Malgré les traités, le commerce des armes continue de prospérer !

Des traités, des déclarations, des définitions de la «bonne utilisation des armes» - le commerce des armes veut se donner une bonne conscience. Y arrivera-t-il ?

Comment faire une "bonne utilisation" d'armes comme le tank "Leopard"? Foto: US Army Europe, by Visual Information Specialist Markus Rauchenberger / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Sans doute ne connaissez-vous pas -même par les temps agités que nous vivons- le «Global Peace Index» (GPI – index global de la paix). Etabli chaque année, depuis 2007, par le magazine britannique «The Economist», assisté d’un jury d’experts et du «Centre for Peace and Conflict Studies» (Centre d’études sur la paix et les conflits) de l’Université de Sydney (Australie), cet indice est publié sur la base de la synthèse de 23 indicateurs (état de la violence et de la délinquance intérieures et extérieures, guerres, conflits, qualité des relations internationales, budgets de la défense etc…) recueillis dans 162 pays.

Si dans ce classement, l’Allemagne se trouve en 15ème position des pays les mieux placés (en tête : l’Islande, le Danemark, la Suisse, l’Autriche), la France, elle, se retrouve en… 36ème position ! Dans une Europe qui, malgré le conflit ukrainien, est classée parmi les parties du monde les plus pacifiques derrière l’Amérique du Nord, l’Afrique sub-saharienne, l’Amérique Centrale et les Caraïbes. Personne, sans doute, ne sera surpris de constater que d’après les indices de paix, ce sont la Lybie, l’Afrique du Nord, le Proche Orient et l’Afghanistan qui sont classés parmi les parties du monde les moins pacifiques.

La consultation quotidienne de nos médias ne peut qu’appuyer la réalité d’une liste qui, sans apporter de réelles surprises, met en évidence les difficultés d’un monde où le nombre de victimes de conflits a passé de 49.000 en 2010 à 180.000 en 2014, où 1% de la population mondiale est réfugié dans un pays qui n’est pas le pays d’origine et où les ventes mondiales d’armes ont augmenté, en quatre ans, de 30% (à plus de 80 milliards de dollars, 100 milliards sans doute en 2018, d’après les prévisions actuelles) !

Le poids de la «guerre» en Ukraine ! – Il est vrai que, alors que le Japon s’apprête à modifier sa constitution pacifiste pour permettre à ses troupes «d’autodéfense» (!) d’intervenir à l’extérieur de son territoire et que 18 pays (dont les Etats Unis d’Amérique et… l’Allemagne) mènent, depuis le 20 Juillet, les manœuvres «Trident» en Ukraine, les budgets de la défense ont augmenté dans la plupart des pays. Et si la plupart des budgets de la défense des pays membres de l’OTAN n’ont pas encore atteint les niveaux (2% du PIB !) réclamés par l’organisation du «Traité de l’Atlantique Nord», des «progrès substantiels» se mettent en place suscités par les besoins nés de la crise ukrainienne ou par les menaces liées au terrorisme. Un commentaire des auteurs du «GPI» souligne combien la crise ukrainienne, devenue une confrontation-test entre la Russie et les pays-membres de l’OTAN, est devenue un risque majeur en Europe : la crise peut dégénérer à tout moment, d’autant que les Etats Unis, dont des militaires entraînent des unités de l’armée ukrainienne, ont pris conscience du nouvel enjeu Est-Ouest.

Pour éviter un «dérapage accidentel», les états-majors de Russie et ceux de l’OTAN ont rétabli un téléphone rouge qui permette une communication rapide pour essayer d’éviter un… risque affrontement (voir eurojournalist.eu du 2 Avril). Dans ce contexte, l’Allemagne, dont le budget de la défense se situait jusqu’ici autour de 1,2% du PIB, va augmenter ses dépenses militaires pour les faire passer, en quatre ans, de près de 33 milliards d’euros à un peu plus de 35 milliards : il faudrait une bonne… vingtaine de milliards supplémentaires pour respecter les minimas de l’OTAN. Minimas dont, par contre, la France (1,9% du PIB) est d’autant plus proche que son budget de la défense (un peu plus de 31 milliards) a été augmenté de 1,1 milliard pour faire face aux menaces terroristes (embauche de 2.300 militaires, au lieu de la suppression prévue de 7.700 postes).

L’incroyable situation de la Grèce ! – En fait, il n’y a guère que 5 pays qui ont respecté ces minimas : les Etats Unis d’Amérique du Nord (avec 4% du PIB !), la Grande Bretagne, la Pologne, l’Estonie et… la Grèce ! Ce dernier cas a été peu évoqué pendant la crise dont on espère être sortis : hantée par la menace turque qui s’est notamment illustrée par la partition de Chypre, la Grèce, dont le budget de la défense tournait autour de 3,9% du PIB entre 1995 et 1999, avait encore un budget représentant 2,85% du PIB en 2010 et 2,5% en 213. Du fait des mesures décodées pour lutter contre la crise, il devrait se situer à la hauteur de 2,2% du PIB. Jusqu’ici, les budgets grecs nourrissaient, non sans versement de pots de vin, de fortes importations d’armements et si, dans la liste des fournisseurs, les USA étaient en tête, l’Allemagne se plaçait en bonne deuxième position et la France, assez loin derrière, en troisième position ! L’Allemagne a notamment livré des sous-marins (tous n’ont pas été livrés à la suite d’un litige). Un ministre grec de la défense a été condamné pour corruption : il avait touché 8 millions € de pots de vin versés par une firme allemande ! Et on apprend que, très récemment, le ministre grec de la défense a sondé la Russie en vue du remplacement du système de défense aérienne devenu obsolète par une génération plus récente de missiles !

Car les conflits génèrent un important commerce d’armes qui, en ces temps de crise économique, nourrissent les budgets de nombreux états : dans la liste des grands exportateurs, on trouve dans l’ordre les USA, la Russie, la Chine Populaire (dont le budget militaire a augmenté de plus de 22% l’année dernière !), l’Allemagne, la France. Mais si les exportations allemandes d’armes ont régressé en 2014 (près de 4 milliards d’euros de ventes, soit 1,8 milliards de moins qu’en 2013), les ventes françaises ont connu, elles, une année record avec 8 milliards de commandes en 2014. Il s’agit là, relève le rapport annuel au Parlement «du meilleur résultat jamais enregistré !» Il situe aussi l’importance qu’ont les ventes d’armes pour l’économie d’un pays : une importance qui se traduit en recettes, en emplois, en éléments de lutte contre les déficits, en compétitivité.
Le «Léopard» au cœur d’un affrontement franco-allemand ! – Ces enjeux sont assez bien illustrés par l’opposition du SPD et de Sigmar Gabriel, le ministre de l’Economie, au rachat du fabricant allemand des chars «Leopard» par le français Nexter. «Cette fusion met en cause l’intérêt national que nous devons défendre comme les Français», a confié à la F.A.Z., Rainer Arnold, le spécialiste de la défense du SPD qui poursuit : «Cette fusion représenterait pour l’entreprise allemande un transfert de technologie développée notamment grâce à des financements publics. L’entreprise allemande perdrait une place de leader et le Leopard du futur serait français !» Intéressant dans le cadre des réflexions actuelles sur le «franco-allemand» et sur l’avenir de l’Union Européenne !

L’éternel débat sur les exportations d’armes et (n’ayons peur ni des mots, ni du ridicule !)… leur «moralisation», rebondit au moment où un nouveau Traité International sur le commerce des armes a été rédigé dans le cadre de l’ONU. Il veut introduire davantage de transparence dans le commerce international des armes. Il veut lutter contre la corruption et entend forcer les Etats à s’interroger, avant de fournir de l’armement, sur le degré de violence, de respect des Droits de l’Homme qui caractérise les pays acheteurs ! 130 états membres de l’ONU avaient signé le texte, 69 d’entre eux l’ont ratifié : ce qui permet sa mise en application. Une conférence internationale doit préciser ses modalités de mise en œuvre.

Les faux espoirs d’un traité de l’ONU ! – «Le Traité vise à introduire, à côté des intérêts légitimes des Etats en terme de sécurité, d’économie ou de géopolitique, le nécessaire respect des droits des populations civiles qui souffrent des armes et de leur mauvaise utilisation», a commenté Aymeric Elluin de la branche française d’Amnesty International. De son côté, Patrice Bouveret de l’Obseratoire des armements, ajoute selon le site «Basta» (Par Germain Lefebvre et Rachel Knaebel) : «Il faudra un peu de temps pour évaluer les effets du Traité. Mais nous sommes sceptiques sur son efficacité. Il va limiter certains trafics, mais pas les transferts d’armes dans leur ensemble. Ce n’est pas un traité de réduction du commerce. Il s’agit ici, simplement de réguler. Et de limiter la corruption qui favorise les plus gros. Pour que le Traité soit réellement contraignant, il faudrait une instance supranationale chargée de veiller au respect des règles établies».

Des dispositions du même ordre avaient été définies, en 2008, dans le cadre de l’Union Européenne : les dispositions sont restées, intérêts nationaux obligent (!), largement lettres mortes !… Il serait surprenant, dans le contexte international actuel, qu’il en aille différemment du Traité de l’ONU. Le commerce des armes continue à avoir de l’avenir !

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