Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté (10)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (10)

Berlin-Tegel, Buddestrasse - c'est ici qu'arrivaient les trains militaires français... Foto: Sekamor / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait : « Je vois de la lumière noire. » alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait : « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Dix : Berlin 1984

Un peu facile, l’association d’idées entre la ville alors occupée et le célèbre roman orwellien n’a rien de volontaire. Il se trouve tout simplement qu’en 1984, un soir d’avril à 20h00, j’ai pris le TMFB à Strasbourg pour, via « le couloir » et de nuit, traverser RFA et RDA afin de débarquer à la gare de Tegel, à Berlin-Ouest, le lendemain matin à 8h00. En ce temps là, l’Allemagne était scindée en deux depuis 1949 : à l’Ouest la Bundesrepublik Deutschland (BRD = RFA) et à l’Est la Deutsche Demokratische Republik (DDR = RDA). Berlin était divisée en quatre zones d’occupation et coupée en deux par « Le Mur » depuis 1961 : le secteur soviétique à l’Est et les secteurs français, anglais, américain à l’Ouest. Il était possible de se rendre à Berlin-Ouest par la route, le rail et les airs, mais seulement dans des corridors parfaitement délimités. Le TMFB, Train Militaire Français de Berlin, assurait une liaison ferroviaire régulière, mais fastidieuse car non prioritaire et nocturne. Durant tout le trajet en RDA, les rideaux des wagons devaient rester fermés ; il était interdit de regarder à l’extérieur et encore moins de prendre des photos. J’ai tout de même souvent glissé un œil par l’interstice entre rideau et fenêtre, mais comme il faisait nuit, tout était gris. Gris comme Berlin-Est que nous observions, depuis Berlin-Ouest par delà le Mur, depuis ces plates-formes rendues célèbres par un certain JFK clamant en 1963 : « Ich bin ein Berliner ! ». Ein Berliner me renvoyant avant tout au beignet fourré à la confiture, et Kennedy étant lui-même bouffi par les corticoïdes qu’il prenait, je ne pouvais m’empêcher de me questionner sur ce que Jacques Lacan (1901-1981) entendit dans cet aphorisme kennedien. Mais en 1984, il n’y avait plus moyen de lui demander. L’énigmatique empapillonné s’était déjà envolé vers d’autres cieux…

L’Olympiastadion, qui accueillit les Jeux olympiques de 1936, et ses deux tours monumentales, me laissent un souvenir particulièrement désagréable. A cet endroit précis, bien plus qu’ailleurs, j’ai perçu la monstruosité de l’architecture nazie, ce qui en remit une couche sur mon anti-germanisme primaire, ce dernier ne reculant devant aucun amalgame. Heureusement qu’il y avait les forces d’occupation françaises, britanniques, étasuniennes pour assainir Berlin-Ouest ! Forces d’occupation auxquelles étaient associées les troupes canadiennes, pour pacifier la RFA. L’Allemagne de l’Ouest avait besoin des Alliés pour demeurer pacifique ; tout comme en 1918, elle eut besoin du Traité de Versailles, pour devenir humble. N’est-ce pas ? C’était d’une simplicité biblique ! Une analyse que n’aurait certainement pas validé Dietrich Bonhoeffer, le pasteur, théologien et résistant qui fut exécuté en Avril 1945, au Konzentrationlager Flossenbürg. Mais vous savez-quoi ? J’étais du côté des vainqueurs, ou plus précisément des vains-coeurs, comme l’aurait certainement dit Lacan…

C’est à Berlin-Ouest que, dans ma pauvre tête, si bien mal faite et alors désespérément vide, se sont télescopés stalinisme et hitlérisme se plaçant alors sur un même plan, faisant ainsi abstraction aux millions de morts soviétiques qui contribuèrent directement ou indirectement à la victoire sur les nazis. Il ne s’agit pas là de chanter que le bilan de l’Union Soviétique était globalement positif, quoi que du temps des deux blocs, le capitalisme n’avait pas la liberté acquise depuis 89 (1989 et pas 1789), mais de faire preuve de suffisamment d’intelligence et d’esprit critique pour ne pas confondre deux idéologies diamétralement opposées. Confusion aboutissant aujourd’hui, comme l’a démontré le 19 Septembre 2019 une odieuse résolution adoptée par le Parlement Européen sous la sibylline appellation « Importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe », met à égalité nazisme et communisme, faisant fi de l’avertissement du non-communiste mais véritable intellectuel Thomas Mann (1875-1955), affirmant très clairement que « Placer sur le même plan moral le communisme russe et le nazi-fascisme, en tant que tous les deux seraient totalitaires, est dans le meilleur des cas de la superficialité, dans le pire c’est du fascisme. Ceux qui insistent sur cette équivalence peuvent bien se targuer d’être démocrates, en vérité, et au fond de leur cœur, ils sont déjà fascistes ; et à coup sûr ils ne combattront le fascisme qu’en apparence et de façon non sincère, mais réserveront toute leur haine au communisme. » (in Deutsche Hörer – 24 Octobre 1942)…

A suivre…

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