L’envol des Écrivains

Comment une association de soutien scolaire permet à son quartier de s'ouvrir sur le monde. Avec les Polytechniciens, l’APEE donne des ailes à ses jeunes.

Tutorat d'un programme pour l'égalité des chances de l'Ecole Polytechnique. Foto: Ecole Polytechnique / CC-BY-SA 2.0

(Marine Dumény) – Quartier des Écrivains. Entre Bischheim et Schiltigheim, au sous-sol d’une église, se niche un local, gracieusement mis à disposition. Des bureaux d’écoliers y attendent patiemment les jeunes bénéficiaires du soutien scolaire, dispensé par l’APEE (Association des Parents d’Élèves des Écrivains). D’octobre à mars, depuis 2015, des élèves ingénieurs Polytechniciens sillonnent ces rangées de tables.

L’APEE voit le jour en 1989. Créée à l’initiative de familles du quartier, elle a pour but d’agir sur les incivilités au sein de celui-ci, et s’attaque donc à la source du problème. Pour endiguer le décrochage scolaire, réduire les inégalités, et désenclaver le quartier, un soutien scolaire, du primaire au collège, est mis en place. Rapidement, et avec le soutien des collectivités, ce dispositif se développe. Reste alors à pouvoir offrir un encadrement suffisant et satisfaisant aux élèves. « En ce qui concerne les lycéens, ils nécessitent plus d’attention, et l’association n’est pas encore en mesure de les prendre complètement en charge, malgré le besoin », expliquent Mohamed Kassaoui et Mourad Lashab, respectivement président et membre de l’association. Arrivent alors en 2015, les élèves ingénieurs de Polytechnique.

Polytechniciens, un partenariat bienvenu.- À l’orée de leur scolarité à l’X (École Polytechnique), les élèves ingénieurs doivent effectuer un stage de 6 mois, dit de «formation humaine», dans le civil pour une partie d’entre eux. C’est dans ce cadre que se posent les premières pierres du partenariat dont bénéficie l’APEE. La première année voit arriver 3 jeunes polytechniciens. Les deux responsables de l’association, précisent : « Le jour, ils secondent les enseignants du collège, le soir ils encadrent le soutien scolaire et accueillent les lycéens. Des cours de FLE (français langue étrangère) sont également dispensés le matin pour les parents. » Et la recette est un succès ! Tant au niveau de la réduction du décrochage scolaire que de l’ouverture du quartier.

Alors, les deux années suivantes, l’effectif augmente. Ce sont 6 polytechniciens qui, en 2017, présentent leurs retours d’expérience lors d’une conférence réunissant associations, établissements scolaires, représentants de l’Ecole Polytechnique, de l’Etat, des collectivités locales et la presse.

Cercle vertueux. – Fort de sa réussite, le projet compte aujourd’hui 8 élèves ingénieurs. Depuis 2020, le département du Bas-Rhin (et désormais la CEA) signe également, aux côtés de l’académie de Strasbourg, les conventions de stage de ces derniers. De quoi motiver les nouveaux signataires à demander aux partenaires du projet de l’étendre également sur les deux collèges de la petite ville de Lingolsheim, située à proximité de Strasbourg. Sous l’impulsion positive, les centres sociaux culturels et les associations des quartiers concernés trouvent un nouveau souffle. Grâce à la présence de ces étudiants polytechniciens, des « stages de vacances » ont pu voir le jour. « Ils permettent de reprendre les bases en matière de scolarité, ainsi que de faire profiter de sorties culturelles (Musée d’Art Moderne, Cyclotron, Parlement européen…) les jeunes élèves de l’APEE, mais aussi leurs parents, qui suivent les cours de FLE », développent M. Kassaoui et M. Lashab.

Et, lorsque menacent problèmes logistiques ou matériels, des solutions naissent rapidement. Pour illustration, le déplacement des étudiants se fait grâce aux vélos gracieusement mis à disposition par le département.

De la culture de l’autre. - De ces vélos, justement, prend source une jolie histoire. Celle d’un salarié du conseil départemental qui apprend à un polytechnicien, issu du recrutement international de l’École, à pédaler. Métaphore de ce que la culture de chacun peut apporter à l’autre. Le logement des élèves polytechniciens se fait généralement en binôme : un étudiant français et un étudiant international. Ceci afin d’apporter une plus-value à ce que leur amène déjà leur stage dans les établissements scolaires et au sein de l’APEE. De la présentation du projet devant la presse en 2017, ressortait l’expérience éminemment humaine et propre à faire gagner en connaissances et maturité, les jeunes du quartier comme les élèves de l’X. Retours qui, aujourd’hui, n’ont pas évolué et tendent même à se bonifier. Ainsi, en 2020, alors que la pandémie force le territoire au confinement, et amène les futurs ingénieurs à rentrer chez eux, ceux-ci choisissent de maintenir à distance leur engagement via les outils numériques. Et pour certains, jusqu’en juin. L’un d’entre eux est même invité à participer à un camp d’été du centre culturel du quartier, avec les jeunes qu’il avait encadrés. Sur le même principe que les « Cordées de la Réussite », le contact avec les stagiaires de Polytechnique permet aux jeunes des collèges et lycées concernés, ainsi qu’aux bénéficiaires de l’accompagnement scolaire, de pouvoir se projeter au-delà de leur quartier et de ses murs. Mourad Lashab, aussi ancien élève du soutien scolaire, analyse : « Il les encourage à s’imaginer à la place des étudiants, en études supérieures. Et leur rappelle qu’il y a des opportunités, que tout est possible. »

Une telle réussite sur un projet de cette ampleur est inspirante. Si de nouveaux locaux, plus spacieux, seront les bienvenus, et que la limite du numérique, par manque de matériel et de formation dans les familles, se fait sentir en ces temps de pandémie, le partenariat Collectivités-Académie-École Polytechnique tend à grandir. L’APEE a sollicité l’ENA, à travers un des programmes de l’établissement, pour suppléer le dispositif dont elle profite actuellement, sur la période de janvier à juin, avec les élèves fonctionnaires et pallier ainsi le souci de continuité, jusqu’au Baccalauréat des lycéens. « La porte de l’association reste également ouverte pour toute autre école ou organisation étudiante prête à s’investir dans le projet ! », concluent, sous forme de clin d’œil, le président de l’APEE et Mourad Lashab.

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