Les Cahiers lituaniens

Les Cahiers lituaniens : Le Conte des Rois, M.K.Ciurlionis Foto: Arunas Baltenas /mchaudeur/

(Marc Chaudeur) – Le n° 18 des Cahiers lituaniens vient de paraître. Une revue remarquable par sa densité, le choix des sujets et la qualité de la rédaction.Une revue strasbourgeoise, la seule en France à porter entièrement sur la Lituanie. Elle est devenue depuis bien des années une ressource indispensable pour la connaissance de cette République balte aussi grande que la Belgique ou presque, peuplée par 2,7 millions d’habitants humains (sans compter les oiseaux). Un pays passionnant à tous égards, qui fait partie de l’Union Européenne depuis 2004. Avec une culture spécifique et richissime.

Un contenu riche et très dense : 50 pages sur ce petit pays européen passionnant, dont comme on sait (ou devrait savoir), la langue est la plus ancienne du continent et s’apparente d’assez près au sanskrit. 6 articles d’un haut niveau.

D’abord, un texte sur le grand peintre et musicien génial qu’on commence tout de même à finir par connaître dans nos contrées, M.K. Čiurlionis (1874 – 1911), par Danutė Gruzdienė, conservatrice au Musée national d’Art M.K .Čiurlionis, précisément. Symboliste, apparenté à Odilon Redon et à Arnold Böcklin, Čiurlionis, d’origine modeste, a bénéficié d’une formation à Vilnius, Varsovie et Saint-Petersbourg, où il est à peu près mort d’épuisement. Son œuvre picturale, d’une importance majeure dans la culture de son pays, est foisonnante, onirique, et regorge de symboles. Qui symbolisent … quoi ? Sans doute comme dans les œuvres des surréalistes (qu’il n’est pas exactement), ces représentations traduisent quelque chose de l’inconscient, des éléments qui ne sont pas nécessairement clairs à eux-mêmes. C’est pourquoi Danutė Gruzdienė nous présente un tableau connu de Čiurlionis, Le Conte des Rois (1909), qui de plus, est le seul pour lequel le peintre a fourni une description, d’ailleurs très laconique.

Les articles suivants concernent la partie la plus tragique de l’histoire de la Lituanie (et avec elle, des autres pays baltes, Lettonie et Estonie), entre 1930 et 1991. Le premier, de Philippe Edel, est consacré à un juriste d’origine strasbourgeoise, Robert Redslob (1882-1962) et surtout à son activité dans les pays baltes.Fait remarquable et exceptionnel, Redslob a enseigné à Strasbourg à l’époque allemande, puis, après 1918, à l’époque française… Spécialiste de droit international, il se voit chargé par la Cour Pénale de Justice Internationale de la Haye d’examiner une décision très autoritaire du Gouvernement de Vilnius démettant de ses fonctions un dirigeant régional qui a fait preuve de trop d’esprit d’initiative. Redslob se rend ensuite à 3 reprises en Lituanie (1932,1935,1936) pour y faire valoir les mérites de la culture juridique française et surtout, en réalité,ceux de la République Française (« missions de propagande universitaire en Europe orientale »). Il s’exprime en français, devant un public bien davantage germanophone (lui dont l’allemand était la langue maternelle…). Il est décoré ensuite par le Président Smetona et vante les mérites de la culture et de la mentalité des peuples baltes.

Revenu en France, il met l’accent sur la vigueur et la jeunesse de ces peuples, et insiste sur le fait que « le monde civilisé », et donc « la France », ont des devoirs envers eux.Eux qui sont menacés de part et d’autre, par le voisin nazi et par le voisin stalinien… Hélas, la France n’a pas pu, ni peut-être voulu grand-chose dans la période suivante, entre 1940 et 1950…

Cette période est celle où commence l’article superbe consacré au Service diplomatique lituanien entre 1940 et 1991, rédigé par Asta Petraytitė-Briedienė (et traduit par Liudmila Edel-Matuolis). Histoire extraordinaire, tragique et palpitante que celle de ce Service qui, en ces temps où la Lituanie étaient dévorée par la Russie soviétique, puis par l’Allemagne nazie, puis à nouveau par l’URSS, tenait lieu de gouvernement, ou plutôt, de corps diplomatique en exil. En exil à Londres et à Washington, puisque les autres pays occidentaux ont reconnu de fait l’annexion des 3 pays baltes.Traversant la Guerre, puis le dernier demi-siècle du communisme stalinien, le Service diplomatique s’est dissous le 6 septembre 1991, dans le bonheur d’une liberté lituanienne retrouvée… et reconstruite pas les Lituaniens eux-mêmes.

Les 3 autres articles portent , le premier sur un étrange pseudo maladie bien gore qui hérisse et colle ensemble cheveux et poils : une sorte de lèpre d’Europe orientale qu’on appelle Plica polonica…(par des chercheurs de l’Université de Vilnius, Eglė Sakalauskaitė, Dalius Jatuzis, Saulius Kaubrys) Le deuxième, de Piotr Daszkiewicz et Philippe Edel, évoque des Lettres du grand botaniste L.H.Bojanis, une correspondance retrouvée à Saint Petersbourg. Et enfin, dans le dernier texte, Eglė Kačkutė présente la poétesse contemporaine Giedrė Kazlauskaitė et publie 2 poèmes de cette femme née en 1980, « intellectuelle, mère et lesbienne », éditrice de la revue culturelle Šiaurės Atėnai (« Athènes du Nord », le surnom de Vilnius) et auteure de 4 recueils poétiques et de nouvelles.

A ne pas manquer, donc, cette Revue : elle nous apporte les éléments précieux d’une culture et d’une histoire très particulières … et très européennes.

Cahiers Lituaniens, https://www.cahiers-lituaniens.org

 

 

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