Les Verts en Allemagne

Rapide état des lieux. L'Est, un mal nécessaire ?

Les proverbiales baskets de Joschka Fischer, Ministre des affaires étrangères écologiste Musée du Cuir d'Offenbach Foto: RATOPI / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(MC) – A l’heure où les candidats futurs des Verts allemands aux élections européennes ont été choisis – Ska Keller et Sven Giegold – et où les Grünen ont le vent en poupe, interrogeons nous un peu sur les raisons de cette faveur. La sensibilité écologique (avant d’être écologiste) est chose très ancienne au pays où les citronniers ne fleurissent pas ; mais cela n’explique pas tout, bien évidemment.

Le parti Die Grünen a été fondé en janvier 1980 à Karlsruhe. C’est un parti radical d’ultra-gauche : écologiste, pacifiste et anti-nucléaire, avec une sensibilité sociale très marquée, sinon une pensée politique très articulée. En tout cas, c’est un superbe poil à gratter pour l’establishment allemand, au point que la CDU, traumatisée par les agissements sanglants de la Rote Armee Fraktion pour laquelle certains Verts manifestent parfois quelque sympathie, menace de demander la dissolution de la nouvelle formation.

Mais The times they are a-changin’, et les Verts se retrouvent au Bundestag rapidement, mode de scrutin aidant. Ils font sensation et horreur par leur look : jeans, chevelures de bergers calabrais, baskets de marque parfois peu alternative, pulls à la senteur caprine tricotés par Anneliese et cachant leurs genoux. Succès : bientôt, ils constitueront une groupe parlementaire qui durera trois ans, de 1987 à 1990.

Pourtant, 1990 et la réunification bouleversent le schéma : la réunification à marche forcée de l’Allemagne ne leur profite pas. Mais Bündnis 90, le groupuscule oppositionnel et alternatif d’ex-RDA, bénéficie du bonus réservé aux formations de l’es-RDA : ils obtiennent quelques sièges au Bundestag. Certes, le profil sociologique de la Bündnis, l’histoire de ses membres, leur idéologie même parfois ne recouvre pas exactement ceux des Grünen ; en partie parce que la composante chrétienne, protestante et d’opposition à la vision du monde communiste y joue un rôle important. Mais cela n’empêchera pas l’Alliance 90 de fusionner avec les Grünen occidentaux ; cela se fera en 1993. Aujourd’hui, hélas, il n’en reste sur le logo des Grünen qu’une mince ligne bleue, dont on espère qu’à l’avenir, elle ne deviendra pas aussi clivante que celle des Vosges…

L’histoire de ce parti est riche et mouvementée. En un certain sens, elle est celle de sa boboïsation.

Après 1998, avec d’anciens gauchistes-molotov comme Joschka Fischer, Jürgen Trittin ou Otto Schily, les Verts participent à une coalition rot-grün  avec le SPD, et donc au gouvernement Schröder. Joschka Fischer devient même vice-chancelier et un excellent Ministre des Affaires étrangères… Beaucoup de militants vont rejoindre d’autres horizons à partir de 1999 et de l’approbation par les dirigeants fédéraux des Grünen de l’intervention militaire au Kosovo. Cruel dilemme : fallait-il approuver l’intervention de troupes allemandes et européennes là-bas, pour contrer l’ultra-nationalisme de Milošević, ou bien continuer à soutenir un pacifisme intégral ?

Voilà donc que les Verts allemands approuvent une intervention armée… Et les voilà aussi qui approuvent, quelques années plus tard, lorsque Gerhard Schröder mettra en place Hartz IV, une assurance-chômage très contraignante et d’un montant,euh, très bas… Et à la même époque, les Grünen soutiennent encore la baisse des impôts aux ménages fortunés. De gauche, les Verts allemands ?

Un fait positif cependant au début du XXI° siècle : une réflexion assez fournie de Joschka Fischer sur ce que devrait être l’Union Européenne. Il faudrait à nouveau s’en inspirer peu ou prou aujourd’hui.

Le parti Bündnis 90/die Grünen, c’est aussi le parti en dents de scie, qu’on pourrait appeler die Sägepartei. Les pointes coïncident avec les inquiétudes écologiques majeures de ces dernières décennies : par exemple, Tchernobyl en 1986, Fukushima en 2011… En 2011, en effet, le parti est au plus haut. Winfried Kretzschmann devient ministre président du Bade-Wurtemberg ; et les Verts entrent dans un Land difficile, très difficile pour eux : celui de MeckPom, l’ancienne bordure baltique de la RDA. Une belle performance. Mais en 2013, ils redescendent très bas : cette chute n’est pas indifférente aux implications post soixante-huitardes de certaines associations défendant la « liberté du désir enfantin », pour reprendre le jargon de leurs publications… Et les Grünen plongent au plus bas,bien en deçà des scores des 3 autres grands partis. En dessous de Die Linke.

Et tout récemment, voilà qu’ils regagnent à nouveau les sommets : au-dessus du SPD, à niveau égal avec l’AfD d’extrême-droite… Les raisons en sont à la fois simples et complexes : le parti occupe la place de refuge, du vote protestataire contre les grandes institutions comme la CDU/CSU et la SPD, chacune sur sa pente déclinante et suivant un mouvement qui n’est pas près sans doute de s’arrêter. L’AfD joue malheureusement le même rôle de parti protestataire, grosso modo… Et comme l’inclination vers le populisme le plus extrême s’est, elle, arrêtée en chemin depuis quelque temps, reste cette alternative écologiste. Mais le pourra-t-elle dans l’ensemble du pays, y compris dans les régions de l’ex-RDA ? C’est en tout cas une nécessité électorale.

Car le problème subsiste, effectivement : le problème des votes de l’Est. Les Grünen ne seront jamais un grand parti, et ils ne seront jamais ce qu’ils disent aspirer à devenir, le parti moteur du centre gauche, s’ils ne parviennent pas à capter l’attention des populations de Saxe, de MeckPom, de Thuringe et du Brandenbourg.

Les dernières Assises du parti ont eu lieu le week end dernier… à Leipzig, précisément. Une façon d’appeler l’attention de la population des Länder de l’Est. Mais comment peuvent-elles espérer retenir cette attention ? Y a-t-il compatibilité entre leur Weltanschauung et celle des citoyens des Länder de l’Est ? En quoi consiste au juste le problème ?

Lors de leurs dernières Assises, Annalena Baerbock, la co-dirigeante actuelle du parti avec Robert Habeck, conclut son dernier discours en disant : «Nous vous attendons lors de ces élections régionales à l’Est ; car nous ne sommes forts qu’unis». Le thème de ces Assises, ce n’était pas ces Länder : c’était l’Europe. Mais le problème, lui, cela reste ces Länder ! Par exemple, en MeckPom, plus aucun élu Vert au Landtag (parlement régional) depuis 2016…

Comment faire ? Dans ces régions, les rangs des Grünen sont clairsemés ; ils ont besoin de l’aide de leurs petits camarades de l’Ouest pour effectuer leur travail de militants efficacement.

Or, les Grünen ont une image assez mauvaise dans l’ex-RDA. Ils apparaissent comme un parti bobo (ce qu’ils sont largement, en effet …) ; un parti de gens riches qui s’amusent, légers, qui n’accèdent même pas aux vrais problèmes et n’y comprennent rien. Et donneurs de leçons, par dessus le marché !

« Nous devons rendre aux gens leur dignité. Nous voulons écouter les gens. Ils doivent pouvoir raconter ce qui leur est arrivé : comment ils sont devenus chômeurs, comment ils ont perdu leurs espoirs – mais aussi, ce qui marche bien en ce moment ». Ces paroles , ce sont celles de Katrin Göring-Eckardt , la seule personnalité connue parmi les Grünen à avoir vécu toute son enfance et son adolescence à l’Est (elle est originaire d’une petit ville proche de Gotha, en Thuringe). KGE ajoute : « Je vous en prie : allez-y. Parlez. Discutez avec les gens. Et pas de façon condescendante ; pas de haut en bas ». Il faut, poursuit-elle, bien davantage de gens de l’Est aux postes importants, plus d’attention et plus de compréhension de leurs problèmes.

Dans ce discours, KGE a essentiellement parlé de l’Est. Elle a raconté les manifs du lundi à Leipzig, en 1989 (elle avait une vingtaine d’années) avec son tout petit enfant. Et l’irruption de problèmes clivants, massifs, pesants qui ont pris les Grünen de l’Ouest au dépourvu. La réunification n’a pas été facile, estime-t-elle ; et le pays n’est toujours pas réellement uni. Raison pour laquelle, lors de ce discours de la semaine dernière, elle a parlé surtout de cette région difficile et moins de nukes et de news.

Les sympathisants et électeurs verts potentiels, bien qu’ils soient très peu nombreux, augmentent d’ailleurs considérablement ces dernières semaines dans les 4 Länder. Pourquoi ? En partie pour les mêmes raisons qu’à l’Ouest, mais en partie seulement. Pour l’essentiel, ils proviennent d’une protestation contre les grands partis essoufflés, couverts de toiles d’araignées et dévorés de l’intérieur. Mais beaucoup, intéressés pour un temps par l’AfD, finissent pas s’inquiéter de la rhétorique nazie de ce parti brun ; ils rejoignent donc l’autre grand parti protestataire.

Encore faut-il se rendre capable de les accueillir réellement, d’écouter leurs aspirations réelles et de s’employer à satisfaire celles de leurs revendications qui apparaissent comme légitimes et conformes à une élémentaire humanité. Reste à ce propos une certaine ambigüité des Grünen, dont on espère qu’elle ne se résoudra pas dans le mauvais sens : un parti de centre gauche ? Ou bien, de fait, un parti conservateur ? Katrin Göring-Ehrardt,théologienne de formation et luthérienne active, le plus souvent favorable aux interventions armées extérieures de la Bundeswehr… et plutôt ambitieuse, appartient très évidemment à cette dernière tendance.

A ce propos, on a entendu assez souvent, à Leipzig, l’expression «  conservateurs alternatifs ». Oui, qu’on le veuille ou non, Bündnis 90/Die Grünen remportera un réel succès électoral en affichant une étiquette de gauche et en pratiquant une politique et une campagne plutôt conservatrice-alternative. Les écolos radicaux des années 1970 et même encore des années 1990 sont bien loin.

 

 

 

 

 

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