Macron manœuvre la France dans une crise politique

En choisissant d'utiliser le §49.3 pour faire passer sa réforme des retraites, de peur d'essuyer une défaite à l'Assemblée Nationale, Emmanuel Macron conduit son pays vers une nouvelle crise majeure.

A Strasbourg aussi, une manifestation spontanée s'est formée hier soir. Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY 2.0

(KL) – Après le triste spectacle du 16 mars 2023, le constat est clair : la démocratie en France est malade, profondément malade. Le matin, lors du vote au Sénat, le texte sorti de la Commission Paritaire Mixte avait encore trouvé une courte majorité, mais elle était si courte que les cadors du gouvernement commençaient à avoir peur. Et si on perdait le vote à l’Assemblée Nationale ? Le risque semblait réel et donc, après des réunions d’urgence à l’Élysée, Emmanuel Macron décidait de ne pas faire voter les représentants du peuple, mais d’imposer cette réforme, toujours rejetée par une écrasante majorité des Français, par le biais du §49.3. Si le président avait comme objectif de transformer le bras-de-fer entre son gouvernement et les Français des dernières semaines en un affrontement violent, il a fait ce qu’il fallait. Déjà dans la soirée, des grandes manifestations spontanées s’organisaient à Paris et dans plusieurs villes, comme à Bordeaux, Albi, Strasbourg et ailleurs) et ces manifestations ne constituent que le début d’un long affrontement entre Macron et son gouvernement et les Français. Car pour de très nombreux Français, il ne s’agit plus « seulement » d’empêcher cette réforme des retraites, mais de sauver la démocratie française contre un président et gouvernement que le chef du PCF, Fabien Roussel, qualifiait « d’indignes » de diriger la France.

Un triste record – cette utilisation du §49.3 était la 100e fois, depuis les débuts de la Ve République, qu’un gouvernement français ait fait appel à cet instrument hautement anti-démocratique. Bien sûr, l’utilisation de ce paragraphe est constitutionnelle, mais il n’en reste pas moins qu’elle est anti-démocratique, car elle enlève le pouvoir législatif des mains des deux chambres légiferantes, pour l’attribuer au chef de l’exécutif, ce qui est parfaitement contraire aux principes fondamentaux de la démocratie représentative. Concernant une question d’une importance telle que les dernières années de vie des Français, la méthode du président, qui par ailleurs n’a plus le courage de rencontrer les syndicats ou même des simples citoyens, est vécue comme de la brutalité. De peur de perdre un vote à l’Assemblée Nationale, Macron a perdu son peuple qui ne croira plus ce qu’il pourra dire. Le divorce entre Macron et les Français est acté, mais pas encore consommé.

Aucune manifestation n’était prévue hier soir, mais un peu partout en France, les gens sortaient dans la rue pour donner voix à leur colère face à ce qui est ressenti comme du mépris profond et une attaque sur les valeurs de la République. L’ambiance lors de ces manifestations n’était plus aussi « bon enfant » que lors des 8 grandes manifestations depuis le 19 janvier 2023, la colère devient palpable. Les manifestations, grèves, actions continueront, et elles deviendront de plus en plus radicales. Il faudra faire attention que la France ne sombre pas une nouvelle fois dans une logique d’affrontements tous les week-ends.

L’erreur avec cette réforme se situait surtout dans la méthode. Avant même les débats sur cette réforme, président Macron avait déjà annoncé le résultat du processus, en indiquant que s’il le fallait, il allait l’imposer par le §49.3 – donc, les quelques semaines de débats parlementaire, n’étaient qu’une farce dont le résultat était déjà décidé. Quel mépris pour l’Assemblée Nationale et les représentants du peuple français ! Après, il ne faudra pas s’étonner que les Français s’expriment dans la rue, car dans les Assemblées, ils n’ont plus la possibilité de s’exprimer par la voix de leurs représentants.

Réformer un système des retraites – cela aurait été possible. Dans le dialogue avec les partenaires sociaux, dans le dialogue avec les associations et fédérations, dans le dialogue parlementaire. Mais le dialogue n’est pas le point fort de ce président qui, depuis le 19 janvier et le début des manifestations, se cache dans son palais ou voyage à l’étranger, refusant le dialogue avec les syndicats et on dirait qu’il passe son temps à verser de l’huile sur le feu. Peut-être réussira-t-il à vaincre les Français en leur imposant une réforme dont ils ne veulent pas, mais ce faisant, il a perdu son statut que ses compatriotes respectaient malgré tout. Mais ce respect pour son rôle constitutionnel, Macron vient de le perdre.

Elisabeth Borne, elle, devra faire face à une motion de censure. La date n’est pas encore fixée, mais la Constitution veut que le vote intervienne dans les 48h suivant le dépôt de la motion. Donc, samedi, dimanche, lundi ? D’ici là, tout le monde travaillera Les Républicains (LR) au corps, car sans un certain nombre de votes LR, une telle motion ne pourra pas aboutir. Et les macronistes, bien sûr, feront tout pour s’assurer du soutien des LR. Mais est-ce que LR gagneraient vraiment à se limiter au rôle de soutien de Macron ? Ne devraient-ils pas plutôt retrouver leur positionnement au centre-droit de l’échiquier politique ? Toujours est-il, si Elisabeth Borne devrait se voir désavouée par l’Assemblée Nationale, la réforme des retraites ne pourra pas entrer en vigueur en l’état.

En utilisant le 49.3, Emmanuel Macron a choisi la pire des options dont il disposait. Mépriser de la sorte la représentation du peuple français et par ce biais, les Français, est peut-être l’erreur politique de trop. On verra ces prochains jours ce que les Français pensent des méthodes du président et du gouvernement. Est-ce que cette fois, les CRS suffiront pour briser la colère d’un peuple qui se sont méprisé et malmené ?

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