Les Pieds Nickelés de la CDU

Qui l’emportera des trois ?

Aujourd'hui, ce sont les chemins de l'affairisme qui mènent à Moscou ! Foto: Unknown / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Germany

(MC) – Qui succédera à Angela Merkel au poste de président de la CDU, le grand parti conservateur néolibéral-de droite-du centre-et-tout ? Trois concurrents principaux sont sur les rangs.

Annegret Kramp-Karrenbauer, Jens Spahn et Friedrich Merz (« avec un e », aime à répéter ce dernier) semblent convoiter le poste de dirigeant de la CDU qui sera disponible à partir des assises du parti, début décembre. On leur souhaite bonne chance ; ils en auront besoin.

Qui sont ces trois personnages ? Leur profil et leurs positionnements exposent fort bien les interfaces essentielles du parti. Et par ailleurs, ils reflètent assez bien l’un des problèmes essentiels qui se posent à la CDU : il s’agit de trouver le plus vite possible la réponse aux grands défis de notre époque. Et il s’agit en même temps de se poser en parti populaire, c’est-à-dire ramassant le plus largement possible un éventail significatif de la société allemande. Et de faire les deux à la fois. Mais est-ce seulement possible ?

Jens Spahn, le ministre fédéral de la Santé, 38 ans, originaire de Rhénanie du Nord-Westphalie, marié au journaliste Daniel Funke, a été élu au Bundestag à l’âge record de 22 ans. Il incarne une perspective nettement conservatrice, très voisine de celle de la partie clairement populiste de la CSU, la petite sœur bavaroise de la CDU. Spahn a critiqué avec virulence, voici quelque temps, la direction de Merkel en même temps que sa politique des migrants. Il veut apparaître comme celui qui installera une nouvelle génération aux commandes de l’Allemagne. Mais ses idées le sont-elles aussi, nouvelles ? Eh bien non.

Un scoop : Jens Spahn est de droite, vraiment.

En avril 2008, il s’est opposé au plan d’augmentation du montant des pensions allouées aux retraités, parce que « ce cadeau coûterait trop d’argent. » En 2010, il est intervenu pour remplacer le personnel de direction de l’Institut pour la qualité et l’efficacité des soins (IQWiG). Pourquoi ? Manifestement parce que le directeur de cet Institut, Peter Sawicki, avait refusé catégoriquement l’introduction de quelques médicaments douteux sur le marché allemand. Spahn préférait sans aucun doute des personnalités mieux appréciées des pontes de l’industrie pharmaceutique. Il a participé avec enthousiasme à la rencontre du fameux Groupe Bilderberg, qui met le monde entier en coupe réglée. Dans ces conditions, 38 ans, 63 ans, quelle importance ?

Les deux candidats qui sans doute, ont le plus de chance, et les plus polarisés aux extrêmes de la CDU, sont cependant Friedrich Merz et Annegret Kramp-Karrenbauer. On se pose nécessairement la question à leur égard, la question récurrente dans ce genre de cas de figure : vaut-il mieux pour dirigeant de la droite (et possible chancelier/ère) une femme assez jeune, plutôt cool, très souriante et l’air un peu ado, fan d’AC/DC (vous savez, ce groupe répétitif et zonzonnant avec un nabot chanteur en culotte courte et casquette), et conciliante ? Ou bien un grand méchant loup bien de droite, contre lequel au moins, on pourra s’opposer comme Siegfried à l’immonde Fafner ?

Friedrich Merz a publié sa déclaration de candidature aux jours de Halloween, ce qui est un signe. La TAZ, quotidien de gauche, ne s’y est pas trompé, qui qualifie le banquier-candidat de « Dreamboy der Linke » (beau gosse de la gauche). Oui, en effet ; mais on dira qu’inversement, une politique de droite mise en place par un chancelier de la SPD, par Gerhard Schröder par exemple, ça fait très mal aussi. Aussi mal qu’une politique de droite mise en place par un chancelier de droite. En tout cas, c’est vrai, un épouvantail de droite requinquerait la SPD, qui en a furieusement besoin.

Friedrich Merz, né en 1955 en Hesse, avocat d’affaires et lobbyiste, a essayé à plusieurs reprises, dans sa carrière de député et de dirigeant de la fraction CDU/CSU au Bundestag, de rivaliser avec Angela Merkel. Il n’y est pas trop bien parvenu. Chez ce boulimique de travail et de pouvoir, il est très difficile de démêler ce qui relève de la politique et ce qui tient de l’activité bancaire et financière. Question qu’il faudrait lui poser : saurait-il y répondre ? Entre décembre 2004 et octobre 2014, il n’ pas occupé de fonction politique dans l’appareil de la CDU ; il a consacré son temps aux affaires. A plusieurs reprises, il à frôlé ou empoigné le conflit d’intérêts.

En 2010 notamment, pour 5000 euros par jour, le fond de sauvetage de banques Soffin le charge d’orienter la vente de la banque WestLB vers un investisseur privé ; cette tâche s’achève en 2011 par des tractations de vente avec la HSBC Trinkaus pour la vente de parties de la WestLB. Or, Merz est membre du conseil de surveillance de la HBSC… Bib bip, clignotant rouge !

En mars 2016, il est président du conseil de surveillance et lobbyiste de la branche allemande de BlackRock, une véritable puissance mondiale occulte. BlackRock est une gigantesque compagnie de gestion de biens et d’investissements américaine dirigée par Larry Fink, un quidam américain au pouvoir incommensurable. Et sans quitter ce poste, Merz se présente comme futur dirigeant de la CDU… Bip, bip, clignotant rouge !

Conséquence normale : en 2006, Merz s’est opposé avec la dernière virulence à la tentative par certains députés de réduire la possibilité des conflits d’intérêts en obligeant les députés à déclarer leur revenus extérieurs à leurs activité parlementaires. Où irait-on, sinon ! Merz dépose donc une plainte auprès du Tribunal constitutionnel. Cette plainte est heureusement rejetée le 4 juillet 2007.

On n’en finirait pas d’égrener les postes qu’occupe Merz. Conseil de surveillance d’AXA. De la DBV-Winterthur. De la Deutsche Börse (ah, la Deutsche Börse!) ; d’une société immobilière cotée en bourse, IVG Immobilien AG. Conseiller de la Commerzbank, et de la Borussia Dortmund jusqu’à fin 2009. Membre du conseil d’administration de la BASF jusqu’à juin 2014. Président du conseil de surveillance de la WEPA (papiers hygiéniques, à chacun son truc). Membre du conseil d’administration de la banque HSBC Trinkaus. Membre du conseil d’administration de la compagnie suisse Stadler Rail. Président du conseil de surveillance de l’aéroport de Cologne/Bonn. « Mais comment fait-il ?! »   (Gotlib)

Politiquement, Merz est un libéral dur : il s’engage sans cesse pour la dérégulation et pour des privatisations. Et pour la baisse du montant des prestations sociales. Et pour l’industrie nucléaire aux revenus si juteux. En 2003, il baisse les impôts en déclarant : « Chaque citoyen doit pouvoir calculer le montant de ses impôts sur le socle de son verre à bière ! » Par “citoyen”, il entendait ” entrepreneur”, sans doute. Il s’est prononcé, lors du passage en force des réformes Hartz IV, pour une réduction des allocations. L‘Etat social (« Sozialstaat ») devait être limité, proclamait-il. Merz est de façon très évidente, voire très voyante, partisan des économies sur le dos des prestataires sociaux. Et (en 2000), du retardement de l’âge de la retraite à 70 ans en même temps que d’une baisse des pensions – au point que de tous bords, et même de la CSU, on a crié au fou !

En 2004, Merz juge nécessaire de supprimer complètement la régulation du droit de licenciement pour toutes les catégories de salariés. Nécessaire pour maintenir la croissance et l’emploi, affirme-t-il.

Friedrich Merz est aussi le grand promoteur de la notion de « culture allemande dominante »  (deutsche Leitkultur), pour réaffirmer avec force l’obligation pour les étrangers d’ingurgiter régulièrement du Pökeleisbein mit Sauerkraut und Erbspüree.

Annegret Kramp-Karrenbauer, elle, a un profil moins anxiogène et beaucoup plus social. Née en Sarre en 1962, elle y vit encore la plupart du temps. Ministre-présidente de la Sarre de 2011 à 2018, elle y fait alliance avec les sociaux-démocrates. En 2017, elle remporte un succès éclatant aux élections. Grâce à cela, AKK est nommé secrétaire générale de la CDU en février 2018. Elle est francophile et est nommée, en vertu du traité de l’Elysée, « plénipotentiaire de la RfA chargée des relations culturelles franco-allemandes » ; elle devient ainsi l’interlocuteur allemand privilégié, au plan fédéral, du gouvernement français pour les échanges culturels. Sympathique, non ? Elle renforce aussi considérablement l’enseignement du français dans son Land.

En bref, une gauchiste au sein de la CDU : elle a proposé une augmentation des impôts plus consistante que celle proposée par le SPD, et a pris parti en faveur d’un certain nombre de mesures sociales. Contraste saisissant avec Friedrich Merz !

En 2012, elle tente et réussit une grande coalition avec le SPD. AKK est très populaire, et les journaux, dans les années 2012, parlent de l’ « Effet AKK »… Ombre au tableau : elle s’est opposée en termes très violents au mariage entre personnes de même sexe. C’est l’effet du catholicisme natif et culturel de cette épouse et mère de trois enfants.

A travers tout cela et surtout, à partir de cette polarisation Merz-AKK, on comprendra l’enthousiasme des journalistes de la TAZ, qui espèrent dur avoir trouvé un épouvantail digne de leur agressivité et craignent les possibles éléments d’une politique sociale qui serait pilotée par la CDU.

Et pourtant, n’est-il pas plus fécond de penser en termes de problèmes à régler ? Friedrich Merz lui-même en a énuméré quatre, ces derniers jours : les migrants, la globalisation, le changement climatique et le digital. Or, ces problèmes sont interconnectés, bien sûr. Et aucun parti n’en détient la solution. De plus, il y a une certaine contradiction entre la volonté de refaire de la CDU un parti populaire et une manière de voir qui privilégie le regard d’un technocrate spécialisé. Et cela vaut tout autant pour la SPD.

Reste à espérer que le plus fort ne l’emportera pas.

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste