Les «Belles Familles» de Monsieur Jean-Paul Rappeneau

Retour gagnant… loin de «Familles, je vous hais» mais…

Dans "Belles Familles", Jean-Paul Rappenau montre le meilleur du cinéma français... Foto: Distributionj

(Par Nicolas Colle) – Après douze ans d’absence, c’est avec cette grande comédie populaire que le grand Jean-Paul Rappeneau nous revient. Et quand on voit ce qu’il est capable de faire avec ce huitième long métrage, on ne peut s’empêcher de penser qu’il nous a manqué. En effet, ce «Belles Familles» nous prouve à quel point le cinéaste n’a rien perdu de son immense talent tant son film est l’incarnation même de ce que le cinéma français peut offrir de meilleur.

Du romanesque, des dialogues savoureux, un sens du rythme inné, une mise en scène parfaitement chorégraphiée avec des actions à suivre aussi bien au premier plan qu’à l’arrière plan du cadre, une photographie soignée, un humour fin se mélangeant subtilement à de la gravité, un lyrisme envoûtant et surtout un romantisme puissant et pleinement assumé, là où bon nombre d’intellectuels français dénonceraient de la niaiserie. Et bien sûr, le tout interprété par la fine fleur du cinéma français.

Quel plaisir de pouvoir vivre un moment en compagnie de Monsieur Rappeneau et de son casting fabuleux avec entre autre, le magnétisant Mathieu Amalric, l’énergique Gilles Lellouche, la jeune et sublime Marine Vacth, et le toujours subtil et savoureux Guillaume de Tonquédec que j’ai eu le plaisir de retrouver après avoir eu l’occasion de travailler à ses côtés sur un tournage, alors que je n’étais encore qu’un étudiant-stagiaire.

Voici, en exclusivité pour Eurojournalist(e), les meilleurs moments de cette rencontre avec cette formidable équipe, à l’hôtel du Régent Petite France de Strasbourg.

Déjà félicitations à vous tous parce que… Wahouuu… Quel film !!! C’est tellement riche. Il y a tellement de choses mais, pour ma part, ce qui m’a le plus marqué, c’est avant tout l’histoire d’amour entre Jérôme et Louise, les deux personnages que vous incarnez, Marine et Mathieu. Elle est filmée avec un romantisme et un lyrisme incroyable. Un peu comme les Américains savent le faire. Et pourtant au moment de leur première rencontre, rien n’est joué entre ces deux individus. Qu’est ce qui, selon vous, les amènent à se rapprocher l’un de l’autre ?

Mathieu Amalric : Pour moi, cette histoire d’amour, c’est avant tout le fantasme de Jean-Paul. Pour lui, le cinéma c’est plus beau que la vie. C’est peut être ce qu’on aimerait tous vivre. Et parfois on y accède dans des éclats extraordinaires qu’on peut atteindre dans nos vies. Ça donne des moments forts que l’on n’oubliera jamais. Eh bien, Jean-Paul écrit sur ces moments là. Il n’aime pas raconter des films sur la difficulté, la banalité ou le quotidien. Il travaille sur les cadeaux que nous donne la vie. Du coup, cette histoire d’amour, c’est son fantasme. Ceci dit, je pense que leur rapprochement est surtout lié aux souvenirs qu’ils n’ont pas en commun et à ce père qu’ils ont en commun. Ils ne sont pas frères et sœurs et pourtant en raison de leur histoire familiale, ils jouent tous les deux sur des zones sexuelles et amoureuses très étranges.

Justement cette histoire d’amour crée un dommage collatéral qui vous concerne, Gilles. Votre personnage, Grégoire, voit sa fiancée le quitter peu à peu et en devient fou de jalousie ?

Gilles Lellouche : C’est vrai, il y a de ça mais je pense qu’il y a encore autre chose. Bien sûr il est question de jalousie mais ce qui le rend si angoissé, c’est surtout le fait qu’il n’ait plus de contrôle sur rien. Alors qu’au début du film, il donne l’impression d’être quelqu’un de très «arrivé», qui maîtrise tout, ses amours, ses amitiés et son business. Mais quand il s’aperçoit qu’une séduction commence à s’opérer entre sa compagne et Jérôme, il comprend que la femme qu’il aime va lui échapper et ça le panique. Je pense que ce qui est le plus difficile à vivre, ce n’est pas tant le fait que votre femme vous quitte mais plutôt de constater qu’elle va bientôt le faire. Il voit que la femme qu’il aime tombe amoureuse d’un autre homme, qui en plus est son ami d’enfance, et il ne peut rien faire pour l’empêcher. C’est la chronique d’une mort annoncée et c’est pour ça qu’il souffre autant. Il est le témoin de son propre échec.

Très bien, maintenant si vous permettez, j’aimerais revenir sur l’aspect incroyablement lyrique du film. Monsieur Rappeneau, vous féliciterez bien sûr votre fils qui a fait un travail formidable de composition musicale mais j’aimerais savoir, comment vous est venue cette idée de la scène finale qui confronte chaque personnage au cours de ce concert ?

Jean-Paul Rappeneau : Quand j’ai écrit cette histoire, j’avoue avoir eu un peu peur qu’elle soit vue comme une succession de petites péripéties provinciales. J’ai très vite compris qu’il fallait ouvrir le film vers quelque chose de plus grand pour qu’il puisse s’envoler. Et la musique est le meilleur moyen pour cela. Elle amène le romantisme dont vous parliez à l’instant. Et puis j’ai pensé qu’après tout, on trouve souvent des festivals de musique dans de nombreuses villes de province. Et c’est là que j’ai imaginé cette grande scène, un peu à la manière d’un opéra. Le hasard a d’ailleurs bien fait les choses car j’ai eu cette idée au moment où on commençait à faire des repérages pour préparer le tournage et c’est là que l’on a apprit qu’il y avait justement un festival de musique classique qui allait se dérouler dans la ville voisine de celle où on devait tourner et à la même période où on devait tourner. Mais pour en revenir à la scène, certains musiciens que je connaissais m’ont fait comprendre qu’il était préférable de faire jouer du Mozart. Mais mon fils m’a convaincu que le concerto numéro un de Schumann serait plus romantique encore. Du coup, j’ai fais confiance à mon enfant et j’ai opté pour Schumann.

Et justement, puisque vous parlez de la province, elle est incroyablement belle dans votre film et vous faites justement le parallèle entre la façon d’y vivre et la façon dont le monde évolue, notamment avec la mondialisation ?

Mathieu Amalric : Je me permets juste de réagir. La province est belle certes, mais ce n’est pas un film nostalgique pour autant. La province n’est pas complètement isolée de la mondialisation. Au contraire, elle est même percutée, elle.

Jean-Paul Rappeneau : Oui, il y a une scène qui résume un peu ce que vous dites. C’est quand le personnage de Grégoire est dévasté par le fait que sa fiancée l’ait quitté. Il va voir Jérôme dans sa chambre d’hôtel, s’assied sur le lit puis commence à regarder les informations à la télévision où le présentateur parle de finance, de capitaux et d’économie. Je vois là une sorte de parabole entre le visage de cet homme qui souffre et ces trucs financiers auxquels personne, en dehors des experts, ne comprend rien. Pour moi, c’est une scène qui raconte vraiment quelque chose du monde dans lequel on vit actuellement.

Mathieu Amalric : En fait, ce film nous donne surtout à voir des personnages qui se débrouillent avec le monde tel qu’il est aujourd’hui. Et c’est ce qu’on fait tous.

Marine, je me tourne vers toi maintenant. C’est encore une très belle prestation, tu irradies autant l’écran que tu le faisais dans «Jeune et jolie» de François Ozon. En voyant le film, je me suis fais cette remarque, même si ton personnage est très différent de celui que tu jouais chez Ozon, tu brilles toujours autant dans les moments de silence. C’est là que tu dégages le plus de mystère et donc de charme. C’est important pour toi d’aborder ton jeu de cette façon ?

Marine Vacth : Merci des compliments. Disons que j’aime jouer dans le silence et faire passer des choses à travers ces moments là mais ce n’est pas tellement dû au fait que ce soit important pour moi ou pas, c’est simplement l’histoire ou la scène en question qui impose ça. Le film de Jean-Paul joue là dessus, il peut être très rythmé, très musical par moments et à d’autres, il prend des poses pour mieux reprendre son souffle par la suite.

D’ailleurs puisque tu en parles, on ressent effectivement cette musicalité dans votre jeu à vous tous. Et je n’ai pu m’empêcher de penser que vous avez dû tous travailler énormément pour en arriver à autant de précision mais que vous avez aussi dû prendre un pied incroyable. J’ai bien résumé ?

Gilles Lellouche : Vous avez complètement raison. C’est vrai que dans un premier temps, il faut saisir et comprendre la musicalité propre à Jean-Paul. Il faut qu’on comprenne le rythme de chaque personnage, de celui qu’on joue bien sûr mais aussi de ceux que ses partenaires jouent, pour pouvoir accorder nos instruments. Puis, quand on trouve enfin la juste mesure de là où Jean-Paul veut aller, alors ça devient jouissif. Et effectivement ça a été un tournage très joyeux dans le travail.

Il y a autre chose qui m’impressionne dans ce film, c’est le soin accordé à chaque personnage. Du principal au plus secondaire, tous ont un rôle clé à jouer dans cette histoire. C’est notamment ton cas, Guillaume. Même si on te voit assez peu, ton personnage est essentiel et il est même à l’image du film. À savoir drôle mais parce que vivant quelque chose de grave. Que peux tu nous dire par rapport à ça ?

Guillaume de Tonquédec : Je pense que c’est surtout dû au fait qu’on a affaire ici à un grand auteur. Et un grand auteur ne néglige rien de son histoire. Chaque personnage qu’il crée amène tout un univers, une pensée et une réflexion. Même si ça prend parfois des années d’écriture. Pour ma part, c’est ce cinéma là qui me plaît et auquel j’ai envie de participer car les personnages sont si riches et pleins que ça crée quelque chose de juste, d’émouvant et donc, d’autant plus drôle. Pour ce qui concerne mon personnage, je pense que ce qui le rend touchant c’est le fait qu’il se débat avec la vie et qu’il cherche à protéger sa mère. Leur relation est d’ailleurs assez troublante car il lui apporte une aide financière et «la reconnaissance est le pire des fardeaux» comme le disait un grand auteur français. Du coup, le retour du personnage de mon frère, joué par Mathieu, arrive comme une bouffée d’oxygène pour le personnage de ma mère mais le mien se retrouve un peu désemparé et triste. On a affaire ici à des grandes figures de l’humanité. Jean-Paul réfléchit beaucoup à tout ça.

Parfait. J’aimerais aborder une dernière chose avant de nous quitter. Comment ça se passe concrètement sur un plateau quand on se fait diriger par un metteur en scène aussi pointu et exigeant que monsieur Rappeneau ?

Guillaume de Tonquédec : C’est vraiment passionnant de se faire diriger par lui. A chaque fois qu’on s’apprête à tourner une séquence, il nous raconte l’histoire de nos personnages et leur état d’esprit à ce moment du film. Il nous met dans l’état du rôle. Il nous donne des déplacements précis à suivre mais qui sont toujours justes car, en fait, il trouve la justesse de ces films et de sa mise en scène que lorsqu’ il a trouvé ses décors. C’est seulement à ce moment là qu’il fait son découpage et qu’il visualise les mouvements de ces personnages. Ce qui lui permet ensuite de réfléchir aux mouvements de caméras qu’il va devoir mettre en place. C’est de là que viennent cette fluidité et ce génie qu’il a dans sa mise en scène. Et puis ce qui est très drôle, c’est qu’il est physiquement avec nous quand on tourne. Il contrôle la scène depuis son combo où il a le retour vidéo et il n’hésite pas à taper dessus quand on fait une erreur, il parle pendant qu’on joue, il éclate de rire. Ça nous demande un temps d’adaptation mais après on ne peut plus se passer de cette présence imposante. Ça me rappelle d’ailleurs une anecdote que tu m’as raconté un jour, Jean Paul. C’était sur le plateau de «Cyrano de Bergerac» où Depardieu s’était arrêté de jouer au beau milieu d’une scène et s’était tourné vers toi en disant «Bon, je t’ai pas entendu… C’est qu’il y a quelque chose qui a merdé… Je recommence…».

Jean-Paul Rappeneau : C’est vrai oui… Sacré Gégé…

Merci à vous tous !

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Affiche : Distribution

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