Les Hongrois en Ukraine : cautèle !

Une poussière persistante dans l’oeil de Kiev

La Synagogue de Beregszasz/Berehove Foto: Unknown / Wikimédia Commons / CC-BY-SA / PD

(MC) – La situation entre l’Ukraine et la Hongrie est très tendue, comme rarement ces dernières décennies. Motif : la polémique entre les deux Etats à l’occasion des tentatives d’uniformisation culturelle du pays par Kiev. Les autorités ukrainiennes ont décidé, en effet, d’imposer une scolarité en langue ukrainienne exclusivement dès le primaire ; celles de Budapest ont riposté en conférant aux Hongrois de l’oblast (région) de Transcarpatie, capitale Ujhorod, la double nationalité. Ce dont la légalité n’a nullement été reconnue par Kiev.

Le vrai problème, c’est la rencontre de deux nationalismes brutaux : celui de Viktor Orbán à l’Ouest et celui de Petro Porochenko à l’Est. Mais la tentative d’uniformisation culturelle à la jacobine du pays par le régime ukrainien est sinon la cause première, du moins la cause occasionnelle de l’inquiétante montée aux narines carpatiques de la moutarde belliqueuse. Elle a été mise en oeuvre d’abord à l’Est, contre les populations russophones – et elle a engendré la réaction de Poutine, qui était fin prêt et qui n’attendait qu’une telle provocation pour entrer en scène guerrière dans le Donbass, puis pour annexer la Crimée.

A l’Est, les Russes et la langue russe, à l’Ouest, les Polonais, les Roumains et les Hongrois. Ce qui éveille l’attention et de sérieux soupçons quant à l’agitation constatable du FSB au sein d’une certaine extrême-droite ukrainienne. Alliance objective donc, mais bien davantage que cela : infiltrations russes dans quelques groupuscules kievois nazifiants… En tout cas, les provocations ne cessent pas, depuis maintenant presque 4 ans, et elles se sont beaucoup intensifiées depuis le début de cette année. Elles visent à dresser les 2 pays l’un contre l’autre, alors même que les droits de la minorité hongroise de l’oblast étaient reconnus jusque là. En gros jusqu’à 2014.

Le 9 octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères de Budapest a expulsé l’ambassadrice de la République d’Ukraine. Cela parce que des « listes de mort » comprenant les noms de Hongrois vivant dans l’oblast ont été dressées : des hommes à abattre, a annoncé le secrétaire d’État des Affaires étrangères, Levente Magyar, lors d’une conférence de presse à Budapest.

Quelle liste et quels hommes ? Il s’agit d’une liste dressée régulièrement par un media en ligne d’extrême-droite, Myrotvorets (Le Gardien de la Paix), qui entretient d’ailleurs des relations discrètes mais avérées avec les services secrets ukrainiens. Ce média nauséabond pratique la délation des individus qui selon lui, représentent un danger pour la sécurité de l’État… Et cette fois ci, en automne 2018, il fait la liste de 313 personnes auxquelles l’Etat hongrois a conféré la double nationalité ; ce que Budapest pratique depuis 2010, depuis que les intentions politico-culturelles de Kiev sont devenues très claires.

L’un des personnages les plus menacés, depuis septembre, est le consul de la ville transcarpatique de Berehove (en hongrois : Beregszász), que l’on voit sur une vidéo en train de naturaliser (hongrois, non, pas de l’empailler) un sujet ukrainien d’origine et de langue hongroises… Cette liste qui s’appelle Purgatoire (Christilisce) a été à l’origine, en avril 2015, des assassinats de l’écrivain Oles Buzina et d’un député qui portait le doux patronyme de Kalachnikov.

Des détails ? Bien. Cette liste, c’est le vice-ministre George Tuka, en poste actuellement, qui l’ a fondée. Elle dépend d’une ONG qui porte le même nom et que dirige un fonctionnaire du service de sécurité de la ville de Louhansk. Myrotvorets est en réalité une fenêtre extérieure de la SBU, le service de renseignement ukrainien. En mai 2015, comme les médias internationaux désiraient informer le public du monde sur la guerre russo-ukrainienne au Donbass, Myrotvorets avait listé et rendues publiques les données personnelles de 4508 journalistes…
Ce sont ces distingués personnages à l’esprit ouvert qui accusent les Hongrois d’Ujhorod de menées « séparatistes ». Lesquelles, au train actuel, ne vont pas tarder peut-être à se manifester, en effet !

Depuis quelques mois, en tout cas, les provocations ne cessent de pleuvoir : telle Marine Le Pen (alias Irina Farion) à l’ukrainienne traitant les Hongrois de son pays de « débiles »  parce qu’ils n’assimilent pas assez vite la langue de leurs maîtres, et ce sous l’égide de Saint Stepan Bandera, un nazi d’Ukraine, tel incendie au cocktail Molotov d’un centre culturel à Berehove, tel tabassage dans les rues de la dite ville…

L’histoire de cette région est très complexe. On l’appelait autrefois Ruthénie transcarpatique, et elle a été Ruthénie des siècles avant que d’être partie d’une Ukraine qui était encore bien loin d’être cousue ensemble avec des morceaux de Pologne, de Hongrie, etc. Les Hongrois de cette oblast sont au nombre de 130 0000 environ, c’est-à-dire 10 % de la population totale, soit 3 % de la population ukrainienne totale. De fortes minorités roumaine et polonaise vivent là aussi ; et, en deux mots, elles promettent elles aussi des lendemains difficiles au régime ukrainien, notamment dans sa volonté d’intégrer l’OTAN et l’Union Européenne, si leurs droits culturels et politiques ne sont pas respectés…

Les habitants de cette région, en tout cas, éprouvent un fort tropisme occidental et se sentent bien étrangers au pathos de l’horrible guerre du Donbass, à cette réserve près que cette guerre est précisément le produit d’une absurde montée conjointe du nationalisme dans les deux pays belligérants, Ukraine et Russie. Ce que la population, à la disposition d’esprit modérée et éprise de paix, veut éviter absolument. Un précision utile : Ujhorod, la capitale de la région, se situe à plus de 800 kms de Kiev, mais à 300 kms de Budapest. La géographie et la géographie humaine parlent…

En définitive, c’est du droit des minorités qu’il est question. Ces droits, Leonid Kutchma, Premier ministre et Président de 1992 à 2005, les faisait respecter avec une certaine sagacité. Mais nous sommes entrés dans une autre époque, surtout depuis 2014. Nous en sommes loin, désormais, à cause de la rivalité de gouvernements aussi dangereux que ceux d’Orbán et de Porochenko. L’Union Européenne et le Conseil de l’Europe doivent y veiller avec vivacité (si elles le peuvent) et fermeté (idem). Ce qui se passe aujourd’hui, qui plus est sous le regard plus qu’intéressé de Moscou, est très grave.

 

 

 

 

 

 

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