« Les Droits de l’Homme : un combat sans fin ? »

Une conférence de l’Association Parlementaire Européenne

Homme-Requin, une statue du peuple Fon (Bénin) Foto: Myrabella / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(MC) – A l’APE, mardi soir, à l’occasion du 70ème Anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, a eu lieu un Débat sur ce thème tournant autour de l’actualité et de l’avenir des Droits de l’Homme… et du rôle dévolu à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, installée à Strasbourg. Madame Heidi Hautala, vice-présidente du Parlement Européen et responsable du réseau pour le Prix Sakharov et Monsieur Patrick Titiun, dirigeant le bureau présidentiel de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ont exposé surtout le dynamisme et la complexité tout ensemble de l’idée des Droit de l’Homme universels. Mais que signifie « universels », concrètement, et comment la CEDH se rapporte-t-elle à cette universalité ?

Patrick Titiun a retracé dans ses grandes lignes la genèse de la Cour Européenne. Quelques grands personnages y ont beaucoup oeuvré, dont Eleanor Roosevelt et René Cassin. Cassin a fait la Première guerre mondiale, et après l’Armistice, s’est presque immédiatement engagé en faveur de la réconciliation des « Ennemis » proclamés. D’où le Comité de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Ce Comité allait moins loin, cependant, que René Cassin ne l’eût désiré : il n’a mis en place aucun mécanisme contraignant. De vives discussions ont eu lieu ainsi jusqu’à 1950 au moins. La polémique portait surtout sur l’extension à donner aux institutions de défense des Droits de l’Homme : systèmes régionaux limités, extension concrètement et géographiquement universelle ? Il y avait désaccord entre Cassin et, notamment, Pierre-Henri Teitgen – qui retrace ce dissensus dans ses Mémoires intitulés : Faites entrer le témoin suivant, 1940-1958.

Pourquoi ces 2 textes ont-il vu le jour dans un délai aussi rapproché ? La Convention Européenne des Droits de l’Homme, en effet, est publiée en 1950, 2 ans après la Déclaration Universelle. La problématique essentielle et récurrente est alors bien celle de l’universalité concrète des Droits de l’Homme : faut-il préférer des institutions « régionales » comme les ont réalisées notamment la Cour interaméricaine de San José, fondée en 1979, ou la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples installée en 2004, et… la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg (depuis 1959)  ? René Cassin ne le pensait pas : lui et ses partisans estimaient que se tapissaient là des risques de relativisme, d’européocentrisme pour ce qui concerne la CEDH : c’est-à-dire de confinement des droits à certaines entités culturelles précises, d’instrumentalisation des droits à des fins politiques et de domination des Etats sur leur population.

Cette « régionalité » peut cependant générer des réalisations et des percées essentielles. En ce sens, la force particulière de la Cour de Strasbourg réside en ce qu’elle a force contraignante, et qu’elle assure la protection des citoyens envers un Etat, « leur » Etat. Patrick Titiun fait remarquer qu’il a rencontré dans de nombreux pays, et surtout en Europe centrale et orientale, des personnes pour lesquelles le nom « Strasbourg » était synonyme de défense des droits de la personne face à des Etats harceleurs, répressifs, et/ou dictatoriaux. Est-il besoin de rappeler que cette réalisation à elle seule est d’importance majeure dans l’histoire du droit ? Concrètement : 58 000 affaires de ce type ont été traitées, dont 11 000 concernent le Russie ! Et 9 000 la Roumanie ; puis viennent l’Ukraine, la Turquie, l’Italie…

Le tableau est donc très contrasté et assez complexe : la Cour de Strasbourg subit depuis sa naissance des critiques acerbes contre son prétendu caractère de manifestation particulière privilégiée de la culture occidentale et européenne ; ces critiques se sont multipliées depuis quelques décennies, surtout depuis les décolonisations successives et, plus tard, l’éruption du prurit islamiste. Mais parallèlement, les recours à Strasbourg se sont eux aussi multipliés, montrant par le concret à quel point la sensibilité humanitaire et le souci des droits individuels sont des réalités mondiales. De même que la souffrance humaine et le bonheur…

En ce sens, une foule de critiques des institutions européennes des Droits de l’Homme tombe à plat. Ce qui importe, c’est d’assurer une interprétation dynamique du droit, en le réajustant sans cesse à la société telle qu’elle est et telle qu’elle évolue. La Cour européenne ne repose pas sur des mantras fixés à jamais dans les années 1940-1950, alors qu’il s’agissait de reconstruire le sentiment humanitaire. Elle adapte sa pratique à la société, et elle va sans cesse de l’avant. Patrick Titiun en a fourni quelques exemples : l’égalité des enfants, l’esclavage domestique, le changement juridique de sexe, et… non moins que le droit à l’avocat pendant la garde à vue !

Et cependant, un chapeau universel est nécessaire, souligne Heidi Hautala : parce que partout, in voit des signes d’une régression de l’Etat de droit, et que si cette universalité concrète n’existait pas, les Etats instrumentaliseraient plus facilement les droits : au nom de la tradition, ou de la voie particulière que tel « peuple » (c’est-à-dire Etat…) prétend vouloir emprunter .Or, bien des Etats, notamment dans la sphère « illibérale » européenne, assurent à peu près la sécurité des citoyens, un niveau de vie acceptable, mais pas la liberté concrète ; c’est d’ailleurs ce que développe Yascha Mounk cette année, après tant d’autres, dans son ouvrage : Le Peuple et la démocratie.

La Cour Européenne de Strasbourg joue donc une rôle irremplaçable dans la sphère du droit international, par sa radicalité (au bon sens du mot) et son dynamisme permanent dans l’interprétation du droit.

Elle a surtout mis fin à la souffrance de dizaines de milliers d’individus dans leurs rapports difficiles avec des Etats souvent indélicats ou brutaux. Longue vie à la CEDH.

 

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