Les trois vizirs de la CDU et le Pacte des migrations

Une démagogie fallacieuse d’inspiration populiste

Migrants alsaciens, d'après Théophile SCHULER, 1861 / Soutekh67 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(MC) – L’actuel Black Friday démagogique entre les trois successeurs putatifs (!) d’Angela Merkel illustre bien le hiatus tragique entre les problèmes globaux, mondiaux, et leur exploitation électorale à un niveau microcosmique. C’est le cas surtout pour deux des grands problèmes qui se posent à l’humanité toute entière aujourd’hui : le changement climatique et les flux migratoires. Jens Spahn, Friedrich Merz et Annegret Kramp-Karrenbauer essaient, avant les Assises de la CDU, d’utiliser ce Pacte à des fins démagogiques. Les deux premiers, surtout.

Pour tenter de résoudre, au moins principiellement, le problème brûlant des flux migratoires à travers le monde, et surtout dans le sens Sud Nord, les 190 représentants de l’ONU se sont réunis, ont travaillé durant un an et demi, depuis avril 2017, et ont réactualisé le regard des dirigeants sur ce phénomène social gigantesque. Ils ont rédigé ensemble et entériné le Pacte sur les migrations. Ce Pacte porte un titre éloquent, et sans ambigüité : Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Il s’agit, certes, de réguler la migration, mais de le faire dans l’intérêt des pays de départ autant que dans celui des pays d’arrivée. Mais cela ne devrait-il pas aller de soi, tomber sous le sens ? La cohérence des politiques nationales et le bien-être des hommes sur le Globe est la justification même de l’ Organisation des Nations Unies, créée en 1945 sur les fondations de la SDN d’inspiration universaliste. Elle oeuvre avec bien des problèmes structurels et empiriques, dont le moindre n’est pas le poids respectif de chaque nation dans ce concert : les unes jouent du triangle et de la flûte sopranino, les autres de la grosse caisse… Mais elle le fait. Avec de nombreux succès, aussi.

Pourquoi alors, les Pieds Nickelés de la CDU s’en prennent-ils à ce Pacte ? Jens Spahn a protesté contre ce Pacte et proposé que les membres de la CDU en « discutent » lors des prochaines Assises de la CDU qui auront lieu début décembre, et au cours desquelles le ou la successeur d’Angela Merkel doit être choisi(e). Friedrich Merz a accepté cette proposition, et le lendemain, il est allé encore plus loin dans la démagogie et a dénoncé le principe fondamental du droit d’asile individuel, inscrit dans ce qui tient lieu de constitution de la République fédérale.

Cette position nous semble doublement inacceptable et quadruplement scandaleuse. Parce que Merz-Coeur-de-pierre confond, peut-être involontairement, le contenu du Pacte des migrations de l’ONU et celui de l’article de la Grundgesetz (tenant lieu de Constitution) qui réfère au droit d’asile. Mais serait-ce pire que de le faire volontairement ? Oui dans le sens où cela témoigne d’une lecture précipitée du texte, et peut-être pire, d’une grave absence de compétence et de culture juridique et politique… Et parce que l’origine historique de cette conception est totalement oubliée : elle s’enracine très précisément dans le Troisième Reich et les tribulations tragiques imposées à des centaines de milliers de personnes humaines exilées, dans l’impossibilité de trouver une terre d’accueil. Et souffrant et mourant pour cette raison.

Et enfin, ce que Metz a en vue dans le cas de son estimation du Droit d’asile individuel inscrit dans la Grundgesetz, c’est l’appartenance (ou non) à un pays « réputé dangereux » : si une personne est déboutée du droit d’ asile parce qu’elle appartient à un « pays réputé sûr », tout un groupe, quel que soit le nombre de personnes qui le compose, pourra en être débouté ! Voilà donc ce que veut Merz-Coeur-de-Pierre. Rappelons aussi à toutes fins utiles à quel point la notion de « pays sûr » est imprécise, et voilà le quatrième scandale : nous avons eu droit à l’exemple de réfugiés afghans renvoyés dans leur pays « parce que l’Afghanistan est un pays sûr » ! Eh bien non, l’Afghanistan est tout sauf un pays sûr.

Seule des trois Pieds Nickelés chrétiens-démocrates, AKK a accepté la tenue de la discussion sur le Pacte, mais en précisant très nettement qu’elle était partisane sans réserves du fameux Pacte. La raison majeure de son adhésion est que pour la première fois, l’ONU se souciait de régler la question des migrations de manière bilatérale, en considérant aussi bien les raisons socio-politiques de l’exil et de la migration que les conditions de leur accueil et de leur éventuelle intégration dans les pays d’arrivée. Ce qui inclut les besoins de ces derniers.

En réalité, les pontes de la CDU sont victimes (et bénéficiaires électoraux, peut-être) de la vulgate populiste qui infeste toute l’Europe depuis quelques années. Le texte ne contient pas ce qu’ils en disent : il ne sera pas le cheval de Troie d’un déferlement d’Africains tout noirs et de musulmans barbus comme tout. Ils ne nous  piqueront pas nos places, nos amant(e)s, nos bretzels et nos choux à choucroute. Le Grand Remplacement n’aura pas lieu. Les populistes pratiquent en somme une version pervertie de cette « heuristique de la peur » que Hans Jonas préconisait en matière de préservation écologique.

En réalité, dans le Pacte, nulle confusion entre migrants et réfugiés : le préambule l’indique clairement. Les Etats contributeurs veulent coordonner la protection des frontières, lutter contre le travail au noir, contre la migration illégale, lutter contre les causes mêmes, économiques et sociales (et politiques, ceci entraînant cela) de la migration de masse. Le Pacte veut aussi assurer une voie sécurisée pour la migration légale.

On n’a guère aperçu, par ailleurs – ou bien on a fait semblant de ne pas apercevoir – que le texte cible non pas tant les pays européens que des pays comme ceux de la péninsule arabique, où les migrants vivent dans des conditions cauchemardesques, qui s’apparentent de très près à un esclavage « moderne ».

Espérons donc que les trois vizirs de la CDU liront le texte, le comprendront, et ne l’exploiteront pas de manière éhontée pour des motifs intéressés et électoraux. Il y a du pain sur la planche pour essayer de régler ce qui peut l’être : le Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières aidera grandement ceux qui le signeront et le respecteront.

 

 

 

 

 

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