Macron – Merkel : une crise et…

… un divorce à l'italienne ! Alain Howiller jette un regard avisé sur les relations entre le Président français et la chancelière allemande.

Ce n'est pas exactement l'amour avec un grand A... Foto: The Kremlin, Moscow / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Elle aurait pu, et sans doute même dû, s’abstenir de réagir comme elle l’a fait, à l’interview fracassante d’Emmanuel Macron parue dans « The Economist ». Emmanuel Macron aurait pu, et peut-être même dû, ne pas accorder cette interview alors qu’il ne pouvait pas ignorer que les cérémonies du trentième anniversaire de la Chute du Mur ne pourraient que susciter, en Allemagne, des réactions sans doute démesurées face à ce qu’à Berlin on ne pouvait pas ne pas considérer comme une sorte de provocation !

Alors que la chancelière s’apprêtait à célébrer ce qui avait été -in fine- une victoire du monde occidental sur une dictature dirigée et maintenue par le camp soviétique, une victoire de l’alliance atlantique, de l’OTAN sur les puissances du « Pacte de Varsovie », Emmanuel Macron, commentant les attitudes de Washington comme d’Ankara dans le chaudron syrien, considérait que « ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ! »

Les 3% au doigt mouillé, à la française ! – Pour parfaire (si on peut dire !) son propos, le Président français souligne par ailleurs : « L’Europe a oublié qu’elle était une communauté en se pensant progressivement comme un marché… Elle disparaîtra si elle ne se pense pas comme puissance du monde !… ». Et d’ajouter pour… faire bonne mesure que la règle budgétaire du respect d’un déficit de 3% « relevait d’un débat d’un autre siècle ». Pourtant, le Président devrait se rappeler que la règle controversée a été une invention française définie « au doigt mouillé » pour aider Helmut Kohl à faire passer l’abandon du DM au profit d’une monnaie unique. Et Macron de conclure : « Je ne pense pas dramatiser les choses, j’essaye d’être lucide ».

Dans un contexte particulier (commémoration du trentenaire, tensions entre partenaires d’une Grande Coalition qui se sent menacée, devant le risque d’une récession, mise en cause de la règle du déficit budgétaire nul), la chancelière, d’habitude si prudente et mesurée, a réagi avec d’autant plus de brutalité qu’elle avait Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, à ses côtés, lors de sa conférence de presse : « Je ne pense pas qu’un tel jugement intempestif soit nécessaire », a-t-elle réagi au propos d’Emmanuel Macron sur l’OTAN. « Je ne partage pas cette vision des choses… Pour nous, le partenariat transatlantique est incontournable !… L’OTAN a fait de bonnes choses ».

Une telle réaction aurait-elle eu lieu si les circonstances encore renforcées par la visite à Berlin de Mike Pompeo, le secrétaire américain à la Défense, avaient été différentes ? Certes, les différends franco-allemands étalés au grand jour ne sont pas une nouveauté : j’y reviendrai. Mais la réaction d’Angela Merkel paraît bien disproportionnée si on tient compte du fait que Barack Obama, le grand ami de la chancelière, avait déjà incité l’Europe à mieux prendre en mains sa défense car les Etats-Unis s’intéresseraient davantage au Pacifique qu’à l’Atlantique et à consacrer au budget de sa défense 2% du PIB comme cela avait été décidé en 2014 par les membres de l’OTAN.

Un message d’attente pour Donald Trump. – En arrivant au pouvoir, Donald Trump avait repris, avec plus d’insistance, l’antienne de son prédécesseur en ciblant particulièrement la riche Allemagne qui devrait rapidement atteindre ses 2% de PIB, ce qui lui permettrait (« Make America great again ! »)… d’acheter du matériel américain ! L’ennui, c’est que l’Allemagne, outre le fait que ses équipements sont dans un état pitoyable et qu’elle arrive difficilement à recruter, est loin des 2% et qu’un débat intense divise la « Groko » sur la nécessité d’arriver à ce seuil que Olaf Scholz, le Ministre des Finances refuse d’accepter pour le repousser au delà de… 2024 ! Si bien que tout en répondant à Emmanuel Macron, Angela Merkel envoyait un message d’attente à Donald Trump et essayait d’aider sa Ministre de la Défense qui espère être confirmée comme candidate (ce n’est pas assuré !) à la chancellerie, au congrès de la CDU qui aura lieu les 22 et 23 Novembre à Leipzig.

Si Angela Merkel et Macron ont pu s’expliquer lors du dîner organisé le 10 Novembre par le Président Fédéral Steinmeier -dîner auquel la chancelière s’est… invitée-. Les propos du Président français ont été, dans l’ensemble, mal accueillis par les médias allemands. On y évoque l’arrogance du Président français, sa « volonté d’être non pas un lanceur d’idées, mais un ‘Anführer’ (meneur, un chef), son « insensibilité » (en parlant de mort cérébrale), son inconstance (à propos de son veto à l’adhésion à l’Union Européenne de l’Albanie et de la Macédoine du Nord), son agressivité (à propos de sa volonté d’imposer sa candidate au Parlement Européen), relève Nadia Pantel dans la Süddeutsche Zeitung tout en concluant cette bordée d’amabilités par ce constat : « Il faut néanmoins reconnaître une chose – et c’est déterminant - : Macron n’est pas anti-européen ! » Par les temps qui courent, ce commentaire sur la volonté du Président français d’en finir avec la langue de bois ne manque pas d’élégance !

Quelques… divergences franco-allemandes. – Force est de constater qu’avec leurs propos, les deux responsables franco-allemands ont contourné – et ce n’est pas la première fois – les froides convenances que traduisent généralement les communiqués officiels sans pour autant aller aussi loin que ne le fit Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances, évoquant les « risques d’un mariage menacé de divorce ». Les approches des deux pays manquent souvent (soyons généreux) de convergence et mettent longtemps avant de se rejoindre « a minima » : de la remise en question du siège du Parlement Européen à Strasbourg aux ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, de la création d’une « zone Euro » avec un Ministre de l’économie et un budget autonome, à la création d’une armée européenne, des divergences sur le Brexit à la naissance d’un fonds d’investissement pour promouvoir les entreprises, du renforcement de l’Union Européenne à la définition de politiques écologiques ou migratoires communes ou à la mise en place d’une politique plus souple en matière d’investissements publiques dépassant la fameuse règle allemande du déficit budgétaire nul. Le « Conseil des sages «  qui siège à Berlin auprès du gouvernement, vient du reste de réclamer cet assouplissement pour conjurer le risque de récession.

Certes, les propos lénifiants ne manquent pas : « Nous avons décidé de développer ensemble un avion de combat et un char… C’est un signe de confiance que de compter les uns sur les autres en matière de politique de défense… », a eu l’occasion de souligner la chancelière qui nie que depuis la signature en janvier du Traité d’Aix La Chapelle soit née une tension ou qu’il y ait une détérioration des relations franco-allemandes. « Je suis », a-t-elle ajouté, « la chancelière d’un gouvernement de coalition et je suis beaucoup plus dépendante du parlement que le Président français qui n’a pas du tout le droit d’entrer à l’Assemblée au nom de la séparation des pouvoirs. »

Pour une poignée de mois après le Traité. – Pourtant, qui ne se souvient qu’une poignée de mois après la signature du Traité d’Aix La Chapelle, Emmanuel Macron avait – déjà !- lancé ce pavé dans la mare en soulignant : « Nous devons accepter des désaccords momentanés, de ne pas être totalement d’accord sur tout pour construire un compromis avec l’Allemagne, pour pouvoir avancer ». Et de rappeler, répondant à une interview de la chancelière à la Süddeutsche Zeitung : « Je ne crois ni à la confrontation stérile, ni à l’entente stérile ». Le président réagissait à cet incroyable propos d’Angela Merkel affirmant : « Gewiss, wir ringen miteinander » (qu’on peut transposer par « C’est sûr, il nous arrive de lutter l’un contre l’autre ») ».

« La désillusion des derniers jours est complète… », écrit en réaction à cette approche Georg Blume, responsable de la rédaction parisienne de « Die Zeit ». Quelle irresponsabilité de dévoiler leurs petits problèmes de couple alors que l’Europe a besoin d’eux plus que jamais… Je ne pouvais pas imaginer Macron et Merkel faisant de la lutte… J’avais envie de croire à un minimum de discipline nécessaire à tout couple amoureux et surtout à une alliance entre deux Etats. Elle existe depuis 56 ans, lorsque De Gaulle et Adenauer ont signé le premier Traité d’amitié franco-allemande. Elle a été renouée il y a quelques mois par le Traité d’Aix-La-Chapelle. Après cette grande fête, comment faire si on commence à se parler comme de futurs divorcés ? Quel gâchis ! Les raisons de ce mariage valent plus que jamais : de Gaulle percevait déjà que l’Europe devait exister quand les nouvelles et anciennes superpuissances ne jouent plus le jeu entre elles. C’est encore plus limpide aujourd’hui. Au moment où les adversaires de l’Europe ont le vent en poupe !….”(1)

Contre la politique des petites phrases. – Cet appel, paru au mois de Mai dans le Journal Du Dimanche, n’a rien perdu de son actualité. De plus, dans une Union Européenne qui doute de plus en plus d’elle même : « La France n’assume plus, à égalité avec l’Allemagne, sa partenaire, le leadership de l’Europe ». Ce n’est pas le moindre des handicaps qui pèse sur la situation de notre continent et, plus largement, du monde d’aujourd’hui. « J’entends parfois dire que la relation franco-allemande est difficile », a essayé d’expliquer Macron à l’issue du 21ème conseil des ministres franco-allemand du 16 Octobre à Toulouse, « mais c’est la situation du monde qui est difficile. S’il n’y avait que nous, les choses seraient plus simples et avanceraient plus vite !… » On peut espérer que le « désir d’Europe » soit relancé : mais pour cela, il serait utile d’éviter les conflits stériles nourris par la politique des petites phrases.

« Il est urgent de relancer une dynamique qui ne pourra repartir que si les deux grosses cylindrées du moteur européen acceptent de conduire à nouveau la course en tête : si tant est que les deux vedettes de l’Union Européenne en aient encore envie ». C’est ce que j’écrivais ici-même (2). « Certes, Macron est un partenaire difficile, mais il mérite d’être soutenu par l’Allemagne… L’un et l’autre restent des partenaires indispensables », souligne Michaela Wiegel dans la Frankfurter Allgemeine. « C’est à l’Allemagne de décider si ce partenariat débouchera sur plus qu’un mariage forcé », conclut l’auteure qui aurait pu faire référence aussi à de cette hilarante tragi-comédie qui plongeait dans les péripéties d’un un « Divorce à l’Italienne ! »(3)

(1) Dernier ouvrage de Georg Blume consacré aux rapports franco-allemands : « L’ami indésirable. La fin d’une histoire ? », Editeur Saint-Simon, 216 pages, 19,90 Euros.

(2) « Paris-Berlin – y a-t-il encore un abonné au numéro que vous avez demandé ? », sur eurojournalist.eu du 5 Avril 2019.

(3) « Divorce à l’italienne », un film de Pietro Germi (1961) avec Marcello Mastroianni sur un aristocrate qui veut quitter sa femme dans une Italie où le divorce est interdit.

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