Les relations transfrontalières : victimes collatérales de la pandémie ?

Alain Howiller se pose des questions quant à l’évolution des relations transfrontalières. Les 18 mois passés ont fait des dégâts…

Le lynx, deviendra-t-il le nouveau symbole de la coopération transfrontalière ? Foto: Christoph Anton Mitterer / Wikimedia Commons / CC-BY(SA 2.0

(Alain Howiller) – On me pardonnera cette incursion délibérée (pour une bonne cause) dans un monde « parallèle » pour introduire un sujet pas si loin, finalement, du… monde animal ! On vient d’apprendre, heureuse nouvelle pour une collaboration transfrontalière bien malmenée par la crise sanitaire, que deux petits lynx sont nés dans les Vosges du Nord : leur mère est née en Suisse, dans le canton de Neuchâtel, en 2011, avant d’être relâchée au Palatinat dans le Pfälzerwald, au titre du programme de réintroduction de l’espèce.

Ignorant la pandémie (!), Lycka quittera le Palatinat en… Mars 2020 (!) et franchira la frontière pour aller accoucher, quelques mois plus tard, côté français, dans un sous-bois des Vosges du Nord ! Belle illustration -un peu faute de… mieux- de ces migrations et contacts transfrontaliers que la crise sanitaire et son cortège de restrictions ont mis à mal !

Un nombre incroyable d’organismes transfrontaliers ! – De restrictions en confinements de tous ordres, la lutte contre la Covid a déstabilisé et perturbé l’action de ce qu’une étude du « Deutsch-Französisches Institut – DFI » appelait le « nombre incroyable d’établissements, d’institutions ou d’organismes travaillant dans le transfrontalier. » Elle a également perturbé les approches de citoyens-consommateurs qui ont redécouvert la frontière oubliée, générant frustrations et parfois crispations qu’on croyait définitivement rangées dans les tiroirs du passé. Pourquoi le cacher, certains comportements-limites de ceux qui détenaient l’expression de l’autorité, n’ont rien arrangé, accréditant cette dure réalité qu’un ancien maire de Strasbourg, défendant un de ses agents dégainant (trop) facilement le carnet des amendes, soulignait : le discernement est la qualité la moins bien partagée chez les représentants de ce qu’on appelle l’ordre et les autorités !

Forts des expériences des premiers mois de confinement et de décisions venues de Berlin (parfois de Stuttgart !) ou de Paris (parfois d’instances siégeant à Strasbourg, Colmar ou Metz) concernant les zones frontalières, Winfried Kretschmann, Ministre-Président du Bade Wurtemberg, Jean Rottner, Président du « Grand Est », Tobias Hans, Ministre-Président de Sarre et Malu Dreyer, Ministre-Présidente de la Rhénanie-Palatinat, ont signé, en Novembre dernier, un « pacte d’assistance mutuelle » qui devait « illustrer la volonté de la Région Grand Est et des Länder partenaires, de renforcer la coopération franco-allemande, en particulier pour la gestion et la prévention des crises sanitaires et de faciliter le dialogue et la concertation. »

Un pacte d’assistance mutuelle. – Avec le pacte, « nous réaffirmons que nous considérons les situations de crise dans nos régions, comme des situations de crises communes », soulignait Winfried Kretschmann à cette occasion, tandis que Jean Rottner affirmait, faisant allusion au succès des transferts de malades de la Covid dans les régions voisines : « Ensemble, nous avons surmonté la première vague de la pandémie et nous en avons tiré les leçons. » Voire !

L’étude du DFI avait relevé, en 2005, qu’il y avait véritablement un hiatus entre la volonté politique affichée et les attentes et les perceptions de la part des citoyens, mais si on attendait une singulière amélioration du dialogue transfrontalier à la suite de la signature du pacte, on comptait sur la mise en place des dispositions s’inscrivant dans le contexte du Traité d’Aix la Chapelle : « Assemblée parlementaire franco-allemande », « Comité de Coopération transfrontalier » (CCT, créé pour traiter des irritants problèmes du quotidien frappant les habitants des zones frontalières), ou « Conseil Parlementaire Interrégional de la Grande Région » (CPI). La pandémie est venue bousculer tous ces espoirs et le « chacun pour soi » est revenu à la mode entre Sarre, Moselle et Rhin, le tout -comble de malchance, mais aussi porteuse de nouveaux espoirs-au moment où se mettait en place la nouvelle « Collectivité Européenne d’Alsace – CeA »- chargée de définir un schéma de coopération transfrontalière !

Deux petits lynx : des symboles esseulés ? – Certes, comme le soulignait Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des Territoires et des relations avec les collectivités territoriales, « il faut laisser à cette nouvelle collectivité le temps de s’installer et de s’approprier ses compétences », mais il ne faudrait pas qu’elle constitue une tranche de plus du mille-feuille territorial, alors que le DFI, constatant la multiplicité d’intervenants dans ce domaine, avait déjà relevé « la coopération transfrontalière présente ce que l’on pourrait appeler, si on exagérait un tant soit peu, une dimension aléatoire, une inefficacité et un caractère provincial !… » Qui voudrait que les deux petits lynx soient les symboles esseulés d’une vie transfrontalière réussie ?

Dans une récente prise de position, le Landrat Franck Scherer, Président de « l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau », en quête de visibilité politique, relevait : « Nous avons besoin de toute urgence de possibilités d’actions pragmatiques dans les régions frontalières afin de pouvoir surmonter les obstacles juridiques et administratifs existants. » Et de regretter que le projet avancé par la Commission Européenne de mettre en place des « European cross border mechanism – ECBL » n’aient pas (encore ?) abouti !

Un souci de « PAMINA » au … Landrat Scherer ! – Il s’agissait -dans un but d’harmonisation- d’ambitieuses (et assez irréalistes !) propositions soumises aux états. Sur proposition du Luxembourg et de la France, la Commission de Bruxelles voulait créer un « outil juridique » qui permettrait -notamment dans une zone frontalière- d’appliquer au pays voisin, tout ou partie des dispositions en vigueur dans l’un des pays concernés. Des dispositions favorables en Alsace (la fréquentation, par exemple, d’un hôpital) auraient pu être transposés au Pays de Bade et inversement !

La prise de position du Landrat, l’un des rares responsables (avec les dirigeants de l’Eurodistrict PAMINA à Lauterbourg) à avoir récemment commenté la situation transfrontalière, aurait sans doute mieux trouvé sa place dans le cadre de la campagne électorale pour le renouvellement du Bundestag où les thèmes du franco-allemand et des relations transfrontalières sont rares, mais elle illustre qu’en la matière, aussi bien Berlin que Paris ont repris la main. La création de la « CeA » relancera-t-elle les relations transfrontalières et ravaudera-t-elle le tissu des relations qui, hier encore, semblaient solides et durables ? Qui peut croire que les relations transfrontalières puissent être l’objet de dégâts collatéraux de la pandémie !

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