Littérature : Le Prix Bachmann 2020 à Helga Schubert

Se lever le matin pour enseigner l’existence

Se lever Foto: Gzen92/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Le Prix Ingeborg Bachmann a été décerné il y a un mois. Ce Prix est remis par la ville de Klagenfurt (en Carinthie, à l’Est de l’Autriche) en hommage à la grande poétesse (et romancière) Ingeborg Bachmann, disparue tragiquement dans les années 1970. La lauréate en est cette année Helga Schubert, née en 1940. L’auteure nous expose avec une grande habileté littéraire ce qu’une vie peut nous enseigner dès lors qu’on se décide à se lever le matin pour la raconter. Et pour écouter son histoire.

La carrière littéraire de Helga Schubert, 80 ans, est singulière à plusieurs titres, puisqu’ elle s’est déroulée en RDA jusqu’en 1990, avec des succès divers, et que la bonne ville de Klagenfurt a déjà voulu remettre à l’écrivain le Prix Bachmann… en 1980. Mais les Betonköpfe de l’époque, les dirigeants de la RDA, lui ont refusé le voyage, explicitement pour deux raisons : parce que, disaient ces gens, la littérature allemande – au nom de laquelle le Prix est remis – cela n’existe pas. Sous entendu : il n’existe que deux types de littérature, la littérature capitaliste et la littérature socialiste ; et à leur goût, Helga Schubert n’ appartient pas à cette dernière catégorie. La deuxième raison était que le célèbre critique  Marcel Reich-Ranicki faisait partie du jury, et pour ces esprits post-staliniens, il faisait clairement partie de la première catégorie…

En réalité, ce qui dérangeait les bonzes, c’était la minutie des descriptions de Helga Schubert, la précision sans concession avec laquelle elle entre dans les aléas du quotidien et dans les affects de ses personnages. Comme d’autres auteurs plus proches du Parti, notamment la grande Brigitte Reimann, censurée parfois pour cause de précision réaliste – qui n’était pas « réaliste socialiste » au sens qu’on donnait alors à cette expression.

Après 1989 d’ailleurs, elle s’est concrètement intéressée à l’avenir des femmes allemandes après 40 ans d’égalité géométrique entre hommes et femmes, de travail pour tous/toutes et de crèches gratuites. Elle l’a fait en collaboration avec Rita Süssmuth, alors présidente du Bundestag et ancienne ministre CDU de la Jeunesse, des Femmes, de la Famille et de la Santé, et ce travail a donné deux textes : Gehen Frauen in die Knie ? (Les Femmes se retrouvent-elles à genoux ?) en 1990, et Bezahlen die Frauen die Wiedervereinigung ? (Les Femmes paient-elles la Réunification de l’Allemagne ?), en 1992. Un souci d’émancipation concrète, donc, inscrit dans le processus même de la vie quotidienne et dans les déterminations précises de ses conditions sociales. Ce qu’on retrouve complètement dans l’œuvre qui a reçu le Prix cette année.

Helga Schubert, par profession, est psychologue, ceci explique cela. Enfance difficile, comme celle de la plupart des Allemands : le nazisme, la guerre, son père mort alors qu’elle n’avait qu’un an… Son enfance personnelle à Berlin explique sans aucun doute qu’elle se soit principalement consacrée, dans son travail littéraire, aux histoires et aux œuvres pour enfants : ses Bimmi demeurent dans la mémoire de beaucoup d’Est-Allemands maintenant quadras, quinquas ou sexas… Pour certains, ces narrations restent parmi les meilleurs souvenirs de leur enfance.

Mais son dernier roman, lui, celui qui a tant plus au jury de Klagenfurt, retrace l’histoire de toute une existence : celle d’une femme allemande née en 1913 – la génération de la mère de Helga, et c’est bien de cette mère que s’inspire le roman. Vom Aufstehen (Du Lever, De se Lever), c’est la narration de l’existence de cette femme qui se dit un matin : « Quand tu te lèves et que tu t’aperçois que tu existes encore ». Comment se lever, donc : «  Lève toi et marche ! ». Pourtant, ici, ce ne sera pas un miracle, mais le fruit d’un combat de chaque jour qui permettra de surmonter enfance malheureuse, nazisme, guerre, stalinisme, et après 1989, réunification à l’étau. Helga Schubert raconte avec très grande habileté littéraire, mêlant les temps et les rythmes et associant idées et souvenirs.
Un roman qui rapporte gros, si on ose dire. Un de ces livres qu’il faudrait administrer à l’entonnoir aux jeunes personnes de 20 ou 30 ans après les avoir attachés à leur fauteuil. Mais l’aboutissement de cette existence racontée, c’est, outre une émancipation réussie, une sagesse de vie et une leçon sur la manière dont on peut trouver la paix, aux moments de l’accomplissement final d’une existence.

Helga Schubert, cette femme douce et sensible, a reçu son Prix de 25 000 euros par vidéo dans sa maison de Neu Meteln, entre les belles villes de Wismar et Schwerin, où elle soigne son mari malade et s’occupe d’une galerie de peinture ; à cet endroit où s’était installée dans les années 1970, la Künstlerkolonie Drispeth, une communauté de peintres et de poètes.

Son roman, il faut le lire. Il n’est pas cher et il peut apporter gros ; condition de se lever pour aller l’acheter dans une librairie.

 

 

 

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