Les jours d’après : élections, pièges à cons ?

Alain Howiller analyse les élections de dimanche dernier et le phénomène de l’abstentionnisme et se pose des questions quant aux échéances électorales à venir …

Une fois de plus, les bureaux de vote étaient désertés dimanche... Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – Vous ne vous en souvenez sans doute pas. C’est pourtant un slogan né en Juin 1968, à l’occasion des élections législatives qui, grâce à la majorité absolue dans les urnes, permettront au Général de Gaulle, alors Président de la République, de se sortir de la crise « néo-révolutionnaire » qui venait de secouer durement la France au mois de Mai. Les opposants au général avaient alors lancé, sans grand succès, le slogan : « Elections, pièges à cons ! » A voir l’abstention qui a marqué les élections régionales et départementales qui viennent d’avoir lieu, on pourrait croire que le slogan d’hier s’est incarné dans la réalité d’aujourd’hui ! Au premier tour du scrutin, l’abstention a été, au plan national, de près de 67%. Elle a légèrement dépassé les… 70% dans le Grand Est !

Un léger redressement s’est opéré au deuxième tour du scrutin : 65,7% d’abstention au plan national, 69,7% dans le Grand Est ! Pas de quoi pavoiser et pourtant, à suivre les débats télévisés, on reste abasourdi : ceux qui ont perdu l’élection, imputent leur échec aux abstentionnistes, ceux qui ont cru devoir fêter leur « victoire » (relative, si on tient compte des non-votants !) estiment qu’ils ont gagné parce que ils… étaient les meilleurs ! Aucun intervenant n’a mis en cause l’absence de programmes adaptée aux demandes des citoyens ! Mais le (trop) léger frémissement dans la participation, ne justifie en rien des espoirs de redressement rapide face à la crise de la démocratie représentative que nous venons de vivre avec cette « Bérézina électorale » d’une ampleur jamais égalée.

Quand les jeunes tournent le dos à l’élection. – Seules les élections présidentielles et (dans une certaine mesure européennes !), ont pu échapper à la lèpre abstentionniste qui aura vu que deux électeurs sur trois ne se sont pas rendus aux urnes. Le constat aura été d’autant plus dramatique que, selon les sondages, 87% des jeunes entre 18 et 25 ans n’ont pas pris le chemin de l’isoloir ! Et l’ignorance affichée sur les réseaux sociaux à propos des élections n’a, évidemment, rien arrangé. Pourtant, cette tranche d’âge aurait du se sentir concernée du fait des prérogatives (économie, apprentissage, RSA, voire lycées et collèges) attachées aux structures en cause.

50% des électeurs (sondage publié par Le Figaro) ne sont pas allés voter par manque d’intérêt ou par méfiance vis à vis du personnel politique. Une enquête menée en… 2016 par le « Centre de Recherches politiques de Sciences Po » (communément appelé CEVIPOF) soulignait que 82% des Français avaient (déjà !) une vision négative de la politique, 88% des sondés estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de ce que pensaient les citoyens et 54% étaient déçus par les élus. Selon une étude de « l’Association Nationale des Conseils d’Enfants et de Jeunes (ANACE) », 43% des sondés pensaient (en 2018 !) qu’ils pourraient voter pour des partis extrême-droite ! Le problème de l’abstentionnisme et du laxisme des décideurs politiques pour y remédier, n’est pas nouveau, n’en déplaise aux « pleureuses » qui, au soir des débats médiatisés, essayent de se défausser de leurs responsabilités en participant, sans vergogne, à ce que j’appellerais, aux « bals des faux culs » des soirs d’élection !

Des « gilets jaunes » aux… « Querdenker ». – A moins de trois mois des élections législatives allemandes, à moins d’un an des élections présidentielles françaises, je ne peux que reprendre ce que j’écrivais, ici même, le 30 Novembre 2018 : « Tant à Paris qu’à Berlin, on s’interroge sur les moyens de réactiver une démocratie qui donne d’inquiétants signes d’essoufflement. Comment réintéresser l’électeur aux élus, comment rapprocher les institutions des abstentionnistes dont le nombre s’étiole d’une consultation à une autre ? Intéresser le citoyen : voilà un thème riche (!) qui, généralement, fleurit à la veille d’élections, se développe les soirs de scrutin pour être vite oublié en attendant… la prochaine consultation électorale. En France, des « black blocs » d’aujourd’hui aux gilets jaunes d’hier, « avatars » des bonnets rouges… d’avant-hier, en Allemagne, des manifestants anti-murs d’hier aux extrémistes de Chemnitz ou aux « néo-nazis » de Dresde, (… j’ajouterais aujourd’hui les « Querdenker »), les démocrates s’interrogent : les minoritaires de la rue, vont-ils désormais imposer leurs vues aux urnes ? »

Le débat, on le voit, n’est pas nouveau, mais il prend, cette fois, une intensité qu’on espère génératrice de solutions. La crise a été amplifiée, on ne le dira jamais assez, par deux fractures également virales. L’une « d’opportunité », est liée au vote et à son environnement politique, l’autre « structurelle » est consubstantiellement liée au système de prise de décision.

L’insoutenable poids du « mille-feuilles » institutionnel. – Il était hasardeux de relier élections régionales et départementales en un même scrutin générateur de confusion : rares étaient ceux qui pouvaient définir les tâches de l’une et l’autre institution alors même que, sous couvert… d’alléger le « mille-feuilles institutionnel », on s’est, en fait, ingénié, au fil des années, à le conforter. Les représentants des institutions régionales et locales se marchent sur les pieds à coup de doublons et de confusions de responsabilité. Entre les structures « déconcentrées » des services de l’Etat et celles « décentralisées » des collectivités territoriales, qui a le dernier mot, qui décide, qui, applique, qui paie ? Et, in fine, qui… élire ?

« Quand il y a du flou, c’est qu’il y a un loup ! », dit-on et ce loup s’appelle… « abstention », surtout après les frictions et les conflits sourds entre autorités qui ont marqué la gestion de la pandémie. Recentrer les débats autour des élections régionales et départementales -véritables enjeux de la consultation- eut été facile, si le gouvernement avait enfin soumis au parlement sa loi dite des « 4 D » (« déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification ») qui doit régler les rapports entre « Etat » et « Collectivités ». L’avant-projet loi est prêt, le parlement… l’attend !

Un « non » au duel Le Pen-Macron ? – Le projet aurait pu mobiliser et éviter que l’élection ne devienne une sorte de « pré-tour » des élections présidentielles, de « pré-test » d’une confrontation redoutée entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, le tout sur fond de débats (criminalité, immigration) qui ne relevaient pas de la compétence des institutions soumises à renouvellement. Une approche d’autant moins mobilisatrice que quelques semaines plus tôt, les sondages soulignaient qu’une majorité de Français ne souhaitaient pas que les présidentielles de 2022 rééditent une confrontation Le Pen-Macron, une analyse parue dans le quotidien régional « La Nouvelle République » affirmant même que près des deux tiers des citoyens souhaitaient que le président sortant ne se… représente plus ! Cela étant, les multiples prétendants à la présidentielle de 2022 auraient tort de tirer des plans sur la comète : la constellation de 2022 ne ressemblera sans doute pas à celle de cette année, car le passé le prouve, la participation devrait être d’un autre ordre !

La prise en compte de ce que j’appelais la « fracture d’opportunité » nous éloigne de l’enjeu de ces élections 2021. On est loin d’élections régionales et départementales, desservies, en outre, par le fait qu’aucune promotion en faveur de la participation à la consultation n’a été organisée par les pouvoirs publics, que des perturbations ont lieu, au premier comme au deuxième tour, dans la distribution à domicile des documents officiels (programmes et listes des candidats), que le choix de la date de tenue des élections -le dimanche de sortie de confinement qui pousse aux loisirs- a été désastreux.

C’est la faute aux « politiques ». – Mais l’abstention trouve essentiellement son origine dans le manque de décisions de la part des responsables politiques pour essayer, malgré de multiples promesses, de faire face à la « fracture structurelle » : ils sont passés à côté de la nécessaire adaptation de « l’offre politique » à la demande des citoyens. L’enquête du CEVIPOF a été révélatrice, dès 2016, de la crise qui s’était-déjà- installée entre les citoyens et ceux qui les dirigent : 67% des Français estimaient que la démocratie ne fonctionnait pas bien, 81% exprimaient leur désenchantement, 39% étaient méfiants vis à vis des politiques, 54% étaient déçus par eux. Le désir de renouvellement de l’offre politique s’est à nouveau manifesté à travers les résultats de ces élections régionales et départementales.

D’après l’enquête du CEVIPOF, les Français souhaitaient un régime moins présidentiel : 64% des sondés se déclaraient prêts à supprimer un système donnant trop de pouvoirs à un homme, 44% étaient favorables à un mandat unique pour leur Président, 77% étaient favorables à une limitation de la durée des mandats électifs (limitation à deux législatures ou mandatures), 76% estimaient que, une fois élus, les fonctionnaires devaient démissionner de la fonction publique, 66% étaient d’accord pour introduire une limite d’âge à ceux qui se présentent à une élection, 48% étaient favorables à l’introduction de la proportionnelle, 39% se montraient favorables au vote par internet. Un groupe de travail présidé par Claude Bartolone, alors Président de l’Assemblée Nationale -réunissant parlementaires et « personnalités qualifiées » conduites par l’historien Michel Winock- émettait même 17 propositions pour « restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants ! ».

Il y a des chances pour qu’ils n’aient toujours rien compris ! – Parmi ces propositions : le retour à un septennat (unique) pour le Président de la République, l’Assemblée doit pouvoir s’opposer aux nominations effectuées par le Président de la République reconnu comme « chef de la majorité » (le groupe avait envisagé la suppression du poste de Premier Ministre !), introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée Nationale (ce point figurait dans le programme d’Emmanuel Macron), fusion du Sénat et du « Conseil Economique, Social et Environnemental », diminution du nombre de députés (400 au lieu de 577), recours au referendum y compris d’initiative populaire… En Allemagne, un groupe interpartis avait également fait des propositions : vote électronique élargi, multiplication des bureaux de vote même en dehors des bureaux « officiels », réforme électorale simplifiant un système jugé « trop compliqué », vote obligatoire, vote par correspondance.

Que restera-t-il de ces propositions : verront-elles le jour, quand et comment ? Auront-elles, un jour, une application ? A quelques mois à peine d’une nouvelle échéance électorale, peut-on encore espérer qu’on ouvrira les tiroirs dans lesquels elles ont été soigneusement rangées ? A voir la teneur des débats d’après cette élection, on peut, hélas, en douter !

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