« Les soignants ne sont plus en colère, ils sont déjà dans ‘l’après’ »

Sébastien Harscoat sait de quoi il parle. Il travaille au SAMU Strasbourg et décrit une situation catastrophique de l’hôpital public, l’un des piliers de la démocratie.

Le message est assez clair... Foto: CIH / privée

(KL) – Ces derniers temps, on a pu voir Sébastien Harscoat sur différents médias où il alerte le public sur l’évolution de la situation de l’hôpital public qui devient de plus en plus critique. Comme ce praticien hospitalier souligne pendant notre entretien, avec plusieurs collègues, ils alertent sur cette situation depuis longtemps, bien avant la pandémie. Pour lui, la pandémie n’était qu’un « accélérateur » d’une évolution ayant commencé bien plus tôt. Interview.

Sébastien Harscoat, vous tirez la sonnette d’alarme concernant la situation dans l’hôpital public. La situation est si dramatique que ça ?

Sébastien Harscoat : Oui, nous sommes très inquiets, nous assistons actuellement à l’agonie de l’hôpital public. La pandémie n’est qu’un catalyseur d’une situation qui dure depuis des décennies. Depuis 2004 et l’introduction de la facturation par acte, donc, la définition d’un tarif pour chaque acte effectué, on cherche à maîtriser le coût de l’hôpital. Les hôpitaux essayent d’équilibrer l’enveloppe allouée et la tarification, mais puisque le « tarif » par acte change souvent, il y a une inadéquation entre les coûts et la qualité des soins.

Et quelles en sont les conséquences ?

SH : Dans la recherche des économies, on pourrait effectivement passer par des commandes groupées et d’autres mesures, mais ce qui pèse le plus dans la recherche d’un équilibre budgétaire, c’est la masse salariale. Il y a une pression constante à ce niveau, mais personne n’en parle, il y a une sorte d’omerta. Cette pression se fait logiquement aussi sur le personnel, de moins en moins nombreux, et même si les soignants assument quasiment toutes les situations, cela se fait ressentir au niveau de la qualité des soins. Pour le personnel soignant, la situation est difficile. La rémunération n’est pas à la hauteur du coût de vie, on essuie l’inflation et finalement, beaucoup de paramètres qui se trouvent hors de notre contrôle. On porte nos responsabilités, on les assume vis-à-vis des patients, mais souvent, les directions des hôpitaux se défaussent. Mais au moins, pendant un court instant pendant la pandémie, direction et personnels ont regardé dans la même direction…

C’est-à-dire ?

SH : Lors des premières vagues, lorsque l’hôpital était pris d’assaut, la direction et les personnels avaient des positions convergentes, on avait des objectifs partagés…

… mais ça n’a pas duré ?

SH : Non. Si, pendant cette période, le président Macron avait désigné l’hôpital comme « un pilier de la société », ce ne furent que de belles paroles qui n’étaient malheureusement pas suivies d’actions.

Et donc, cet instant où la direction et les personnels avaient des objectifs partagés ?

SH : Nous, on voulait et on veut y croire. En Octobre 2020, après la première vague, il y avait des réunions extraordinaires où j’avais l’occasion de témoigner sur notre travail quotidien. A ce moment, juste avant la deuxième vague, la situation à l’hôpital était toujours très tendue. Les patients attendaient sur des brancards, les ambulances devaient attendre pendant des heures avant de pouvoir décharger les patients, parfois les patients devaient attendre 2 ou 3 jours avant d’être pris correctement en charge.

Et pourquoi ? Manque de lits ? Manque de personnel ?

SH : Les deux sont liés. Aujourd’hui, environ 250 lits sont fermés dans notre hôpital par manque de soignants. Beaucoup de soignants ont carrément quitté la profession et d’autres tombaient également malades. Vous savez, il y a un sens à nos métiers, nous travaillons de manière engagée, on doit soigner des êtres humains et on assume. Mais la dégradation des conditions de travail devient insupportable pour les soignants. Personne n’a essayé d’empêcher ces nombreux soignants de partir. Les aides que l’on nous annonce, c’est toujours pour plus tard.

On dirait que le problème principal de l’hôpital public est l’argent ?

SH : L’hôpital public n’est pas une entreprise, mais il fait partie du service public. Sa mission ne peut donc pas être de générer des bénéfices. Pour moi, l’hôpital est comme une voiture. En soi, elle ne génère aucun bénéfice, mais elle est, pour beaucoup de gens, nécessaire pour aller travailler. Il s’agit donc d’un instrument qui génère une plus-value indirectement. Mais malgré tout notre travail, notre hôpital est chroniquement déficitaire, ce qui s’est aggravé depuis le début de la pandémie ; les sommes sont plus que considérables. Mais quelque part, c’est logique. Le manque de personnel fait que moins d’actes facturables sont effectués et donc, l’hôpital a moins d’entrées d’argent.

Et les soignants vivent cette situation comment ?

SH : Les soignants ne sont même plus en colère, ils sont déjà dans « l’après ». Les heures supplémentaires ne sont pas toujours payées, on nous appelle pendant nos courtes phases de repos et de récupération, et on finit par se sentir « complice » de cette dégradation du service rendu. Nous subissons les pressions, même une certaine malveillance, mais pour nous, il ne s’agit pas de nous plaindre, mais de pointer les dysfonctionnements.

Revenons à vos réunions avec la direction en Octobre 2020. Quels étaient vos propositions ?

SH : A ce moment, notre demande principale était la création d’un poste de « Bed Manager », donc, d’une gestion professionnelle et efficace des lits disponibles. Ceci aurait réduit les travaux administratifs des soignants et ainsi, augmenté l’efficacité aux urgences, car le personnel soignant perd beaucoup de temps à chercher des lits disponibles dans l’hôpital. La création d’un tel poste aurait réduit les travaux administratifs des soignants et donc, augmenté la disponibilité pour les patients. Vous savez, les urgences sont le « miroir » de l’hôpital, c’est ici que le manque de personnel et de lits se fait ressentir en premier.

Et, le « Bed Manager » a été embauché ?

SH : Non. Malgré nos interpellations, malgré une lettre ouverte, il n’y avait pas l’argent pour une telle augmentation de l’efficacité de notre travail. Mais il ne faut pas se tromper – si encore 5 à 10% des personnels soignants devraient arrêter, l’hôpital risque de collapser. Et il faut être conscient que si l’hôpital public tombe, ce sera le secteur privé qui prendra la relève et on assistera à une « marchandisation » des soins. Et cela posera un problème majeur pour la démocratie et finalement, pourla paix sociale, car les soins ne seraient disponibles que pour ceux qui pourront les payer. Et là, on met en péril les fondements même de notre démocratie. Dans une telle évolution, « liberté, égalité, fraternité » n’auront plus cours. Pourtant, l’article 25 de la Constitution stipule : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux […] ». Finalement, on ne demande rien d’autre que la Constitution soit respectée.

Et quel est le but de votre démarche ? Que demandez-vous concrètement ?

SH : Nous sommes une initiative de docteurs et de soignants qui veut rester informelle. Notre but est d’alerter l’opinion publique, il est important que les gens prennent conscience de cette situation dramatique dans l’hôpital public. Ensuite, il faudra un vrai changement de paradigme, il faut sortir de la perspective que l’hôpital public doit générer des bénéfices. Cela nécessite, bien entendu, un financement conséquent…

… ça coûterait combien de remettre l’hôpital public sur les rails ?

SH : Des milliards d’euros par an pendant 10 ans pour mettre l’hôpital public dans un état qui permettrait les meilleurs soins pour tout le monde. Il s’agit donc d’un choix politico-social pour déterminer si nous souhaitons respecter la Constitution sur ce point.

Et que faudrait-il encore ?

SH : Il faut remettre et sanctuariser l’humanisme à l’hôpital. Emmanuel Macron a raison quand il dit que l’hôpital est un pilier de la société et donc, de la République. Et il faut sortir l’hôpital public de cette obligation de rentabilité – cela conduirait à plus d’efficacité et les bénéfices se situeraient ailleurs. Une population bien soignée et prise en charge, est une population plus productive et plus juste.

Dans les programmes des différents candidats aux élections présidentielles, il y en a qui défendent votre point ?

SH : Non. Les candidats parlent d’autres choses. La situation dans les hôpitaux ne semble pas faire partie de leurs préoccupations.

Sébastien Harscoat, merci pour cet entretien !

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