Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté (11)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (11)

Sublime vue depuis le Schlossberg à Freiburg im Breisgau... Foto: Zoltan Sasvari / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait : « Je vois de la lumière noire » alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait : « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Onze : F.F.A – F. im B. 1986

Bien malgré moi, je suis parti début Octobre 1986, à l’instar des Malgré-nous de la Seconde Guerre Mondiale, sur le front de l’Est afin d’occuper l’Allemagne vaincue depuis déjà depuis quarante et une années, c’est-à-dire juste un peu moins du double de mon âge. N’ayant aucune propension à la vie militaire, et mon anti-germanisme primaire me poussant à me tenir à distance des frontières franco-allemandes, cette incorporation aux Forces Françaises en Allemagne (F.F.A) me laissait plus que dubitatif. J’y voyais une déportation plus qu’une affectation qui, du reste, m’affectait terriblement. Quitte à courir tous les matins dans les vignes, j’aurais préféré de loin m’époumoner dans le Bordelais ou le Beaujolais plutôt qu’à Neustadt an der Weinstraße ! Ceci dit, de Neustadt et de la  Weinstraße je n’ai vu goutte, ou si peu car l’exercice militaire intense, et la discipline implacable du 2eme Groupement de Chasseurs, ne m’ont laissé aucun loisir. Il fallait qu’en deux mois, chaque grenadier-voltigeur devienne une machine à obéir qui ne se pose plus de questions, et en arrive même à oublier sa propre identité.

Je n’ai heureusement pas connu, durant les dix mois suivants,  l’honneur et l’avantage de jouer à la guéguerre avec mes petits camarades, foulant au pied le pays teuton vaincu, pour se préparer à repousser victorieusement une inévitable attaque soviétique. Ma libération, alors encore lointaine, se réalisa partiellement avec mon affectation au Service de Neuro-Psychiatrie du 352eme Hôpital des Armées Alain Limouzin, sis à Freiburg im Breisgau. Mon existence s’est améliorée considérablement, jusqu’à devenir vraiment vivable. A ceci près que le milieu dans lequel j’évoluais quotidiennement recelait très peu d’éléments susceptibles de favoriser ma croissance intellectuelle, et encore moins mon bien-être spirituel. En clair, l’hôpital militaire était d’abord militaire, puis ensuite hôpital. Je ne partageais pas les centres d’intérêt de la plupart des Français que j’y côtoyais, et je m’ennuyais à mourir. Ainsi, chaque fois que j’en avais l’occasion, je m’échappais du cercle fermé des FFA, pour découvrir la ville et ses espace verts. Par ailleurs, les Bierstuben ne sentaient pas le rance et le tabac froid, comme la plupart des bars français d’alors. Pourtant on y fumait aussi, et on y servait aussi de la bière. Bière infiniment supérieure à celle des débits de boissons français, fus-je obligé de convenir. C’est ainsi qu’un genou à terre, j’ai dû reconnaître, du moins sur ces points précis, la supériorité de l’Allemagne !

Mais ça ne s’est pas arrêté là, loin s’en faut. J’ai découvert une autre façon de vivre, d’autres références toutes aussi intéressantes que les miennes, une architecture magnifique, des magasins qui fermaient tôt le samedi et n’ouvraient pas les dimanches ni les jours fériés, des commerçants qui ne vous prenaient pas pour des gogos, Edeka, les magasins bio, un tramway bien pratique et très peu polluant, des élèves en apprentissage valorisés par la société. Je ne ferai pas ici l’inventaire fastidieux de toutes ces découvertes ,mais en viendrai directement à l’essentiel : Il m’était devenu infiniment plus agréable de vivre avec les Allemand(e)s, que de partager le quotidien de mes compatriotes français(es). Confronté sans ménagement à cette évidence, je dus quelque temps supporter une certaine schizophrènisation de ma pauvre tête si mal faite, pour au final, capituler purement et simplement. Ces deux guerres mondiales, sans compter la déculottée de 1870, n’avaient servi qu’à accroître la fortune des marchands de canons et des grands industriels. Celles et ceux qui, de chaque côté des lignes, y avaient laissé vie et santé auraient, en fraternisant, gagné infiniment plus à s’enrichir mutuellement de leurs différences. L’idée de l’Europe et la conviction d’être avant tout Européen se précisait dans mon esprit ,au fur et à mesure que mes œillères se délitaient. Ce séjour obligé à Freiburg im Breisgau a été en quelque sorte mon Chemin de Damas…

Fortsetzung folgt…

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