L’œil droit est-il aveugle ?

Une cellule nazie dans la police de Francfort ?

L'homme de Neandertal en costume moderne, à quelques lieues de Francfort Foto: Einsamer Schütze / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(MC) – L’enquête est ouverte à Francfort et dans les milieux policiers du Land de Hesse. En Allemagne (et ailleurs en Europe…), il y a sans aucun doute davantage de policiers qui partagent une Weltanschauung d’extrême-droite qu’on voudrait le croire…

Le 2 août, une avocate d’origine turque, Seda Basay-Yildiz, qui a travaillé lors du procès du mouvement nazi NSU, reçoit des menaces adressées à elle et à sa petite fille, âgée de… 2 ans. Extrait d’une traduction de ce courriel humaniste et bienveillant : « Nous allons massacrer (schlachten,c’est-à-dire abattre comme du bétail) ta fille »… L’avocate est coutumière de ce genre de menaces. Mais cette fois, le courriel comprend son adresse postale, le prénom et l’âge de sa fille : informations qu’elle n’avait jamais rendues publiques. L’avocate, domiciliée à Francfort, demande donc une enquête.

Or, il s’avère que ces informations proviennent d’un PC du 1er Commissariat de Francfort. 5 policiers, 4 hommes et une femme, sont suspendus. Ils ont échangé durant de longues semaines des messages racistes, des croix gammées et des photos du Führer…

Un groupe d’enquête a été formé hier qui doit mener ses investigations au-delà de Francfort, dans tout le Land de Hesse. Les autorités annoncent cette enquête en termes un peu étranges : ce groupe, dit-on au public, « doit montrer qu’il est exclu que d’autres groupements, à l’intérieur de la police, ne soient remarqués pour leurs incitations à la haine contre des étrangers ou bien d’autres manières, avec l’expression de considérations d’extrême-droite. » Espérons que cela est réellement exclu… Certains en doutent.

Mais pourquoi ce message de haine et de meurtre est-il signé : « NSU 2.0 « ? Le NSU, National Sozialistischer Untergrund (ou Parti Clandestin National-Socialiste) a sévi entre 2000 et 2007. Ce mouvement, basé en Saxe (à Zwickau) et en Thuringe, a commis 15 braquages de banques et 10 meurtres en Allemagne : 9 immigrés turcs et grecs, mais aussi une jeune policière. Lors du procès (qui a débuté en mai 2013 et s’est achevé à l’été 2018, donc tout récemment : 400 jours d’audience, 750 témoins à la barre !), le Tribunal de Grande Instance de München a conclu que le NSU était « une organisation terroriste ». La seule survivante du groupe, Beate Zschäpe, a été condamnée à la perpétuité, assortie d’une peine de réclusion incompressible de 15 ans. Ses deux complices, Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos, avaient incendié leur maison de Zwickau et s’étaient suicidés juste avant une intervention des policiers, le 4 novembre 2011.

Reste le problème non résolu des relations plus que probables avec la police. Il est assez évident, en effet, que les membres du NSU entretenaient de singulières relations  avec les services secrets allemands ; et il semble bien que dans le fan club du mouvement, on aimait bien servir d’indicateurs à la police. A Kassel, le NSU a assassiné le patron d’un café. Fait troublant : un haut fonctionnaire des services secrets, en charge du dossier NSU, s’y trouvait – on a pu l’identifier par les traces laissées sur l’un des ordinateurs de ce café. Or, ce monsieur affirme qu’il n’a rien entendu, alors que plusieurs coups de feu ont été tirés sur le patron ! « Je n’ai rien entendu ; j’étais là par hasard ” , a-t-il déclaré. A suivre…

Autre fait troublant : en 2007, le NSU aurait aussi assassiné une jeune policière, Michèle Kiesewetter, à Heilbronn cette fois, et grièvement blessé son collègue. Il subsiste beaucoup d’incertitudes sur ce meurtre. Les preuves de la culpabilité des 3 membres connus du NSU ne sont pas entièrement convaincantes : certaines pièces à conviction ont été retrouvées comme par enchantement dans la maison du trio pourtant détruite par les flammes, à Zwickau. Et la police semble avoir été au courant… très tôt de cette culpabilité. Un peu trop tôt : Florian H., un néo-nazi reconverti, a renseigné la police dès l’été 2011 sur certains militants – plusieurs mois avant la fin du NSU et 2 ans avant le procès. Bien avant lui, un autre informateur avait renseigné le policier Günter Stengel dès… 2003 : le nom de Uwe Mundlos, l’un des membres du NSU, avait été mentionné alors. Mais il semble que sur les recommandations de ses supérieurs, on ait fait disparaître le rapport de Stengel…

Mais il y a mieux encore. Fait sinistre et pittoresque : dans l’entourage de la policière de 22 ans, un collègue très proche, son chef immédiat, Timo H., était membre… du Ku Klux Klan ! C’est aussi le cas de Thomas R., alias Corelli (il aimait sans doute faire chanter les membres de sa chorale) : militant d’extrême-droite, membre du KKK, ce proche de Timo H. informait assidûment la police. Alors, NSU et KKK : des frères ennemis ? Nous n’en savons pas grand chose encore. En tout cas, cela en dit long sur la Weltanschauung d’un certain nombre de membres de la police allemande. D’autant plus que Thomas R. est mort de vieillesse subite et précipitée, à 39 ans. Quoiqu’il en soit, on n’a pas d’explication réellement satisfaisante pour ce meurtre et ses implications.

On voit donc, en tout cas, que le mouvement néonazi NSU n’était pas vierge de toute relation avec la police. Reste qu’il est difficile de saisir la nature de ces relations. Et aujourd’hui, la signature « NSU 2.0 » est-elle l’expression très crue de ces relations ? Des membres clandestins du mouvement traînent-ils encore en Allemagne, grâce à certaines complicités ? Ou bien un nouveau groupe d’extrême-droite s’est-il formé dans la police de Hesse ? Ou bien ne sont-ce là que des fonctionnaires aigris par l’absence d’amour et l’ingratitude de la méchante population allemande et surtout, de celle issue de l’immigration ?

Chose frappante, les médias allemands ne posent pas souvent la bonne question, ou la posent souvent bien mal. Question qui fâche ? Question qui tache ? Il est bien rare que le Spiegel, par exemple, et plus encore les journaux conservateurs et classés plus à droite la formulent clairement. Par exemple, une vidéo toute récente du Spiegel sur l‘histoire de l’extrême-droite après 1945 accomplit l’exploit de ne jamais évoquer le NSU, excepté dans les dernières minutes du documentaire, et… c’est une personne interviewée qui la mentionne à propos d’Aube Dorée, le mouvement fasciste grec !

Il faut faire la lumière sur cette affaire, et extirper autant que se peut les racines du fascisme et du nazisme de la police allemande. L’affaire est plus grave qu’il n’y paraît, et il faut cesser de banaliser et d’édulcorer la situation comme le font les autorités allemandes depuis Konrad Adenauer.

 

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