Livres : De Valérie Trierweiler à Heribert Schwan…

Deux ouvrages, deux auteurs-journalistes, deux attaques «venus de l’édition» !

Valérie Trierweiler, auteur, comme Heribert Schwan, d'un livre dont le monde n'avait pas vraiment besoin. Foto: Cyclotron / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Le bon journaliste cherche, parfois sa vie durant, le «coup», l’interview-vedette qui le fera sortir de sa chronique quotidienne et éphémère, pour le faire entrer dans l’histoire. Cette recherche est parfois vaine : c’est pourtant elle qui, dans des démarches apparemment dichotoniques, a fait se rejoindre dans la notoriété Valérie Trierweiler et Heribert Schwan. La première a tiré un gros coup à plus de 500.000 exemplaires avec son livre «Merci pour ce moment», le second a déjà dépassé les 100.000 exemplaires pour son ouvrage : «Das Vermächtnis – Die Kohl-Protokolle».

Les deux ont voulu, chacun dans son rôle, se venger dans une sorte d’amour déçu et entrer dans l’histoire contemporaine : la première en révélant la face cachée de François Hollande, le second en déboulonnant la statue du commandeur, chancelier de la réunification, Helmut Kohl.

Une jeune épouse, bien ambitieuse ? – La première a agit en «franc-tireur», le second avait un accord pour rédiger, sur la base d’entretiens de plus de 600 heures, un nouveau tome des mémoires de Helmut Kohl : un ouvrage dont la tonalité était d’autant plus libre et décomplexé que le livre devait paraître après la mort de l’ex-chancelier. Tout porte à croire que le contrat entre l’intervieweur et l’interviewé a été rompu sous la pression de la seconde et jeune (elle a 33 ans de moins que lui) épouse de Helmut Kohl : Maike Richter-Kohl, une groupie de la CDU qui avait un autre projet en tête et qui provoqua sans doute le divorce entre l’ex-chancelier et Schwan !

Dans les deux cas, la déception née des liens brisés a conduit les deux auteurs à rédiger deux ouvrages moralement discutables dans la forme et le fond, à la recherche d’un succès en librairie qui semble bien se confirmer. Deux best-sellers semblent être nés de la démarche des deux auteurs : celui de Héribert Schwan sentant en plus le fagot d’un procès en sorcellerie que la justice, au contraire des confrères-journalistes, n’a pas réellement osé conclure !

200 bandes audio, saisies à la demande de la justice ! – Si les confrères ont, dans l’ensemble, condamné le procédé qui consistait à publier une interview démentie après une rupture de contrat d’édition, la justice, elle, saisie par l’ex-chancelier, avait forcé Schwan à rendre les 200 bandes d’enregistrement propriété en fait de Helmut Kohl, elle n’avait pas interdit la… parution du livre. Saisie, une fois encore par Helmut Kohl, la justice n’a pas non plus interdit la diffusion de l’ouvrage !

Pourtant Heribert Schwan avait soit utilisé des copies des bandes qu’il avait été condamné à rendre, soit transcrit des notes prises lors des entretiens : il a de plus pris la précaution de n’utiliser dans son ouvrage que des résumés ou de courtes citations susceptibles d’avoir été mémorisées ! La justice n’est peut-être pas allée jusqu’au bout de son raisonnement. Elle n’a pas voulu condamner un livre dont, par contre, hommes politiques et professionnels ont contesté la publication. François Hollande n’a pas voulu engager d’action contre le livre de Trierweiler, Helmut Kohl, lui, a essayé, sans succès : les lecteurs, alléchés par le parfum du scandale, ont tranché, en poussant les deux ouvrages vers des pics de vente !

«Tous des traîtres» avec la «Mafia de Hambourg !» – L’ouvrage de Schwan, relatant des entretiens qui eurent lieu sur un an -de 2001 à 2002- souligne les côtés obscurs de la personnalité d’un Helmut Kohl taraudé par une sorte de paranoïa dont tous ceux qui l’ont approché, sont victimes. Tous l’ont trahi, tous sont nuls et les médias -la «mafia de Hambourg en tête» (Der Stern, Die Welt, Die Zeit, mais aussi Der Spiegel)- n’ont eu de cesse de le présenter comme «l’idiot du village» inculte pratiquant mieux son dialecte du Palatinat que la langue allemande !

Victime préférée des médias qui le caricaturent en «poire», ne dominant pas l’anglais, balourd dans le style «éléphant dans un magasin de porcelaine», Kohl se venge. Très rares sont ceux qui échappent à sa vindicte. Ce sont tous des «fumiers, des traîtres, des trous du c…», gracieusetés qui ne grandissent pas l’homme, même si elles illustrent ce propos de sa mère : «On mord d’abord la main qui magnifie et bénit !» («Die Hand die segnet, wird am ersten gebissen !»).

Le Saint-Esprit et la… réunification allemande ! – Les propos rapportés nous montrent un personnage cynique, insolite, complexé, paradoxal, méchant, roublard et aigri : un vieillard qui règle ses comptes. S’il vend des sous-marins à Israël («équipement payé pour l’essentiel par le contribuable allemand !»), il considère que «Feldsoldaten» (littéralement «soldats du front»), les «SS» étaient «anständige Leute» (des «gens bien»). Il a été l’artisan de l’unité allemande rappelle (il en oublie le rôle joué par Wolfgang Schäuble qui, pourtant, avait rédigé, avec Günther Krause pour la DDR, le complexe traité de réunification).

Mais il commente l’unité allemande «qui n’aurait pas été possible si le grand frère russe n’avait pas été malade… La faute la plus lourde commise par Honecker a été celle consistant à élargir les autorisations de sortie du territoire de la DDR. (Les voyages) ont été le début de la fin et non les bougies ou les prières dans les églises, dont celles de Dresde… Qui peut croire que le Saint Esprit était descendu sur les places de Leipzig pour transformer le monde ?…»

Il plaide pour l’indispensable amitié franco-allemande et parle, avec douleur, de sa rupture avec Wolfgang Schäuble qu’il considérait comme son frère. Il lui reproche d’avoir voulu être chancelier (sous-entendu «à sa place»), ambition qui se «sentait de loin». En réalité, Schäuble(1) voulait que Kohl se retire en 1999, car il pensait – à juste titre- qu’il perdrait les élections contre Schröder. Ce «sujet (Subjekt !) qui est froid comme un poisson…, qui laisse tomber tout le monde et qui, dans quelques années, refermera la lame de son couteau pour aller gagner beaucoup d’argent», souligne Kohl !

Le souvenir ému de Hannelore Kohl. – A part de (trop) rares exceptions, personne ne trouve grâce aux yeux de l’ex-chancelier, 84 ans, cloué dans un fauteuil roulant à la suite d’une méchante chute dans l’escalier menant à sa cave et handicapé, en plus, par un «AVC» qui le rend presque inaudible.

Une personne, pourtant, échappe à ses colères : sa femme Hannelore qui, gravement malade, s’est suicidée. Ses deux fils -Walther et Peter- l’accusent du reste d’avoir négligé son épouse et le rendent responsable d’une issu concrétisée par l’absorption de médicaments avalés alors que, laissée seule par son mari séjournant à Berlin, elle avait décidé d’en finir ! Helmut Kohl, quant à lui, incrimine la chasse à l’homme dont il a été victime, à la suite de sa condamnation dans une affaire de financement occulte de la CDU par de généreux donateurs dont il a toujours refusé -même devant un tribunal- de donner les noms !

Quand l’ex-chancelier répond ! – «Das Vermächtnis» est pour le monde politique un torchon qui n’aurait jamais du paraître. Pour Edmund Stoiber, qui résume, en quelque sorte, l’avis de la plupart de ses collègues du monde politique : «L’Héritage de Helmut Kohl, c’est l’unité allemande et l’intégration européenne et pas ce qui est écrit dans ce livre.» Helmut Kohl a d’ailleurs voulu allumer un contre-feu au pamphlet de Schwan en rééditant son ouvrage «Vom Mauerfall bis zur Einheit» et en annonçant, à la Foire du Livre de Francfort, qu’il allait publier, le mois prochain, un ouvrage sur l’intégration européenne. Une manière de rappeler que l’ex-chancelier, que beaucoup avaient apparemment enterré un peu vite, entend encore se rappeler au bon souvenir de ses concitoyens, surtout en cette période où se fête le jubilé de la «Chute du Mur» !

De Valérie Trierweiler à Heribert Schwan, le lecteur, avide de scandales, a entre ses mains deux brûlots, véritables «attentats politiques» contre deux personnages dont le monde s’enfonçait, déjà, dans un océan de déconsidération. La démocratie avait elle vraiment besoin de ces deux livres ? Certains le pensent. D’autres se souviennent de ce propos du «Comte» dans «Le Cid», la pièce de Pierre Corneille : «Pour grands que soient les rois», dit-il, «ils sont ce que nous sommes : ils peuvent se tromper, comme les autres hommes !» Triste conclusion, non ?

(1) Wolfgang Schäuble : «Zwei Leben», de Hans Peter Schütz (Droemer -Editeur- 2012).

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