Les droits de l’homme et des autres, comme l’âne de Buridan.

Tout le monde se pose la question - comment combattre le terrorisme, de préférence avant qu’il ne prenne toute son ampleur.

L'âne de Buridan - spécimen accroché au musée à Los Angeles. Foto: Los Angeles County Museum of Arts / Wikimedia Commons / PD

(Par Antoine Spohr) – Pour y réfléchir un peu à cette épineuse question : «Face au terrorisme – que faire sans blesser quiconque, pas même les terroristes en herbe», à défaut de suggérer une solution radicale, le commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks commente du haut de sa chaire de la cathédrale européenne de Strasbourg, ébranlée par l’affaire hongroise et d’autres, l’ébauche des mesures de surveillance.

Brave homme, ce Letton de 45 ans formé dans de prestigieuses universités américaines ! Qu’on veuille bien cependant juger son commentaire qui, en dépit d’une bonne volonté inefficace en l’état, ne le fera pas rejoindre les disciples des humanistes des XIVe siècle et suivants. On voudra bien sûr entendre le terme tant galvaudé d’Humaniste au sens historique, en lisant son audacieux commentaire et ses états d’âme :

«Je m’inquiète de l’approche strictement sécuritaire qui caractérise les discussions et les textes de loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme. Le blocage de sites Internet sans autorisation judiciaire préalable, dont la mise en œuvre a récemment débuté en France, est un exemple clair des risques que ces mesures représentent pour les droits de l’homme, en particulier pour la liberté d’expression et le droit de recevoir et de communiquer des informations.

Je suis, en outre, très préoccupé par les propositions actuellement débattues dans plusieurs pays européens visant à renforcer les pouvoirs des services de sécurité en matière de surveillance des individus sans contrôle judiciaire préalable. Si elles sont adoptées par le législateur, ces propositions risquent d’avoir des effets liberticides et de créer un climat social néfaste, dans lequel tous les individus sont considérés comme des suspects potentiels.

Le respect de la vie privée est un droit de l’homme, auquel il ne doit pas pouvoir être porté atteinte si facilement. Les Etats ont, bien sûr, le devoir d’assurer la sécurité au sein de leurs frontières. Mais la réponse à la question de savoir comment concilier sécurité et respect des droits de l’homme doit résulter d’un débat ouvert, démocratique et tirant les enseignements de la «guerre contre le terrorisme» menée au cours de ces quinze dernières années, qui a montré que limiter des droits de l’homme afin de lutter contre le terrorisme, est une grave erreur et une mesure inefficace pouvant même aider la cause des terroristes.

Ce n’est pas en réduisant nos libertés que nous augmentons notre sécurité. Les politiques qui respectent les droits de l’homme préservent les valeurs que les terroristes cherchent à détruire, affaiblissent le soutien aux mouvements radicalisés et renforcent la confiance du public dans l’Etat de droit.

C’est pour cela que j’exhorte les décideurs politiques à la plus grande prudence lors de la préparation et de l’adoption de nouvelles mesures anti-terroristes. Je les invite à s’assurer, en particulier, que ces mesures soient soumises à un contrôle démocratique efficace et que les personnes visées puissent disposer d’un recours pour les contester».

Eh oui ! Tant de vérités jetées comme plumes au vent mais qui peuvent éclairer un débat ouvert pour concilier sécurité et respect des droits de l’homme.

M. le Commissaire, vous avez présidé la commission à l’APCE (Parlement du Conseil), contre le racisme et l’intolérance moins radicalement que ne le fit Voltaire (on vient largement d’évoquer dans toute la presse l’affaire Callas) qui lucidement se laissa inspirer par le philosophe scolastique Buridan (1292-1363) et la légende savoureuse de l’âne : il osa alors une fable ou une comptine que nous reproduisons ici parce qu’elle mérite d’être rappelé surtout quand on dit que «gouverner, c’est choisir» :

Voici sa vision de l’âne de Buridan par Voltaire :

Connaissez-vous cette histoire frivole
D’un certain âne illustre dans l’école?
Dans l’écurie on vint lui présenter
Pour son diner deux mesures égales,
De même force, à pareils intervalles;
Des deux côtés l’âne se vit tenter
Également, et, dressant ses oreilles,
Juste au milieu des deux formes pareilles,
De l’équilibre accomplissant les lois,
Mourut de faim, de peur de faire un choix.

Quatre siècles après Buridan et peu avant la révolution, l’incorruptible, Robespierre, confronté à une situation bien pire que celle que nous connaissons, pour le moment, justifia de son côté la «Terreur» par la formule laconique mais significative de «despotisme de la liberté» en écho à Saint-Just à qui l’on doit la formule célèbre, tout aussi paradoxale «Pas de liberté pour les ennemis de la liberté». Puis vint Bonaparte.

On doit bien enseigner l’Humanisme (historique), le siècle des Lumières et la Révolution Française, à Berkeley comme à Princeton, les universités que vous avez fréquentées aux States, Monsieur le Commissaire. Alors noir ou blanc, gris sans doute mais gris clair ou foncé ? Comme c’est difficile ! Que conseillez vous alors concrètement comme mesures qui aient une chance d’être efficaces même si… ?

Cette doucereuse tendance à ménager chèvre et chou, est un peu le péché mignon institutionnel du Conseil de l’Europe, toujours perclus de bonnes volontés, dûment raisonnées, mais peu efficaces faute de moyens d’application. Néanmoins, souvent, il faut bien que ces beaux sentiments puissent être exprimés, même s’ils sont tenus pour ringards ailleurs. Ils ne doivent pas empêcher d’agir et fort. Là est le problème et l’âne est entrain de maigrir. On appelle un conseil suprême des vétos ?

1 Kommentar zu Les droits de l’homme et des autres, comme l’âne de Buridan.

  1. Merci, Antoine, de nous rappeler qu’il ne suffit pas de quelques “plumes au vent” pour sauvegarder l’équilibre qui ne se prouve, ne se cultive… qu’en marchant – donc en mangeant régulièrement. Le Héron de La Fontaine en sut aussi quelque chose, à force de faire le difficile “sur ses longs pieds”. Continuons donc d’avancer modestement, même le dimanche (d’élection), même dans la chambre de la réflexion et de l’imagination citoyennes, dans ce “for intérieur” qui est aussi l’antichambre du “forum”, plus précisément de l’espace public où s’exercent nos humains droits de l’homme…

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