Les riches heures de Juan Carlos Ier
Juan Carlos Ier fut un acteur essentiel de la transition démocratique, avant de devenir tout récemment, un justiciable en cavale.
(Jean-Marc Claus) – Réduire le parcours et la personne de Juan Carlos Ier à sa récente carapate serait, d’un point de vue intellectuel, particulièrement malhonnête et procéderait d’un point de vue historique, d’une démarche révisionniste de la pire espèce. Comme le soulignait Fernando Vallespín Oña dans sa tribune intitulée « Monarquía o república », les meilleures monarchies parlementaires sont, paradoxalement, les plus républicaines.
Juan Carlos de Borbón fut effectivement propulsé à la tête de l’Espagne par le finissant Caudillo. Mais sa participation active à la transition démocratique qui a rendu l’Espagne à nouveau fréquentable reste indéniable. Une transition démocratique qui démarra très vite, si tôt Franco « la Muerte » décédé fin novembre 1975. Il n’est alors pas interdit de penser que, désigné dès 1969 par l’autocrate galicien comme son successeur, Juan Carlos de Borbón n’avait en rien l’ambition de démarrer une carrière de dictateur, même à l’âge de 31 ans.
Le 3 juillet 1976, il nomma Adolfo Suarez chef du gouvernement, et chargea cet ancien cadre du très franquiste « Movimiento Nacional », d’engager des réformes démocratiques. Le parti unique ne s’est auto-dissout qu’ onze mois plus tard. Ainsi fallait-il être gentiment inconscient ou franchement culotté pour relever un tel défi. Mais Juan Carlos Ier avait visiblement plus d’un tour dans son sac. C’est notamment en travaillant d’arrache-pied à la création d’un lien fort avec le peuple qu’il a gagné sa légitimité.
Cette transition se fit sans violence et sans épuration, mais aussi sans réel bilan du franquisme, notamment en matière de crimes contre l’humanité. D’où un terrible non-dit, pesant jusqu’aujourd’hui sur la société espagnole. Ce qui permit par exemple à d’ignobles vols de nourrissons perpétrés sous Franco de se poursuivre jusque dans les années 1980, et d’être seulement jugés en 2018.
Le 27 décembre 1978, une nouvelle constitution, résolument démocratique, fut adoptée à 87,8% par les deux chambres. Mais « un quarteron de pas-encore-généraux » tenta le 23 février 1981, un « pronunciamento » qui rima très vite avec fiasco. Une prise d’otage du Congrès des Députés où s’illustrèrent notamment : le Général Manuel Gutiérrez Malladon, vice-président du gouvernement qui, malgré ses 70 ans, nécessita une dizaine de soldats insurgés pour le maîtriser, Adolfo Suarez lui venant en aide, et Santiago Carrillo, secrétaire du Partido Communista Español (PCE) refusant d’obéir aux injonctions de se coucher au sol.
Cette tentative de créer un vide institutionnel, propice à l’instauration d’un néo-franquisme, se heurta de front à la personne de Juan Carlos Ier. Ne soutenant pas le coup d’état, il appela les militaires à rentrer dans le rang et, manœuvrant très finement, fit échouer le putsch en moins de 24 heures. L’alternance des gouvernements de gauche et de droite qui s’en suivit est mieux connue. Mais les épisodes de la transition démocratique et du « golpe de estado » avorté de 1981 font qu’aujourd’hui, Juan Carlos Ier obtient le soutien de plus de 70 anciens ministres et haut fonctionnaires, tant de droite (PP) que de gauche (PSOE).
Ce roi, qui avait très bien commencé, a visiblement confondu monarchie constitutionnelle et monarchie de luxe. En 2012, tandis que le peuple était aux prises avec les pires plans d’austérité, il se fit rapatrier d’urgence du Botswana suite à une mauvaise chute. Il y chassait discrètement l’éléphant lors d’une très luxueuse escapade. Sa fracture de hanche lui en valut une autre : la rupture avec une partie, tant de l’opinion publique, que de la classe politique. D’où aussi son abdication en faveur de son fils Felipe deux ans plus tard.
Aujourd’hui, la mise au jour d’un scandale financier de 100 millions de dollars, dont le début du dévoilement remonte à plus d’une année, provoque la fuite de celui qui, par sa cupidité, a terriblement démérité. Cette souillure ne touche pas seulement la Couronne d’Espagne, mais le pays tout entier qui, comme s’il n’avait pas assez de sujets de division, s’en voit un de plus et pas des moindres, servi sur un plateau d’argent…
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