Les morts invisibles de Tchernobyl

37 ans après la catastrophe de Tchernobyl, on ne sait toujours pas combien de morts a causé cet accident nucléaire pourtant majeur.

37 ans plus tard, Tchernobyl est toujours une "zone de la mort". Foto: Crédit Pedro Moura on Visual Hunt / CC-BY-SA

(Franck Dautel) – Pourquoi ne sait-on pas davantage sur les victimes de la catastrophe nucléaire à Tchernobyl ? Tout d’abord, parce qu’il s’est déroulé à l’époque soviétique et ce n’est pas rien en matière de silence organisé au plus haut niveau, Glasnost ou pas. D’autre part, parce que dans les pays où le nucléaire est développé, le mensonge est monnaie courante, de la France à la Russie, en passant par le Japon et les États-Unis. Il n’y a qu’à nous souvenir pour nous en convaincre, que pour la France, le nuage radioactif n’avait pas traversé le Rhin en 1986...

On s’accorde à reconnaître que d’avril 1986 à 1992, entre 500 000 et 800 000 « liquidateurs » : ouvriers, paysans, soldats, mineurs ou pompiers, ont été envoyés de toute l’URSS pour nettoyer le périmètre irradié. Combien sont décédés pour avoir approché d’aussi près de ce réacteur en fusion ?

Une chape de mensonges à la russe entoure depuis 37 ans le nombre de décès causés par la catastrophe. En France, on entend encore que « les morts de Tchernobyl, on attends de les voir !», comme l’a dit un jour par exemple, le maire de Fessenheim…

L’accident aurait provoqué entre 43 et 4 000 décès, selon les rapports des agences de l’ONU. 43 morts ?! La première conférence de presse tenue après la catastrophe par les autorités soviétiques, n’avait lieu que le 6 mai 1986, 12 jours après l’événement dramatique. Un communiqué du comité central du Parti communiste daté du 19 mai 1986 précisera sans rire: « L’état du réacteur endommagé est rigoureusement contrôlé et ne suscite aucune crainte. »

Anna Korolevska, directrice scientifique du musée national de Tchernobyl, précise que, pendant son survol du réacteur en hélicoptère (à 200m d’altitude), « Anatoly Rasskazov (photographe officiel de la centrale) a été exposé à une dose de radiations équivalente à 3 sieverts, l’unité de mesure de l’impact des rayonnements radioactifs sur un être humain. Une telle dose peut, selon les cas, être mortelle. »

Anatoly Rasskazov est mort en 2010, à l’âge de 66 ans, après avoir souffert pendant plusieurs années d’un cancer et d’une maladie du sang.

Les autres photographes de la première heure, Valery Zufarov et Volodymir Repik sont décédés respectivement en 1993 en 2012, tous deux d’une maladie contractée alors qu’il couvraient la catastrophe. Plus de mille pilotes participeront au ballet d’hélicoptères militaires survolant à 200m d’altitude, le réacteur pour répandre des produits censés réduire la contamination de l’air chargé d’éléments radioactifs au-dessus de la centrale…

Svetlana Aleksievitch, prix Nobel de littérature 2015, dans son livre « La Supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse », évoque bien plus de morts et précise que les corps des pompiers contaminés seront placés dans des cercueils en plomb… Mêmes les cadavres sont donc dangereux ?

Alors, soit le site de la catastrophe n’était pas si radioactif que ça, soit on préfère ne pas dire qu’il ne reste plus beaucoup de monde pour se plaindre…

En 1986, la population dans un rayon de 30 km autour de la centrale comprend entre 115 000 et 135 000 habitants. On va évacuer au total environ 250 000 personnes après l’accident, en Ukraine, Biélorussie et Russie. Le danger encouru par ces populations, pourtant situées à plus de 30 km de la centrale nucléaire V.I. Lénine de Tchernobyl, semble donc évident.

Pour ceux qui se trouvaient sur le toit du réacteur, dans les hélicoptères et dans les environs proches, cela n’aura pas été si grave, si dangereux, quelques dizaines de morts, allez, trois ou quatre mille ? Le fameux « petit nombre de décès » suite à la catastrophe, tant usité par les pro-nucléaires… Des ONG internationales avancent des chiffres beaucoup plus lourds. Des centaines de milliers de morts très certainement. Il n’est pas si difficile de s’en convaincre.

La Centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, la plus puissante d’Europe, a été bombardée à plusieurs reprises par l’armée russe au cours des derniers mois. Six réacteurs nucléaires de 1 000 MW chacun. Un tir de trop sur ce site pourrait faire à nouveau trembler l’Europe et causer peut-être… 43 morts ?

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