Megalopolis de Francis Ford Coppola

Spécial Cannes (3). Esther Heboyan couvre pour Eurojournalist(e), l'intégralité du Festival International du Film à Cannes. L'excellente spécialiste du cinéma verra beaucoup de films ces prochains jours...

Le film "Megalopolis" de Francis Ford Coppola fait partie des films en compétition pour la Palme d'Or. Foto: © FDC 2024

Logo klein(Cannes, Esther Heboyan) – Megalopolis de Francis Ford Coppola, dans la sélection pour la Palme d’or, ne se laisse pas visionner aisément, ne se laisse pas consommer comme un film appartenant à un genre défini. Qualifié de fable au générique, il reste inclassable. Parce que c’est une fable sur New York comme mégapole de la société américaine et de la civilisation occidentale, le film s’autorise tout – esthétiquement, narrativement, intellectuellement. Les critiques sont déjà féroces. Les spectateurs risquent de bouder ce projet qui a tenu Coppola en haleine depuis plus de quarante ans, dit-on.

L’intérêt dramatique du scénario, qui tient à la fois de l’épopée et de la science-fiction, oppose l’architecte savant, visionnaire et utopiste Cesar Catilina (Adam Driver qui donne son maximum) au maire Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), bien moins audacieux, et corrompu selon son propre aveu. L’histoire d’amour entre Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, et l’architecte fou qui ose défier le temps (« Temps, arrête-toi ! »), vient se greffer à l’intrigue principale. Ce résumé ne rend évidemment pas compte de tous les aspects d’une société / d’une civilisation qui oscille entre démesure et décadence.

Pour dépeindre les politiciens dans la cité ainsi que les mœurs et modes de vie des citoyens, Coppola semble s’être inspiré du Fellini de l’époque Satyricon et de l’emphase d’un Baz Luhrmann (re)créant Gatsby ou Elvis. Ajoutons que Megalopolis ressemble à une tragédie de Shakespeare revisitée par Alfred Jarry. C’est dire que le film, truffé de citations philosophiques dont une du transcendantaliste Emerson, regorge d’une énergie tant artificielle que grotesque. Certes, on est loin du Coppola de Conversation secrète (1974) qui avait remporté la Palme d’or. Certes, il manque à Megalopolis l’intention d’une trajectoire ou d’une trame narrative. Mais dans ce long-métrage qui sera peut-être son dernier, Coppola reste Coppola : il met à nu les mécanismes de pouvoir, d’emprise, de fonctionnement démoniaque.

Megalopolis, c’est du spectacle assurément, tantôt kitsch, tantôt existentiel. Le film démarre au sommet de l’emblématique Chrysler Building où le romantique Cesar Catilina joue à redessiner le monde dans un monde qui ne veut pas de lui. Son nom évoque l’homme politique romain Lucius Serguis Catilina qui tua sa première femme, s’entoura des éléments peu scrupuleux de la noblesse et de la plèbe, et surtout conspira contre Cicéron. New York est la Nouvelle Rome qui va sûrement à sa perte. Le film est aussi cynique et désespéré que Le bûcher des vanités (1990) réalisé par Brian de Palma, aussi ironique et nihiliste que L’incendie de Los Angeles (1939) du romancier Nathanael West. Coppola, cependant, ne manque pas d’humour. La noirceur de notre époque se trouve égayée par quelques scènes comiques qui ont fait rire les spectateurs de Cannes. Et l’enfant, fruit de l’amour entre Cesar et Julia, symbolise, de manière très classique, ce futur qu’on espère meilleur.

On pourrait presque se rallier à l’une des répliques du film : « Ne laissez pas le présent détruire l’avenir. »

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