Les caricatures plus vivantes que jamais.

Gervaise Thirion a regardé pour nous la «PETITE HISTOIRE DE LA CARICATURE DE PRESSE EN 40 IMAGES» de Dominique Moncond'huy. Petite oui, mais grandement instructive et fortifiante.

La "Petite Histoire de la caricature de presse en 40 images" de Dominique Moncond'huy est un ouvrage à mettre entre toutes les mains... Foto: Gervaise Thirion (Extrait de la couverture du livre)

(Par Gervaise Thirion) – Il s’agit d’une histoire adossée à l’actualité. Les attentats de janvier 2015 ont ravivé le débat sur la liberté d’expression. Les caricatures de Charlie Hebdo, «à l’insu de leur plein gré» (à l’insu de la bêtise incommensurable des autres et au gré de leur liberté consubstantielle) et leurs conséquences tragiques, marqueront à tout jamais les esprits épris de liberté, fût elle satirique, même parfois à leur endroit.

Les hommages, commémorations, célébrations de toutes sortes, menés tambour battant par nos politiques, la semaine passée et abondamment relayés par les médias, n’aident en rien à l’apaiser. Nous sommes entrés dans la culture du «trauma» et il serait bon de ne pas en rester là.

Colère, ressentiment, tristesse, peur, tous ces sentiments contribuent à brouiller les idées et font naître le besoin de prendre du recul. Une bonne caricature peut y contribuer tout en fixant le souvenir.

Un ouvrage pédagogique. – Dans ce petit livre, paru en juin 2015, il ne s’agit pas de prendre parti mais de parcourir l’histoire de la satire, revisitée dans une intention surtout pédagogique. L’auteur de cette anthologie, Dominique Moncond’huy, qui enseigne la littérature française et l’analyse de l’image à l’université de Poitiers, nous offre là un travail finement construit autour de documents judicieusement choisis.

Destiné à un public scolaire (il est édité dans la collection folioplus classiques), cet ouvrage se veut donc surtout didactique. Les enseignants pourront, c’est déjà le cas pour certains, en faire un support, un appui, pour gérer la situation pédagogique inédite à laquelle ils ont été confrontés à la suite des évènements, là où les circulaires ministérielles sont de peu de secours.

Il y a fort à parier que, en dehors des érudits et des «je sais tout», nous sommes nombreux à avoir une connaissance très lacunaire de cette histoire écrite de cette façon-là. Dans son avant-propos, l’auteur rappelle justement que les caricatures ont pour visée de formuler un point de vue généralement critique, de provoquer, surprendre, déranger, en appelant le spectateur-lecteur à réagir, à approuver, s’insurger, rire et ouvrir un espace de discussion, un moment d’échange.

Une structure hybride en deux parties. – La première donne à voir 40 images ou dessins de presse couvrant la période de 1791 à 2015. La plupart sont français, quelques-uns sont l’oeuvre de dessinateurs italien, espagnol, anglais ou russe. Sa présentation est claire : A gauche l’image, à droite un texte qui précise l’organe de publication, explique le contexte et propose une analyse, un décryptage.

Certaines caricatures nous sont familières comme «les poires» (les Bourbon) de Charles Philipon, d’autres, complètement inconnues, nous révèlent quelques grandes affaires politiques.

La deuxième partie, plus érudite, rappelle en premier lieu que la satire est vieille comme l’Europe. «Comme pour mieux se libérer de toutes les violences d’ordinaire contenues», la moquerie fait partie de la culture occidentale et ne fut pas seulement un fait littéraire (Aristophane en Grèce antique, Juvénal chez les romains, La Fontaine, Boileau, La Bruyère).

De l’Antiquité grecque, avec le Dieu Momos, jusqu’à nos jours avec les dessins de Plantu, par exemple, les hommes ont eu besoin de faire «sauter le couvercle» en organisant des fêtes (dionysies, bacchanales, saturnales, fête des fous, carnaval) ou en s’entourant de bouffons. Même Attila, dans un souci d’intégration, était accompagné d’un nain-bègue comme amuseur officiel.

La suite est tout aussi passionnante. En quelques traits :

- L’apparence et ses leçons supposées : partant des fables de La Fontaine comme exemple de culture nationale partagée, l’auteur nous révèle la symbolique du bestiaire animal, propose une étude de l’iconologie, de la façon de représenter les physiques et les émotions, nous parle de physiognomonie puis d’anthropométrie avec ses avancées mais aussi ses risques de dérive raciale.

- La presse satirique française vue au travers de l’histoire des techniques (xylographie, lithographie…), des matériaux (parchemin, papier, bois cuivre…), depuis l’affaire des «pasquinades» à Rome ou celle dite «des placards» jusqu’aux simples journaux. D. Moncond’huy dresse un inventaire de la presse satirique qui connut son âge d’or au 19ème siècle. Elle fut tolérée parfois mais, le plus souvent, contrôlée quand elle ne subissait pas la censure.

- L’art du mordant qui, concernant les estampes satiriques, signifie tout autant le procédé technique d’obtention que le ressort iconographique nécessaire à leur efficacité. «Mordre en riant» (Furetière) – tout dépend de quel rire…

- La satire en littérature : notre auteur est avant tout un littéraire et nous propose quelques textes savoureux composés par nos écrivains les plus éminents en la matière de Rabelais à Céline.

L’essai est truffé de références historiques, littéraires et étymologiques. Il a inévitablement ses limites, ses contraintes d’édition et peut constituer une «mise en bouche» qui donnera envie à beaucoup de béotiens d’approfondir le sujet. A mettre entre toutes les mains et à lire sans modération.

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