Les « valeurs chrétiennes » de l’Europe : diffractions dans l’actualité.

Valeurs chrétiennes et démagogie : de la difficulté d’une définition

Des relations diverses aux "valeurs européennes"... Foto: Hans Peters, Anefo / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(MC) – A l’heure de Viktor Orban, de Horst Seehofer et de Pegida, il est sans doute urgent de redéfinir, ou au moins, de caractériser ce qu’est une « valeur chrétienne européenne ». Elle a peu à voir assurément avec la démagogie populiste des diviseurs, de ceux qui suscitent des antagonismes artificiels entre diverses parties de la population et , disons le, de l’humanité.

L’exercice est difficile, parce que le christianisme est certes l’un des substrats historiques essentiels de la civilisation européenne , mais qu’il a connu un long processus et une évolution inouïe, dont les péripéties les plus spectaculaires ont été la révolution scientifique du XVII° siècle et les Lumières du XVIII° siècle. Evolution et révolution qui ont entraîné la sécularisation et l’infusion des conceptions morales du christianisme dans une culture de plus en plus laïque, de moins en moins marquée de religiosité.

Aux exercices abstraits, nous préférons, ici, la traversée à notre manière du paysage présent en rangeant devant nous, comme trois petits soldats de plomb, les figures plus qu’emblématiques d’Emmanuel Macron, de Gerry Adams et de Rudi Dutschke. Trois exemples concrets diffractés dans l’actualité de ces tout derniers jours.

Emmanuel Macron, président de la République française, veut « réparer les relations entre l’Etat et l’Église catholique », qui ont beaucoup souffert des lois de 1905. Macron comme garagiste de la laïcité à la française, donc. En cela, les convictions personnelles du président jouent un rôle important. Mais plus encore, l’ importance sociologique que Macron accorde, à tort ou à raison, à l’Eglise catholique en France. Dans une société largement déchristianisée et cependant infusée profondément par la culture catholique, c’est un savoureux paradoxe que cette main tendue par un régime laïque. Et en même temps, c’ est une préoccupation de cohérence, d’harmonie à l’égard d’une des composantes majeurs de l’identité française qui anime Macron. Il s’inscrit ainsi en faux contre ce qu’on peut à bon droit pointer comme les valeurs européennes essentielles : la sécularisation – c’est-à-dire en somme, le fait de déterminer sa vie personnelle et sociale en dehors de la plupart des contraintes religieuses admises jadis ou ailleurs – et un individualisme tempéré par la solidarité sociale – la solidarité selon Macron est plutôt de nature anglo-saxonne, c’est-à-dire peu marquée et teintée de religiosité, à mi-chemin entre charité et justice. Des « valeurs chrétiennes européennes » dans la République française, dans un régime laïc ? Oui et non,comme on voit ; les choses sont complexes en France et se calquent sur une réalité historique et sociale complexe.

Chrétien ? Catholique ? Autre reflet diffracté des « valeurs chrétiennes » en Europe : avant hier, on a célébré le vingtième anniversaire des accords de paix en Ulster. Dans plusieurs interviews, l’ex- dirigeant de Sinn Fein, très proche de l’IRA, exprime son inquiétude quant aux conséquences du Brexit qui réinstalle de fait une frontière entre Eire et Ulster. Frontière dure, frontière molle ? Nationalistes et unionistes s’opposent à ce sujet; les plus modérés, par delà ces deux camps, en tiennent pour une frontière-latex, où les relations commerciales ne seraient pas trop entravées. Une situation grotesque. En bref, la tonalité de ces entretiens relève d’un rapport identitaire de Gerry Adams à sa société : une sécularisation peu avancée – bien que l‘Irlande, subventions européennes aidant, évolue assez rapidement en ce sens, semble-t-il – et peu d’évolution vers un individualisme libéral (au sens positif du terme) : la société nord-irlandaise demeure largement communautaire et largement clivée par le fossé catholiques-protestants (qui tous, prétendent partager ces fameuses « valeurs chrétiennes »!) ; et à la suite de ce Brexit, ce fossé continue à se creuser …

Chrétien ? Socialiste ? Le 11 avril 1968, le dirigeant étudiant allemand Rudi Dutschke se fait abattre en pleine rue à Berlin, sur le Kurfürstendamm. Une personnalité remarquable, qui fait la jonction comme peu l’ont fait entre une « origine » chrétienne-protestante et un militantisme d’extrême-gauche qui a mangé toute son existence. Dutschke est socialiste parce que chrétien ; c’est un passage tout naturel qui s‘est effectué dans son esprit en 1964, lorsque le dirigeant de la SDS a fait le compte de tous les manquements et de toutes les hypocrisies.Comme pour beaucoup de militants, ce franchissement n’en est pas un, et Dutschke pense être resté sur la même rive : c’est plutôt pour lui un changement d’ appellation que d’orientation. Une ouverture absolue donc sur l’humain, qui donne tout son sens à la notion même d’humanité.

Cette évocation diffractée de trois relations différentes aux « valeurs chrétiennes européennes » ne vise qu’à montrer la complexité de cette notion lorsqu’on l’applique aux réalités sociales et politiques, et aux engagements personnels de personnalités qui vouent leur existence à la réalisation de ces valeurs.

Qu’est-ce qu’une valeur ? Pour l’instant, mon ami, la réponse s‘envole dans le vent. Certains universitaires ont consacré des travaux passionnants à cette notion . Nous en reparlerons.

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