Mangez vos morts… What else?

A une quinzaine de jours de la prétendue boutade de la députée LFI Danièle Obono, lors d’un tweet qui fit couler beaucoup d’encre, faut-il en rajouter ? Oui, car l’écume des choses étant un peu retombée, venons-en au fond.

Les rescapés du vol 571 de Fuerza Aérea Uruguay, apprécieront la prétendue boutade de Danièle Obono. Foto: BoomerKC / Wikimedia Commons / PD

(Jean-Marc Claus) – « Mange tes morts », serait une expression yéniche adressée à ceux qui renient leurs ancêtres et leurs origines. Injonction ne présageant rien de bon, car insulte gravissime ne pouvant être laissée sans les suites que l’on imagine, tant la filiation est essentielle dans les communautés des gens du voyage. Danièle Obono, bibliothécaire de son état, aurait gagné à lire préalablement quelques ouvrages de Tobie Nathan.

« On l’oublie souvent, la culture, ça se cultive ! Faute de quoi, elle s’étiole, disparaît par pans entiers. », écrit Tobie Nathan dans « Les âmes errantes », essai sur la radicalisation des jeunes, publié en 2019 et découlant de son expérience clinique. Ici, le mot culture renvoie à la connaissance au sens large, et non aux niches doctrinales devenant les cloaques dans lesquels les fondamentalismes fabriquent les éléments de langage et les schémas de pensée nourrissant la radicalisation.

L’emploi dans un tweet, même sous la forme d’une prétendue boutade, d’une expression jusqu’ici somme toute connue d’assez peu de gens, eut pour seul mérite de contribuer à l’éducation des masses, mais combien cette formule est-elle maintenant dévoyée ! Que ce soit de manière insultante ou alors en faisant de l’ironie, cette injonction, si tant est que l’on soit quelque peu cultivé, ne fait pas plus rire que rager, mais attriste au plus haut point.

Prise au premier degré, car c’est ainsi qu’on la reçoit si l’on n’en connaît pas l’arrière-plan, cette formule lapidaire renvoie à l’anthropophagie. Une pratique rituelle remontant à la préhistoire, qu’ont étudié les chercheurs et à laquelle l’Europe n’a pas échappé. Mais aussi une pratique de survie, à laquelle des êtres humains, placés dans des situations extrêmes, furent contraints, y compris à notre époque.

Que ces événements soient accidentels comme le naufrage de la Méduse en 1816, le crash du vol 571 de Fuerza Aérea Uruguay dans les Andes du 12 octobre 1972 ou provoqués délibérément par le pouvoir tel l’Holodomor en Ukraine au début des années 1930, il en résulte que des êtres humains ont mangé leurs morts. Ce qui les a marqué à vie, pour ceux ayant survécu.

Manger ses morts, même si l’anthropophagie revêt un caractère rituel que certains criminels détournent, est un drame absolu allant à l’encontre des valeurs de notre civilisation aujourd’hui bien mal en point. Occulter toutes les situations dans lesquelles nos frères humains furent, au cours de l’Histoire, obligés de manger leurs morts pour tenter de survivre, ne rend service à personne et contribue très largement à faire disparaître des pans entiers de la culture.

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