Les Anarchistes : un film d’époque d’une modernité confondante

Notre expert Nicolas Colle présente le film «Les Anarchistes» d'Elie Wajeman, un film qui plonge le public dans l'ambiance mouvementée de Paris en 1899.

"Les Anarchistes" est un film qui conduit les spectateurs au coeur du mouvement anarchiste à Paris en 1899. Foto: Mars Distribution

(Par Nicolas Colle) – C’est avec ce film qui navigue habilement entre différents genres cinématographiques, que la dernière édition de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes s’était ouverte. On y suit le personnage de Jean Albertini, incarné avec brio par Tahar Rahim, un policier chargé d’infiltrer un groupe d’anarchistes dans le Paris de 1899. Eurojournalist(e) a eu le plaisir d’échanger avec Elie Wajeman, le metteur en scène de ce film singulier.

Qu’est ce qui vous a attiré dans la pensée anarchiste et vous a donné envie d’en faire un film ?

Elie Wajeman : J’ai découvert l’idéologie anarchiste à travers une adaptation théâtrale des «Démons» de Dostoïevski, qui traite d’un groupe d’anarchistes qui se posait la question du passage à l’acte terroriste. J’ai également vu un film de Martin Ritt, «The Molly Maguires» avec Sean Connery, où des mineurs sabotent leur propre travail pour lutter contre le système. Je me suis dit alors que je voulais faire un film de ce genre tout en racontant l’histoire de cet homme qui entre en politique d’une façon un peu incongrue. Raconter comment quelqu’un de creux ou vide rencontre quelque chose de plein idéologiquement, politiquement et sentimentalement. Et puis j’avais envie de suivre un groupe qui s’aime, qui vit ensemble et montrer comment on peut se lier aux autres.

Un film d’époque mais traité avec une grande modernité voire très fortement actuel. La modernité et cette résonnance contemporaine étaient importantes pour vous au moment où vous vous êtes approprié ce sujet ?

EW : Je savais qu’il y aurait forcément des résonnances contemporaines mais je ne voulais pas raconter des choses sur le terrorisme. Ce film permet de comprendre comment on peut basculer très vite de l’idéologie à l’acte terroriste. Mais je ne pense pas que ce soit un film idéologique. Ce sont les anarchistes individualistes qui m’intéressaient car ils me touchaient par cette absence de filtre entre leur pulsion et leur action. Tout se mélange dans leur esprit et leur pensée, le meilleur et le pire, sans la grille idéologique indispensable aux marxistes. C’est leur bouillonnement émotionnel qui les conduit à l’action radicale. C’est ce matériau qui m’intéressait.

Le personnage de Jean Albertini, incarné par Tahar Rahim, s’éveille à la politique en se confrontant à ces anarchistes, mais il s’éveille surtout à l’amour, non ?

EW : Bien sûr. D’ailleurs, le personnage de Judith, incarné par Adèle Exarchopoulos, dit clairement au début du film qu’elle est devenue anarchiste par amour. Et c’est cette idée qui guide tout le film. Cet «infiltré» découvre l’engagement par sentiment et il veut sauver Judith de la police et de la tentation du terrorisme.

C’est un film esthétiquement très réussi, avec une lumière bleutée très travaillée. Quelles ont été vos références pour composer l’image du film ?

EW : Je tenais à utiliser beaucoup de couleurs froides pour rendre hommage aux films noirs américains des années 70. J’ai également vu un film sur le peintre Edward Munch et je voulais reprendre la dominante bleue qu’utilisait cet artiste. Je tenais surtout à concevoir une esthétique très osée, avec beaucoup de plans serrés, pour être au plus près de mes comédiens et faire des portraits de personnages et d’acteurs et filmer les visages de ces êtres du 19ème siècle comme si je remontais le temps. Et puis ça permettait d’avoir une tension très forte en adoptant la vision du «flic infiltré».

Le film se déroule intégralement dans le Paris de la fin du 19ème siècle. Quelle image vouliez vous donner à cette ville à travers cette histoire ?

EW : Je souhaitais tourner dans des décors naturels et qu’on voit Paris sans effets spéciaux. Pour moi, c’est une ville qui respire les années 1900 et j’ai parfois l’impression qu’elle est comme une ville de fantômes. Du coup, j’ai filmé mes personnages au milieu de décors qui ont très peu changé depuis cette époque. Ça me donnait vraiment l’impression de filmer les fantômes de ces personnages authentiques.

Vous avez choisi des morceaux musicaux très contemporains comme «Les Kings». Pourquoi ce choix ?

EW : Par souci de modernité bien sûr, mais surtout par pur amour de ces morceaux et pour évoquer la jeunesse de mes personnages. Ce sont des musiques qui mélangent révolte et douceur intemporelle… importants pour évoquer le tiraillement entre l’amour et le devoir.

La modernité du film vient de son propos, de ses musiques mais aussi de ses comédiens ?

EW : J’ai voulu prendre les meilleurs comédiens trentenaires du moment. Ce qui m’intéresse chez eux, en dehors de leur modernité, c’est le mélange de naturel et de technique dans leur jeu. Je suis un metteur en scène qui aime la direction d’acteurs alors qu’en France, on a surtout tendance à aimer les comédiens pour leur nature. Personnellement, je préfère avoir des comédiens et des comédiennes qui, malgré une nature très forte, construisent également leur personnage.

Pouvez vous nous parler de l’ouverture du film, entre ce long monologue récité par Adèle, qui clame son amour pour l’Anarchie, et ces nombreuses photographies d’anarchistes ?

EW : Le monologue, c’est simplement un geste de cinéma de ma part. C’est un plan séquence qui évoque les peintures-portraits de la fin du 19ème siècle. Quant aux documents et aux photographies, c’est parce que je voulais faire un générique, même si c’est un peu vieillot aujourd’hui d’en faire un, mais celui-ci raconte quelque chose. Car on comprend que ce sont des documents policiers de l’époque et cela évoque ce qui va se passer au cours de l’histoire.

On sent d’ailleurs qu’ils ont quelques doutes sur Jean, mais ils choisissent néanmoins de lui tendre la main ?

EW : Disons qu’ils le font entrer pour amener du sang neuf dans leur groupe, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose d’assez autodestructeur dans leur comportement. A la fin du 19e siècle, un monde est en train de mourir pour en faire naître un autre. Du coup, cette utopie de cinq amis qui vivent dans un même appartement a du plomb dans l’aile. Donc ils amènent du sang nouveau mais aussi le ver dans le fruit. Et puis il faut savoir que ces anarchistes individualistes que j’ai choisi de traiter, pensaient qu’il fallait avant tout se «révolutionner» soi-même avant de faire la révolution sociale. Leur conviction était de d’abord changer les mœurs et la psychologie avant de redéfinir le monde dans lequel on vit en passant par le prisme de l’individu à travers la sexualité, la religion, l’éducation, le rapport au corps. C’est de cette façon que le végétarisme a commencé à s’installer, que les gens ont souhaité redécouvrir la campagne et la nature… Tout cela correspond aussi à l’arrivée de la psychanalyse et des théories freudiennes. D’une manière plus générale, ces anarchistes sentaient que quelque chose du sexe et de la mort les constituaient. D’où leur comportement très destructeur et leur geste d’accueillir ce type qui va les mener à leur perte.

En somme, un film élégant et romanesque mais qui, malgré des intentions de mise en scène parfaitement louables et justifiées, aurait peut-être mérité un peu plus de respiration à travers des plans donnant davantage de perspectives au décor environnant afin de mieux rendre compte de l’époque étudiée et d’apporter encore plus de souffle. Un aspect plus épique.

Pour visionner la bande annonce de ce film, CLIQUEZ ICI !

anarchistes affiche

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste