L’OTAN : «mort cérébrale» ? Pas sûr…

Espionnage Serbie - Russie : un polar pathétique

Spy versus Spy Foto : The Conmunity Pop Culture Geek/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Ces dernières semaines, en Serbie, on parle beaucoup d’une étrange affaire d’espionnage dont les auteurs auraient été des agents russes.« Etrange » parce que trop grosse pour être vraie – si du moins ce concept peut s’appliquer dans le domaine du renseignement. Mais cherchons à qui le crime profite – si crime il y a réellement.

Deux vidéos jalonnent les traits frappants de cette affaire. D’abord, la plus récente : on y voit le premier ministre serbe, Alexander Vucic, submergé par un noir chagrin. « Mais pourquoiii ? Pourquoi vououous ! «  se lamente t-il. « Vous », c’est la Russie poutinienne, jusque là grande alliée du pays de l’Aigle Blanc.

Eh bien voilà : ce que montre la plus ancienne de ces deux vidéos, d’ailleurs diffusée même sur youtube, c’est un agent russe qu’on affirme dûment identifié (le journaliste bulgare, personnage clé de cette affaire, a utilisé la reconnaissance faciale de microsoft pour le reconnaître sans erreur) ; et cet agent, un attaché militaire à l’ambassade russe à Belgrade, remet une enveloppe pleine de biftons dans un sachet prisunic (je transpose un peu) à un officier serbe en retraite, Z.K. Cela se passe sur un parking à Zemun, une banlieue de Belgrade célèbre pour sa tribu de mafiosi. Embrassade sensuelle et passionnée du Russe Giorgi Kleban et du Serbe Z.K. Ensuite, comme cela tombe bien, le Serbe rejoint sa voiture et compte ses billets ; il est filmé, de très près, et les images ont une qualité étrange. Suspecte. La scène remonte à un an.

Qu’a-t-il donc moissonné, l’agent russe ? Mystère. En tout cas, les relations entre la Serbie et la dictature poutinienne sont bel et bien écornées. Surprenants, ce retentissement et ce scandale : tout le monde sait que les agents de renseignement mènent une vie professionnelle intense dans cette région de l’Europe. Presque autant qu’à Paris ; c’est dire… Pourquoi alors une telle publicité, et la tenace impression d’une indignation sinon feinte, en tout cas jouée ? En ce sens, Vučic accuse les services occidentaux d’avoir divulgué la fameuse vidéo. Peut-être n’a-t-il pas tort…

Certains politiciens serbes s’en prennent à la Bulgarie, dont les services grouillent de manière peu discrète en Serbie et dans certains bâtiments fameux de Skopje, la capitale de la Macédoine du Nord. Et le journaliste qui a donné à cette histoire son importance médiatique, Christo Grozev, qui travaille à Bellingcat, un groupement de médias qui se base sur des “renseignements de source ouverte” (on y reviendra), est d’origine bulgare. Et la Bulgarie, contrairement à la Serbie, est membre de l’OTAN.

Un député européen bulgare de droite, Aleksander Jordanov, a émis l’hypothèse que cette affaire grotesque relevait d’une tentative de déstabilisation des pays balkaniques par la Russie : cette dernière espérerait ainsi détourner le regard des autres de son intention trop visible de faire de la Serbie une sorte de… satellite. Hypothèse peu convaincante : cette affaire ne détourne rien du tout, et une telle manigance serait bien maladroite de la part d’un service aussi expérimenté que le SVR russe !

Autre hypothèse, sans doute bien plus convaincante : l’OTAN utilise, par certains moyens qu’il ne serait pas trop difficile de profiler, son affilié bulgare pour enfoncer un coin entre la Russie et la Serbie, afin précisément d’atténuer l’influence du tsar Poutine à Belgrade, et de freiner dans la mesure du possible son avancée. Comme elle essaie de le faire avec la Chine – ce qui est encore bien plus difficile. S’installer solidement dans les Balkans et contenir la Russie : l’Union Européenne s’y est évidemment montrée impuissante, surtout ces 5 dernières années. L’OTAN reprend peut-être ainsi du poil de la bête là où on ne l’attendait pas nécessairement. Du moins pas à une place aussi… éminente.

On l’a dit, c’est Christo Gorzev, journaliste appartenant à Bellingcat, qui a lancé cette affaire sur la place publique. Gorzev est bulgare… et Bellingcat est un groupement de médias se servant de renseignements de source ouverte. Qu’est-ce que cela ? Les ROSO (en anglais : OSINT, Open Source INTelligence) sont des renseignements acquis par des sources d’information publique (au contraire donc des informations classées) : journaux, télés, médias en général et livres ou magazines. Comme on s’imagine et comme on peut le craindre, les OSINT vont prendre toujours davantage d’importance dans les prochaines décennies avant la fin du monde.

Ce qui ne laisse pas de présenter un danger évident. Car comment fixer la validité d’une information et sa fiabilité, au juste ? Comment contenir, au moins partiellement, l’énorme potentiel de manipulation qui gît dans ce type de renseignement ?

On dispose de critères précis pour cela, malgré tout. Ces critères, on les a exposés dans 3 manuels principaux :
- le Manuel du Renseignement de source ouverte(Open Source Intelligence Handbook),
– le Livre du Renseignement de source ouverte  (Open Source Intelligence Reader),
et enfin, – L’Exploitation du Renseignement dans le guide Internet (Intelligence Exploitation of the Internet guide)

Ces trois manuels fondamentaux ont été publiés… par l’OTAN. Faut-il ajouter un commentaire à cela ?

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