L’Europe, cette emmerdeuse…

A l’occasion du 7e anniversaire du décès de Daniel Riot, Antoine Spohr republie un texte-hommage à un grand journaliste européen, un ami et quelqu’un qui est tout simplement parti trop tôt.

Daniel Riot nous a quitté il y a 7 ans déjà. Et il manque toujours. Foto: François Nussbaumer / Wikimedia Commons / PD

(Par Antoine Spohr) – Sous ce titre ambigu et provocateur, on pourrait attendre un pamphlet ou une lamentation d’un grincheux désabusé. Ce n’est pas ça du tout, mais alors pas du tout. L’Europe est en effet une belle emmerdeuse quand elle se love dans les boyaux tourmentés d’un «fou d’Europe» que tour à tour elle laisse enchanté parce que provisoirement soulagé, puis en plein désarroi, toujours impatient comme dans un désir amoureux jamais pleinement assouvi et même accru quand l’objet semble se dérober.

Le livre de Daniel Riot et de Sandrine Kauffer du même titre que celui de cet article, est littéralement atypique : ni récit-mémoire d’une prestigieuse carrière de journaliste, grand reporter, éditorialiste, essayiste, écrivain, pas davantage un essai de plus à visées pédagogiques, ni un réquisitoire contre ceux-ci ou un plaidoyer pour ceux-là… mais c’est tout à la fois avec une touche encore particulière qui tient à la personnalité tout aussi peu commune de l’auteur.

L’habilité remarquable de Sandrine Kauffer, intervieweuse qui connaît bien le fonctionnement et l’œuvre de son «sujet» (articles, reportages, éditoriaux, conférences, livres…) consiste à canaliser le flux luxuriant et débordant d’un européen passionné, exigeant, intraitable, parfois féroce. Elle le fait avec grâce et efficacité.

Après une double préface d’André Glucksmann et de Bernard-Henri Lévy, assez convenue mais de bon aloi, le livre s’ouvre sur une lettre au Président de la République, comme une sorte d’introduction et de conclusion à la fois, sous-titrée par une invitation, une injonction même : «Réconciliez Monnet et de Gaulle». Un programme, rien de moins. Plaise au ciel que le président la lise avec application !

Et la balade commence avec le journaliste européen qui aime à se définir plutôt comme européen, journaliste, spécialisé dans les affaires européennes. Il se livre avec une ardeur communicative, sur tous les aspects imaginables de son sujet de prédilection, son obsession, nourrie par une quête infatigable d’informations factuelles mais aussi théoriques ou livresques. Mais jamais il ne perd le goût des mots en les mâchouillant en sémioticien, amateur peut-être, mais inspiré.

Au-delà de son expertise incontestable sur les questions européennes, Daniel Riot fait montre d’une réflexion approfondie, abondamment étayée par des citations (comme des cautions) d’auteurs les plus prestigieux de l’antiquité à nos jours, sans vergogne ni modération avec des préférences éloquentes tout de même pour Victor Hugo ou Valéry, d’autres plus présents étant récurrents. Cet homme-là a tout lu et donnerait des complexes au rat de bibliothèque le plus repu. C’en est même trop ! Le journaliste se mue en universitaire scrupuleux soucieux en permanence de donner ses références. On découvre ainsi ou on suppute certains aspects insoupçonnés de la pensée de tel philosophe, sociologue, historien, économiste, romancier, poète. Une grande partie des «plumes universelles» s’y trouve.

On appréciera que la profondeur de la réflexion ait produit la notion d’Eurosphère pour ne pas réduire l’espace européen à celui d’Euroland, de l’Union Européenne (28) ou même du Conseil de l’Europe (47) et l’étendre dans un souci non seulement geópolitique mais surtout «géophilosophique» à un espace culturel ou civilisationnel en somme. Edgar Morin souvent sollicité est relayé dans cette idée par le «labyrinthe de la complexité» de Castoriadis.

Enfin, en quelques mots, ce livre est une anamorphose de notre continent où comme il se doit, tout est vrai bien que déformé selon la vision particulière que requièrent les différents thèmes. Une citation de plus, cette fois par Daniel Riot lui-même : «l’Europe n’est plus une affaire étrangère, mais une affaire intérieure» placée en exergue d’une annexe qui propose «Quelques idées simples pour une Europe citoyenne». A lire absolument.

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1 Kommentar zu L’Europe, cette emmerdeuse…

  1. Oui, ces pages sont toujours vivantes et capitales, et l’Europe toujours urgente et vitale : ne s’agit-il pas de la fille d’une réfugiée plusieurs fois millénaire, de cette Europe orientale échappant aux gouffres de la Méditerranée sur les ailes de la civilisation, sur une île occidentale, et donnant le jour en Crète au premier règne de la démocratie ?

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