Les jeunes, la Covid et l’anthropologue

Trop souvent incriminés dans la propagation du virus de la Covid-19, les jeunes méritent qu'un autre regard se porte sur eux.

Au second plan, la résidence universitaire privée Galileo Galilei à Valence. Foto: Felivet / Wikimedia Commons / PD

(Jean-Marc Claus) – Mi-Octobre, les campus de Valence, de Grenade et de Catalogne ont été fermés à titre préventif pour une durée de quinze jours. Les jeunes constituent en Espagne la population la plus touchée par la seconde vague de Covid-19. Ce sont, avec cette mesure radicale, 298.500 étudiants qui se retrouvent actuellement privés de cours en présentiel, mais l’enseignement reste assuré en ligne. Selon les autorités, il n’y a pas encore eu à proprement parler d’épidémie au sein des campus, les contaminations avérées étant générées par la vie extra-universitaire.

Il s’agit bien là d’éviter la création d’un foyer épidémique géant car, les soirées et autres manifestations festives étudiantes organisées en dépit des interdictions, ont déjà provoqué le confinement de résidences étudiantes entières suite aux cas positifs détectés a posteriori. José Luis Cueto, le vice-recteur de l’École Polytechnique de Valence, ne comprend pas l’irresponsabilité des étudiants ne craignant pas pour leur santé, mais oubliant complètement les risques encourus par leurs familles. Les sanctions sont pourtant dissuasives : 1.000€ pour non port du masque à titre individuel et jusqu’à 60.000€ pour les établissements manquant de rigueur, notamment en laissant s’organiser dans leurs enceintes des festivités interdites par la loi.

Les 15-30 ans constituent la majorité des 1,3 million d’étudiants fréquentant les universités espagnoles. Vivre en résidence universitaire accroît le risque de contamination, car ces bâtiments ne sont pas conçus comme les hôpitaux pour gérer à la fois circulation et isolement. Par ailleurs, des logements étant prévus pour la colocation afin d’en réduire les loyers, le problème se complexifie. Pour beaucoup d’étudiants dans une résidence universitaire privée telle que la valencienne Galileo Galilei, entre 635€ de loyer mensuel en chambre triple et 1.295€ en chambre individuelle premium avec terrasse, le choix est vite fait.

Et quand bien même certains ont les moyens de bénéficier de logements individuels, comme l’explique l’ancien directeur des urgences de l’OMS Daniel López Acuña, une résidence universitaire s’apparente à une résidence gériatrique en ce sens qu’elle est principalement un espace de coexistence étroite. Ainsi est-il totalement improductif de stigmatiser dans leur ensemble les étudiants, et plus largement les jeunes. Ce que soutient Carlos Feixa Pàmpols, anthropologue enseignant à l’Université barcelonaise Pompeu Fabra, regrettant que les autorités se soient focalisées sur les seuls aspects sanitaires de l’épidémie.

Une approche de la tranche d’age 15-30 ans, sous l’angle de l’anthropologie sociale, aurait permis de développer des campagnes de préventions plus efficaces au moment du passage à la Nouvelle Normalité (Nueva Normalidad) fin Juin. Il souligne qu’en pleine phase d’ouverture à l’espace public et vivant dans la culture du risque, les jeunes ne sont pas égoïstes, mais suivent l’évolution normale de la structuration de leurs personnalités et cela dans une dimension collective. Dotés d’importantes facultés d’adaptation, ils n’ont pas fait de vagues durant le confinement et se sont habitués très vite au basculement des relations sociales sur le mode virtuel, aidant même leurs aînés à s’y mettre.

C’est la fin du confinement qui, après l’été et avec la reprise des cours, leur a été « fatale », car ils vivent essentiellement dans l’instant présent, d’autant plus que les incertitudes de la situation actuelle les empêchent de se projeter dans l’avenir. Mais Carlos Feixa Pàmpols reste optimiste, du moins à propos des capacités de mobilisation des jeunes, les récentes campagnes en faveur de la défense du climat en ayant fait la démonstration. Mais une approche exclusivement punitive sera totalement contre-productive. Un pacte intergénérationnel leur laissant de la place en tant que force de proposition et d’innovation, les rendra acteurs d’une démarche collective de prophylaxie.

Qu’on leur en donne une ou pas, les jeunes prennent de toute façon une place dans la société. Leur assigner une place, n’est pas socialement plus viable que de les laisser en prendre une tout aussi arbitrairement. Même si cela n’est pas encore une évidence pour tous, le compromis intergénérationnel s’avère plus que jamais nécessaire. Alors, cessons d’infantiliser les jeunes, et pas seulement en Espagne !

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