L’élection européenne…

… entre « lèpre nationaliste » et faux prophètes – l'analyse d'Alain Howiller.

Les sourires ne trompent pas - l'ambiance entre M & M est à couper au couteau... Foto: ActuaLitté / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Par Alain Howiller) – Nul ne se plaindra du fait que le dramatique incendie qui a failli détruire irrémédiablement la cathédrale Notre Dame de Paris a relancé les ventes de son roman éponyme et a, du même coup, remis au goût du jour son auteur le poète-visionnaire Victor Hugo. Retrouver Victor Hugo et ses œuvres, décrypter, en cette veille d’élections européennes, une carrière politique qui lui fit écrire, il y aura bientôt 170 ans : « Nous aurons un jour les Etats-Unis d’Europe qui couronneront le vieux monde, comme les Etats-Unis d’Amérique ont couronné le nouveau !… » Avec la montée des nationalismes – nouvelle interprétation du rôle d’Etats-nations qui, contrairement à ce que disent beaucoup de faux prophètes, n’ont jamais abdiqué leurs prérogatives notamment dans les domaines social et… fiscal ! – l’objectif rêvé par le poète risque encore de manquer le rendez vous que la globalisation aurait, plus que jamais, dû imposer. L’Allemagne, jusqu’ici si fervente Européenne, semble, elle aussi, apporter sa contribution au mirage de l’Etat-nation.

L’écho « prudent et poli » qu’a trouvé Outre-Rhin la tribune d’Emmanuel Macron, très favorable au cheminement vers plus d’intégration, est révélateur à cet égard. Du reste, qui se souvient encore de l’amorce du désamour entre Angela Merkel et Ursula von der Leyen : cette dernière avait publiquement souhaité une armée européenne et les Etats-Unis d’Europe avant de se faire « recadrer » publiquement par la chancelière ! Le fait que celle-ci ait laissé à AKK le soin de répondre(1) à la tribune macronienne, a fait dire à Achim Post, vice-président du groupe SPD du Bundestag : « (Merkel)… a trop souvent freiné les initiatives de Macron ! »

Avec les fédéralistes des années 50/60. – Pourtant, retrouvant, en quelque sorte, les accents des « fédéralistes » des années 50/60, ce dernier avait déjà mis en garde, le 18 Juillet 2018, à Lisbonne : « L’Europe », disait-il, « est face à un risque : celui de se démembrer par la lèpre nationaliste et d’être bousculée par des puissances extérieures. Et donc de perdre sa souveraineté. C’est à dire de voir sa sécurité dépendre des choix américains et de ses changements, d’avoir une Chine de plus en plus présente sur les infrastructures essentielles, une Russie qui parfois est tentée par la manipulation, des grands intérêts financiers et des marchés qui dépassent parfois la place que les Etats peuvent prendre ! » Or, que préparent les « eurosceptiques » ? Une alliance européenne des nations et, d’après Marine Le Pen soutenue par Matteo Salvini, l’espoir de voir émerger au Parlement Européen un très grand groupe souverainiste ! »

Seule concession européenne du Rassemblement National (ex-Front National) et de ses alliés : ils ne demandent plus que les Etats européens renoncent à l’Euro : il est vrai – et ceci explique cela – que, selon les sondages, 60% des Français veulent garder la monnaie européenne. Cette évolution met en relief l’importance des opinions et le poids qu’elles peuvent représenter dans les résultats électoraux de la consultation du 26 Mai.

Car si un certain nombre de médias allemands ont souligné la place que les objectifs électoraux (distancer nettement le Rassemblement National) tenaient dans la tribune du président français, rares ont été ceux qui soupçonnaient que l’évolution allemande vis à vis de l’Union Européenne pourrait, elle aussi, avoir des arrière-pensées électorales… Ne s’agissait-il pas d’essayer de consolider la place des futurs élus CDU/CSU au Parlement Européen en contrant la campagne nationale de l’AfD?

Des gages pour Donald Trump ? – Ne s’agissait-il pas d’offrir quelques gages à un Donald Trump qui met sous pression l’économie allemande et tempête régulièrement contre Angela Merkel ? Parmi les « victimes » du président US : Theresa May incapable de réussir le Brexit, l’Union Européenne et Emmanuel Macron coupables d’incarner un multilatéralisme qu’il exècre ! Et « last but not least », ne s’agissait-il pas d’accompagner la chute d’un SPD qui semble se classer derrière les « Verts », futurs partenaires espérés d’une prochaine coalition gouvernementale !… Le fossé qui s’élargit entre la vision allemande de l’Europe et la vision française ne peut plus, en l’état, être ignoré ; et il ne sera pas facile, dans ces conditions, d’amener les électeurs à aller voter et, surtout, de se prononcer en faveur de ceux qui veulent plus d’Europe ! Il reste peu de temps et il importe que ceux qui se présentent aux élections aient le courage d’arrêter de dire tout et n’importe quoi sur l’Europe : « Arrêtons », comme disait un ministre grec, « de dire que c’est la faute à l’Europe, alors que nous subissons les échecs de tant et tant de gouvernements ! »

« Quel est l’enjeu de fond ? », écrivait Alain Frachon(1), « rien de moins que d’exister dans le monde qui s’annonce – une table de poker ou la blinde – le droit d’entrée, celui de dire son mot se mesure au poids de votre PIB…. Pour avoir son mot à dire… mieux vaut ne pas être seul. Il faut peser. Et si l’on croit qu’il y a une manière d’être européenne qui porte en elle quelque chose d’essentiel, alors l’UE, aussi ingrate qu’elle puisse être, n’est pas un choix. Elle s’impose. »

Alors ? Que peut signifier une « alliance des nations » ? Un congrès de Vienne qui ré-découpe l’Europe de Napoléon Premier ? Un Congrès de Versailles qui accouchera d’une Société des Nations sans pouvoir ? On a beau vouloir fermer les yeux, certaines réalités devraient s’imposer même (surtout?) aux souverainistes de tout poil! A ceux-là même qui, assez régulièrement, jouent les replis  identitaires (minorité hongroise en Roumanie, scission « Tchéquie/Slovaquie », revendications surgissant de temps en temps dans l’extrême-droite autrichienne à propos du Tyrol du Sud (dit « Haut-Adige » italien), Crimée et bassin du Don, avenir de l’Irlande, etc…).

Une souveraineté nationale mythifiée. – A ceux qui revendiquent le retour plein et entier à une souveraineté nationale mythifiée, peut-on (doit-on ?) rappeler certains aspects des années 50/60 que j’évoquais plus haut ? L’alliance en pleine guerre froide des « ennemis potentiels » USA/URSS qui imposèrent aux Français, aux Britanniques et aux Israéliens impuissants d’évacuer la zone du Canal de Suez qu’ils avaient conquis en rétorsion à la nationalisation égyptienne du Canal ? Peut t-on (doit-on ?) rappeler aux promoteurs du souverainisme que leurs anciens n’ont pas pu empêcher que l’URSS écrase la Hongrie, qu’elle « cadre » la Pologne et envoie ses chars à Prague ! Ce n’est pas vieux, c’était juste… hier ! La réponse à la globalisation est-elle la… nationalisation ?

Tous les constitutionnalistes de France et de Navarre expliquent à leurs étudiant(e)s que l’union de type fédéral repose sur un équilibre entre l’autonomie de ses membres et l’autorité librement déléguée à la fédération. Les Etats-membres délèguent les pouvoirs qu’ils estiment ne pas pouvoir exercer efficacement tout seuls à une fédération qui les représente sur la base d’une répartition des compétences définie par une constitution et contrôlée par un parlement ! L’Union Européenne, si souvent liée par la règle de l’unanimité, est loin de ce type de structure. La loi fondamentale (constitution) qui fonde la République Fédérale d’Allemagne repose sur ce système, tout en prévoyant que la Bavière peut entretenir des relations diplomatiques avec l’étranger ! L’autonomie des membres, qui peuvent quitter la fédération, est préservée de même que les éléments d’autonomie qu’ils entendent préserver. Peut-être n’était-il pas inutile de rappeler ces principes régulièrement évoqués depuis que l’Europe marche vers des structures communes.

Mario Draghi en recours ? – Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne(2), a rappelé récemment : « Peu de pays européens ont une taille qui leur permet de résister aux retombées par les grandes économies ou de peser sur des négociations commerciales internationales. Au sein de l’UE en revanche, leur force est démultipliée… » Et, comme disait Jean Monnet : « Nous avons besoin d’une Europe pour ce qui est essentiel… Une Europe pour ce que les les nations ne peuvent faire seules. » En cette veille d’élections européennes, ces éléments de base peuvent-ils éclairer les choix qui seront faits demain dans les urnes ? Que l’Europe, continent en perdition, mal organisée et imparfaite, doive être réformée est évident, mais pas dans le repli ou un démembrement mortifère. L’exemple britannique montre combien les « faux prophètes brexiteer » peuvent mettre en cause les véritables intérêts des peuples.

(1) Le Monde des 14 Mars et 5 Avril 2019.

(2) Le Monde du 5 Mars 2019.

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