.
et – Le Courrier d’Europe centrale https://courrierdeuropecentrale.fr/

 

 

 

2 Kommentare zu Fêter le Traité de Trianon ?

  1. Manon Pélissier // 19. Mai 2020 um 8:53 // Antworten

    Si vous disposez d’une Roumaine sous la main ? Très élégant.

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