L’hôpital, une nouvelle industrie…

Un médecin analyse la prise de pouvoir des gestionnaires dans les instances décisionnaires de l’hôpital public.

Un ouvrage à mettre entre toutes les mains. Foto: JMC / privée

(Jean-Marc Claus) – Neurochirurgien et chef de service au Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de Tours, Stéphane Velut est aussi écrivain. Auteur des romans « Cadence » (2009) et « Festival » (2014), il s’est exprimé en janvier 2020 dans un « Tract », ouvrage d’une collection lancée par la maison d’édition Gallimard l’année précédente.

Nés en 1958 de la Loi Debré et construits de 1960 à 1980, les Centres Hospitalier Universitaires (CHU) ont jusqu’ici constitué des pôles d’excellence du service public de la santé. Dédiés au soin, à la formation et à la recherche, ces établissements exemplaires sont actuellement en crise, la pandémie de Covid-19 aggravant une situation déjà critique.

En clinicien avisé, il s’attache à l’observation et à la lecture des symptômes apparaissant dans le langage, à propos des politiques managériales visant à « transformer l’hôpital de stock en hôpital de flux », comme si un établissement de soins pouvait se comparer à un aéroport. Tout en restant évidemment, dans une démarche d’excellence !

Plus que les gestionnaires en tant que personnes, c’est le système qu’il met en cause. Un système dans lequel les praticiens du soin, quotidiennement au contact de la souffrance et de la mort, disent ce qu’ils font avec des mots concrets, alors que les gestionnaires appliquant des réformes irrationnelles et confrontés à des déficits croissants, usent d’un métalangage pour ne pas dire ce qu’ils font.

Or, l’hôpital est administré par des gestionnaires, dont la tâche principale est de réduire la dépense, et non des praticiens du soin, dont la vocation initiale est de réduire la souffrance. Loin d’un pamphlet manichéiste, et donc par nature simpliste, la réflexion de Stéphane Velut s’appuie sur les travaux de chercheurs renommés dont David Graeber, Eric Topol et Alain Denault.

Ainsi, cet opuscule de 44 pages, même figurant dans la collection Tracts de Gallimard, ne se lit-il pas comme un simple tract trouvé dans la rue ou diffusé lors d’une quelconque manifestation. Il va au delà de la simple, mais néanmoins nécessaire interpellation, et cherche à comprendre avec beaucoup d’intelligence les tenants et aboutissants de ce mal dont souffrent les hôpitaux ainsi que leur corps soignant.

Constatant que beaucoup de membres du corps soignant passent désormais plus de temps devant leur clavier qu’à proximité des patients, il pointe une réalité indéniable, source de souffrance pour la plupart des soignants. Ce n’est pas l’outil informatique qui est ici mis en cause, mais la relation mortifère à laquelle les soignants sont contraints, par ce qu’il appelle le fédéralisme managérial.

Fédéralisme managérial se traduisant, dans les hôpitaux publics, par un accroissement des postes d’administratifs, qui n’est pas suivi de façon proportionnelle par des engagements de soignants. Phénomène que l’auteur met en lien avec la financiarisation de la société, dont les grandes étapes sont, en 2003, le « Plan Hôpital 2007 », qui donne naissance à la « Tarification A l’Activité » (T2A) en 2004 et la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » de 2009 liant la gerbe.

Il démonte avec une précision d’anatomopathologiste, des termes de novlangue tels que « redimensionnement capacitaire ». Ce dernier signifiant la diminution du nombre de lits, intégrée dans le rouage coût-production-recettes, préférant les actes rentables et leur flux, on parle alors « efficience » et « circuits ».

Un ouvrage à mettre entre toutes les mains, ainsi que son second Tract intitulé « Échec au roi » publié en mars 2020, et traitant de la réaction des occidentaux à la pandémie de covid-19.

 

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