Les médias victimes ou acteurs du conflit des « gilets jaunes » ?

Alain Howiller analyse le rôle et le comportement des médias dans le conflit social autour des « gilets jaunes »

Au pays où on a érigé après "Charlie" un monument à la liberté de la presse, on ne parle plus que des "merdias"... Foto: Romain Bréget / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Une bien étrange croisade gonfle les voiles d’une contestation qui, plus encore que les particules en suspension, pollue l’atmosphère de nos démocraties. Les citoyens d’en-bas, pour utiliser la phraséologie d’un ancien Premier Ministre, jettent – dit on – des regards suspicieux (peut être d’envie ?) vers les citoyens d’en-haut accusés de se repaître du malheur des premiers : pour avoir du « pain », les Français, une fois de plus, rêvent de ramener parmi eux le boulanger, la boulangère… « Nous ne manquerons plus de pain », chantaient ceux et celles qui le 6 Octobre 1789 ramenaient Louis XVI et sa famille de Versailles à Paris. Aujourd’hui, ils rêvent de se confronter sur un « rond point occupé » avec les représentants du pouvoir : quelle meilleur choix qu’un rond point pour tourner en rond ? A moins qu’on préfère un labyrinthe végétalisé version « jardins de Versailles ». Du reste, pour rester dans l’allégorie historique, essayons de faire appel à Beaumarchais dont le « barbier de Séville » excédé lançait, au siècle des Lumière : « Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ! » Or, en ces temps – disons – difficiles pour ceux qui, avec un stylo relevant de la tradition, décrivent et commentent la vie de leur temps, il n’est plus aisé (d’ailleurs est-ce que cela l’a jamais été ?) de s’exprimer !

Les « médias » qui par définition se doivent d’être au milieu des événements (médias vient bien du latin « medium », au milieu, au centre) font l’objet de critiques virulentes mettant en cause leur approche des choses : l’extrême-droite comme l’extrême-gauche, une fois de plus en convergence, attaquent tout particulièrement ce qu’à Chemnitz ou à Dresde on appelle « Die Lügenpresse » et qu’à Paris, du côté des « gilets jaunes », on baptise « merdias » ! La liberté de la presse affirmée par le Conseil Constitutionnel proclamée dès la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, est mise en cause ; et alors que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les lecteurs ont renoncé dans leur grande majorité aux journaux d’opinion qui avaient progressivement disparu, voilà qu’on souhaite, paradoxalement, retrouver des journaux prenant position… en faveur des thèses disparates de ceux qui les lisent (peu en réalité !). On réclame de « l’objectivité… subjective » !

Donald Trump, la démocratie et…. l’éternité ! – Dans un éditorial, « Ouest France » avait relevé : « L’Histoire a bien souvent montré que la critique systématique des médias justifiait ensuite de s’attaquer à la liberté de la presse. » Un avertissement qui se concrétise dans la plupart des pays aux régimes dits « forts » et qui commence à séduire certaines puissances pour qui l’attitude de Donald Trump vis-à-vis des médias risque de valoir encouragement, malgré le premier amendement de la Constitution américaine qui interdit de toucher à la liberté de parole et de presse ! A l’heure où, médusé, on entend un dirigeant de parti mécontent des enquêtes d’une chaîne de télévision lancer : « Pourrissez la vie des journalistes de France Info », où les journalistes se font frapper et où on attaque les kiosques qui « osent » afficher la « une » d’un magazine qui met en cause l’attitude du président turc, il est temps de se rappeler que la liberté d’expression – comme la démocratie- n’est pas un don éternel, mais une conquête qu’il faut protéger.

C’est sans doute avec étonnement que la Région du Grand Est, dont la qualité des médias a toujours été reconnue, a découvert à l’occasion de la séance plénière de la Région tenue à Metz le 15 Novembre que « beaucoup de choses inexactes se racontent à propos de la nouvelle collectivité européenne d’Alsace », la classe politique était visée disait-on, mais il était difficile de ne pas faire monter les médias sur l’estrade des accusés ! D’autant que quelques temps auparavant, Jean Rottner, le président du Grand Est, avait publié un communiqué soulignant : « Les élus de la Région Grand Est sont au travail. Je n’accepte pas que leur engagement au quotidien puisse être remis en cause et stigmatisé dans la presse… ». Si pour Blaise Pascal le « moi était haïssable », le « je » cajolé par les réseaux sociaux, mot clé de la contestation, devient culte et impératif catégoriel !

Les clubs de la presse du Grand Est réagissent. – Rares à prendre position, les clubs de la presse du Grand Est (Metz-Lorraine, Reims-Champagne et Strasbourg-Europe) ont réagi aux attaques dont les médias font de plus en plus l’objet. Dans leur prise de position, les clubs écrivent : « Après les attaques pendant la campagne présidentielle, les charges contre les médias reprennent avec le mouvement des gilets jaunes. Sur le terrain ou sur les réseaux sociaux, les insultes et les menaces se multiplient depuis plusieurs jours contre des reporters dans plusieurs villes de France. Si les journalistes acceptent d’être critiqués sur leur travail, il n’est pas tolérable, aussi grande soit la colère, que certains s’en prennent verbalement ou physiquement à eux. Les clubs de la presse de Strasbourg-Europe, Metz-Lorraine et Reims-Champagne tiennent à rappeler que défendre la presse n’est pas un réflexe corporatiste. Partout où les journalistes sont menacés, la démocratie décline. »

Il est vrai que la « démocratie » du pavé dans la figure, de la relance du système référendaire auquel ses promoteurs peuvent faire dire ce qu’ils veulent, la mise en cause du système représentatif au profit d’un mandat impératif jusqu’ici interdit, le renversement des institutions, constituent des pas vers un horizon qui, comme le rappelle la définition même de l’horizon, s’en éloigne au fur et à mesure qu’on… s’en approche ! La « spontanéité des masses », célébrée il y va un siècle par les « spartakistes allemands », pourrait-elle remettre au goût du jour Aristote voire Platon ? Avec ce propos du premier qui écrivait : « La décision du peuple doit être souveraine quand elle absout, elle ne doit pas l’être quand il condamne ! »

1 Kommentar zu Les médias victimes ou acteurs du conflit des « gilets jaunes » ?

  1. Faivre Christine // 8. Dezember 2018 um 11:37 // Antworten

    Vous avez parfaitement raison sur le fait qu’il faut préserver la liberté d’expression. Il est intolérable d’agresser des personnes pour leurs positions politiques ou autres. La presse n’a pas plus de droits ou devoirs que toute autre personne. Elle a le droit de se positionner pour ou contre les gilets jaunes comme tout citoyen. Tout citoyen d’ailleurs peut publier son opinion, ouvrir un journal en ligne… La presse issue des écoles de journalistes n’a plus le monopole de l’information. L’information est de ce fait de moins en moins contrôlée. Avantages mais aussi dangers …
    Il est totalement inacceptable d’agresser une personne quelle que soit le motif. Se faire agresser parce qu’on est journaliste, policier, juifs, arabe, femme, homosexuel … est identique. Le journaliste ne doit pas se considérer comme un noble. Il doit faire son travail sans mépris pour des gens plus simples qui peut-être ne savent pas s’exprimer, écrire. La presse doit faire preuve de bienveillance.
    Le problème de cette révolte n’est pas un problème de jalousie. C’est un problème de justice très grave. Il y a des gens qui ne peuvent plus se soigner, se chauffer, manger correctement … ne peuvent plus donner à leurs enfants une sérénité propice à leur développement. Pire il y a des gens qui meurent dans le monde. la délinquance qui se nourrit de la pauvreté se propage. 87 pourcents de la richesse créée en 2017 a été accaparée par 2 pourcents de la population. C’est un crime contre l’humanité qui fait plus de morts que la deuxième guerre mondiale. Et vous parlez de jalousie ???
    Est-ce que vous aimeriez que votre fils travaille dehors sur un toit dans le bâtiment pour 1000 euros par mois, qu’il porte des charges lourdes, qu’il nettoie les toilettes ? C’est inhumain de l’esclavage économique !!! Tout le monde ne peut pas être un intellectuel mais tout le monde a le droit de vivre. L’intelligence ne devrait pas donner droit a une vie plus longue, une meilleure santé. Qu’il y ait des différences de salaires, des profits oui mais raisonnables, pas à faire mourir des gens.

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