Le Tsar Poutine et l’opposant Navalny (1)

Que s‘est-il passé, au juste ?

Alexei NAVALNY arrêté par la police à Moscou en 2017 Foto: Evgeni Feldman/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – L’empoisonnement maintenant avéré et prouvé du plus talentueux opposant russe soulève quelques questions essentielles et sans doute urgentes. Que s’est-il passé au juste ces dernières semaines dans les milieux concernés ? Et quels rapports avec les événement de Belarus ? Demain, nous examinerons la question cruciale : qui a donné l’ordre ?

Navalny est un homme très brillant, un opposant très redoutable et doué d’un remarquable discernement. Son action est multiple, et il représente comme un ersatz – et souvent davantage que cela – de ce qui n’existe pas ou très peu en Russie : une opposition qui dépasse et outrepasse les pupitres de la Douma, des médias critiques (en l’occurrence une chaîne sur Youtube), un journalisme d’investigation hautement performant. Alexei Navalny est très fort. Donc dangereux pour Poutine.

Qui est l’homme politique Navalny ? Idéologiquement, ses différences avec Poutine ne sont pas vraiment frappantes. Né en 1976 près de Moscou, sa carrière politique débute dans les années 1990 au sein du parti Yabloko, qu’on peut qualifier de libéral. Mais très vite, il y adopte une attitude critique envers la direction. Et il se lie très étroitement avec un certain nombre de nationalistes xénophobes (en Russie, les deux termes sont presque synonymes…). Une vision politique qui depuis 2015, s’est beaucoup infléchie vers la gauche et des perspectives plus sociales. Navalny, à cause de sa causticité juvénile, est expulsé de Yabloko et commence à œuvrer en cavalier seul.

Fin 2013 , Poutine s’aperçoit de ses talents… et du danger qu’il représente pour lui. Le président accorde à Navalny l’autorisation de candidater pour la Mairie de Moscou, un poste important. Un candidat alibi, évidemment. Mais Poutine a des sueurs froides : l’opposant a presque failli remporter ces élections ! Vlad l’Empoisonneur retient la leçon : ne jamais plus autoriser Alexei Navalny à occuper un poste officiel…

Mais voilà qu’en 2018, ce bâton à roue annonce sa candidature à la présidence contre Poutine ! Tous les Russes pensent que c’est insensé : c’est le Kremlin et lui seul qui accorde les autorisations. Et en effet, sa candidature est refusée… Mais Navalny fait comme si : il lève des équipes de supporters actifs, arpente les régions, et fait une véritable campagne électorale. Et cela lui permet de monter de fait un nouveau parti d’opposition. Son motto : « Ne pas mentir, ne pas voler ».

C’est cependant son média quasi personnel, Navalny Live, qui exerce l’influence la plus considérable en Russie. Par sa qualité professionnelle, son humour, la précision téméraire de ses attaques… A déguster absolument. En 2015, il s’attaque à Youri Tchaika (« la Mouette »), le procureur général, et à ses fils liés à de nombreuses affaires louches. En 2017, il fait survoler la résidence secrète sur la Volga du Premier ministre, Dimitri Medvedev, et ses propriétés viticoles de Toscane : un docu abrasif, qui a atteint le moral et la réputation usurpée de Medvedev…

Navalny parle à ses spectateurs tous les jeudis soirs pendant 3 heures, à partir de 20 heures. Le 13 août dernier, thème : le Belarus. Navalny se montre enthousiaste, voire exalté ; d’autant plus que la contestation secoue Khabarovsk, à l’extrême est. Il le dit explicitement et s’attarde sur ce point, comme s’il tenait à ce que la flammèche volette jusqu’en Russie : « Khabarovsk, écoute attentivement : ces grèves (en Belarus) te montrent comment saisir le pouvoir d’État à la gorge ! » Il se voit dans le même rôle que Sviatlana Tsikhanouskaia : un ouvreur de porte par où la contestation pourra s’engouffrer. Fin juillet dans la même émission, il expliquait que Lukachenka était le père et le maître de Poutine, toujours en avance de 2 à 3 ans sur le Tsar – et donc, qu’il pourrait lire son destin dans celui de son précurseur…

Beaucoup de personnages lui en veulent à mort ; beaucoup l’ont ouvertement menacé. Le procureur général Youri Tchaika, Dimitri Medvedev l’ancien Premier ministre, le porte-parole de Poutine Dimitri Peskov, le président de Rosneft (la compagnie pétrolière) Igor Sechine, des députés à la Douma, le dirigeant de l’agence spatiale, des dirigeants éminents du parti Russie unie… Tous ces pontes font l’objet de reportages au vitriol et très bien documentés par Navalny, de même que ceux qui ont adressé les menaces les plus explicites à son égard : Viktor Zolotov, ancien garde du corps de Poutine et dirigeant de la puissante Garde Nationale, qui a même provoqué l’opposant en duel !

… Et Evgeni Prigogine, ancien chef de Poutine, actuellement chef d’un conglomérat dont fait partie Wagner, la fameuse compagnie de mercenaires. Prigogine a exercé une influence patente – et dont il se vante parfois, notamment à Moscou – sur les élections américaines et britanniques. Un personnage particulièrement inquiétant à la biographie surchargée d’affaires de corruption, de grand banditisme et de crime organisé, de corruption, et où la prostitution pédophile n’est pas absente (euphémisme). La presse occidentale parle très peu de Prigogine : pourquoi ? La réponse est dans la question…

Suite demain : le système Poutine et le poison.

 

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