Lire la psychiatrie

Retour sur la lecture de deux vignettes cliniques fils rouges, du Colloque Soignant 2024 intitulé « Parcours psy - explorez les voies multiples ! » », tenu à l’EPSAN les 7 et 8 novembre 2024.

Lecture de la vignette clinique « Joseph pense être victime d’un sort... », avec au second plan de gauche à droite Ingrid Ullmann membre du CROC et modératrice du colloque, Guillaume Belouriez (praticien hospitalier) et Guillaume Grandidier (infirmier), tous deux praticiens en hypnose à l’EPSAN. Foto: Marine Zimmermann, Chargée de communication EPSAN

illu epsan klein(Jean-Marc Claus) – Lors du Colloque Soignant intitulé « Parcours psy – explorez les voies multiples ! », qui s’est tenu à l’EPSAN (Établissement Public de Santé Alsace Nord) les 7 et 8 novembre derniers, j’ai été par le CROC (Comité de Ressources et d’Organisation de Colloques), invité à intervenir pour lire en fil rouge deux vignettes cliniques.

« Julie entend des voix », rédigée par Lison Walter, et « Joseph pense être victime d’un sort », écrite par Christelle Risch, deux parcours psy bien différents, avec pour point commun les hallucinations acoustico-verbales. Entendre de multiples voix, explorer des voies multiples, Jacques Lacan aurait en son temps alimenté tout un séminaire, rien qu’avec avec ce que sous entend possiblement, cette homophonie ! En tous cas, « Ça parle ! »

Lire la relation des parcours de Julie et Joseph, fut une expérience totalement différente, de celle de l’édition précédente du colloque, bien que la forme en soit quasiment identique. Un faux paradoxe, car lire ce que d’autres ont écrit, n’a rien de commun avec lire ce que l’on a soi-même écrit. Il faut entrer dans d’autres univers, tant ceux des auteur(e)s que ceux de leurs personnages. D’où une nécessaire dissociation, qui là n’a rien de pathologique.

Il s’agissait alors de lire soi-même, le récit fait par un(e) autre, de ce qu’un(e) autre encore a vécu. Une sorte de ménage à trois, ou une partie de billard à trois bandes de laquelle on ne s’en sort pas forcément en carambolant. Il y avait ce qu’ont vécu Julie et Joseph, ce qu’en ont écrit Lison Walter et Christelle Risch, et ce que le public allait recevoir de la lecture que j’en ferais.

Contrairement à l’an dernier, où je lisais mes propres textes, il n’était pas question d’incarner les personnages pour les imposer à l’auditoire, mais de se mettre en retrait, afin de les laisser exister dans l’imaginaire du public. En faire un peu, mais pas trop. Donner du relief, sans en faire une montagne.

Un exercice d’équilibriste, dans lequel il fallut passer de la narration de vécus à la délivrance de données scientifiques, et réciproquement. Un peu comme dans un même moment lire « Le dormeur du val » et annoncer les résultats du quinté+ du jour ou les cours de la bourse !

Écrire la psychiatrie, n’est pas lire la psychiatrie, et lire la psychiatrie que l’on a écrit, n’est pas lire celle que d’autres ont écrit. Mais quid de celui qui fait la psychiatrie, ou plutôt fait que la psychiatrie existe ? A savoir le malade, non imaginaire, mais de l’imaginaire.

La fréquentation régulière du déséquilibre mental, du trop plein et du trop peu, de la profusion et de la rareté, conduit inévitablement à des séismes de l’esprit amenant à considérer l’existence de l’autre, comme une menace ou une opportunité. Ainsi nous, soignants en psychiatrie, ne ressortons jamais indemnes de la relation, et c’est justement par la relation de vécus individuels, qu’existent en dehors des lieux de soins, ces malades de l’imaginaire.

Qu’existent et continuent à exister, celles et ceux qui après la narration que l’on a fait de leurs vies ou tranches de vies, ont quitté le monde des vivants. Laisser une trace, soit une empreinte, un chemin frayé, une faible quantité, un vestige, une marque, un indice, autant de définitions pour un même mot, se combinant toutes dans une même action, afin de témoigner de parcours uniques.

Durant ces deux jours de colloque, les témoignages de Julie et Joseph, écrits par les unes et lus par un autre, ont laissé trace de leurs parcours respectifs, dans la mémoire de plus de trois cent professionnels de la santé. Témoignage et trace, deux mots dont l’étymologie renvoie aux verbes prouver et attester pour l’un, tirer et traîner pour l’autre. Deux mots dont l’origine remonte au XIIe siècle, époque de la construction des tours jumelles de l’église de l’ancienne Commanderie de l’Ordre du Saint Esprit, devenue asile d’aliénés en 1835 et EPSAN en 1999.

Deux stories qui s’inscrivent dans l’history, pour reprendre les termes de Murat Bozkurt, qui le second jour de colloque, traita de la prise en soins psychologique dans une approche interculturelle. Lire la psychiatrie et faire lire la psychiatrie, deux démarches nécessaires, tant à la transmission des savoirs, qu’à la réflexion sur les pratiques. Les colloques de l’EPSAN y contribuent très largement, et je remercie le CROC, de m’avoir invité à participer à la dix-septième édition de ces précieuses journées de partage.

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