Lettonie : des législatives de protestation

Un résultat en damier, où s’exprime le ressentiment

Nils Usakovs, maire de Riga et dirigeant de Saskana Foto: State Chancellery of Latvia / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 2.0Gen.

(MC) – Samedi, en Lettonie, ont eu lieu les élections législatives. On en a très peu parlé, comme d’habitude : un pays peuplé comme l’Alsace (1,9 millions d’habitants), une zone un peu enclavée… Et pourtant, point n’est besoin d’insister (si ?) sur l’importance géo-stratégique de sa situation, entre Pays scandinaves et Russie. Les tendances qui ressortent de ces élections ne sont pas moins intéressantes – et largement, inquiétantes.

C’est le parti Harmony qui les a remportées avec 20 % des suffrages, donc assez faiblement, devant les populistes de KPV LV. Ce parti (Saskaņa, ce que les Lettons traduisent parfois par Concorde) est un parti qu’on peut classer au centre gauche. Il est récent ; mais il est le résultat de l’agrégation de 4 partis plus anciens. C’est l’actuel maire de Riga, Nils Ušakovs, qui le dirige. On le présente généralement comme pro-russe ; et c’est un fait qu’il est proche, très proche, du parti de Poutine, Iédinaia Rossia, Russie unie. Le score de ces législatives est serré, cependant, puisque le parti vainqueur ne l’est qu’avec 20 % des voix, et que 5 autres partis atteignent ou dépassent les 10 % de suffrages.

Le frère ennemi, c’est le KPV LV, parti populiste (14,2%), suivi du Nouveau parti conservateur (13,6%). Des négociations longues et laborieuses auront nécessairement lieu, puisque Saskaņa est bien loin du compte : 39 sièges sur les 51 requis dans la Saeima (le Parlement letton unicaméral). Et à l’intérieur de Saskana, il apparaît à l’évidence que tous ne sont pas enchantés à la perspective d’un accord avec les populistes. Et cela, malgré le fait que leur parti, KPV (qui signifie Kam pieder valsts, A qui appartient le pays, tout un programme en soi déjà…) s’affiche souvent comme un parti plutôt centriste ET anti système. Centriste ? A comprendre comme étant suffisamment mobile et labile pour s’entendre avec tous les autres s’il le faut, même avec le Diable.

Tout cela dans un mouchoir de poche, en tout cas, un mouchoir rempli de bactéries. De ces bactéries que craignent les Européens qui vivent et pensent plus près de l’Atlantique.

L’élection d’un parti « pro-russe », 28 ans après une indépendance très attendue, désirée ardemment et depuis 1945 par une majorité de Lettons, paraît stupéfiante au premier abord. Mais dans ses grandes lignes, elle traduit certaines choses essentielles.

On peut situer le parti Saskana au centre-gauche ; Voilà qui apparaît comme moins anxiogène pour la population qu’ une formation libérale, par ses aspects de protection sociale qu’il essaie de sauvegarder. La politique lettonne à l’égard des Russes habitant dans le pays est plutôt heurtée et contrastée. On reproche souvent aux dirigeants de les brimer, d’ étouffer la langue russe dans le pays et dans son enseignement officiel. C’est très inexact dans l’ensemble ; les gouvernements successifs, depuis 1990, ont surtout essayé de revivifier la langue lettonne face à celle des occupants ; et l’influence russe demeure vivace dans le pays, ce qui n’a rien d’étonnant. D’autant plus que 25 % (et non 40 % comme le répète la presse française sans jamais aucune vérification) de la population se compose de Russes et de russophones.

Ensuite, la corruption des sphères du pouvoir scandalise la population du pays. Des mesures ont été prises, mais de l’aveu de la plupart, tout reste à faire. Malheureusement, cette corruption, comme dans une grande partie de l’Europe, est souvent incitée – voire en certains cas, suscitée – par l’ appartenance à l’Union Européenne et les flots de subventions que cela suppose. D’où un puissant ressentiment contre Bruxelles, toujours paradoxal, qui ici comme ailleurs, est utilisée comme un bouc émissaire.

Et le prestige de Poutine en sort renforcé ; davantage que comme une alternative, le nouveau Tsar apparaît comme un contrepoids à une Europe qui peine à porter dans la réalité effective des principes qui pourtant, sont reconnus par tous, y compris dans les pays baltes. L’une des traduction inquiétantes de ce prestige – et de liens peu transparents – est l’une des propositions de Saskana, qui veut porter à 1 % la part des dépenses militaires du budget, alors même que la Lettonie était un élève obéissant de l’OTAN. Voilà qui n’est pas très rassurant, décidément.

 

 

 

 

 

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